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Bordeaux : des primeurs en demi-teinte

Auteur

La
rédaction

Date

30.04.2013

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À mi-parcours de la campagne des primeurs du millésime 2012 (qui a commencé très tôt après les dégustations de début avril), les acheteurs, français ou étrangers, ne se précipitent pas…

On s’y attendait, c’est arrivé. La campagne de vente en primeur du millésime 2012 des grands vins de Bordeaux ne soulève pas l’enthousiasme des acheteurs. À mi-parcours – une centaine de propriétaires de châteaux ont annoncé leurs prix de sortie -, c’est même la soupe à la grimace.

Courtiers et négociants spécialisés de la place bordelaise ont du mal à trouver des clients (importateurs, distributeurs, chaînes de cavistes, grande distribution…) pour les quelque 200 propriétés tentant leur chance sur ce marché unique dans le monde viticole. Rappelons qu’il s’agit d’acheter – et de payer – aujourd’hui un vin en phase d’élevage dans les chais et qui ne sera disponible qu’au second semestre 2014, soit deux ans après la récolte.

« Verre en main, 2012 est un bon millésime, pas un grand. L’envie des acheteurs n’est pas là », regrette un négociant. « Nos clients ont bien revendu le 2009, par contre ils ont encore souvent sur les bras le millésime 2010 acheté en primeur. La campagne du 2011 a peu marché, c’est pire pour le 2012 », ajoute ce professionnel.

Pourtant, les prix sont à la baisse par rapport au 2011, souvent entre 5 et 15 %. Comme Troplong Mondot (Saint-Émilion), passant de 48 à 45 € la bouteille ; Cos Labory (Saint-Estèphe), de 17 à 15, 50 € ; Clerc Milon (Pauillac), de 30 à 26 € ; ou La Tour Carnet (Haut Médoc) de 16, 5 à 15 €.

« Autour de 15 à 20 €, il est difficile aux propriétaires de beaucoup descendre les prix. Les coûts de production sont là, il y a peu d’élasticité à la baisse, constate un courtier. Pour ces châteaux, le succès n’est pas vraiment là ; seule la grande distribution, française ou européenne, serait acheteuse. »

Et encore, tenant cette année le manche, elle fait jouer la concurrence. « C’est une campagne de tarifs : les négociants aux reins solides n’hésitent pas à raboter leurs marges pour conserver leurs positions. L’ambiance n’est pas saine… » euphémise un professionnel.

En effet, il n’est pas rare que les négociants, concurrents entre eux, proposent les mêmes vins (un château peut travailler avec des dizaines de négociants). D’où des prix officiels « de revente conseillés » pour éviter la guerre tarifaire. Or, cette année, celui qui ne veut pas garder les caisses dans ses entrepôts doit être convaincant. À moins de ne pas les acheter au château, ce qui peut alors lui coûter ses allocations… Les primeurs, où tout est affaire d’équilibre, fonctionnent en effet avec ce système original où le château choisit les commerçants qui s’occuperont de ses caisses, les bonnes années… et les moins bonnes. Et gare à ceux qui oublieraient ce partenariat.

Les très grands baissent fort

Pour les très grands, l’exportation sauve parfois la campagne. La spéculation, moteur des affaires, fait vendre : on l’écoulera plus cher dans quelques années…

Château Margaux sort à 200 €, contre 300 pour le 2011. De même pour Mouton Rothschild. « Ces propriétés étaient restées trop haut l’an passé, le message de la baisse a été mieux entendu cette année », commente un expert.

Mais ces vins étaient à 100 € sur le 2008 et ils ne sont pas trois fois meilleurs. Preuve qu’il y a bien d’autres éléments que le contenu dans la détermination de tels prix stratosphériques.

Nombre de propriétaires sont revenus aux tarifs du 2008 pour attirer la clientèle. Et ce, après les grands 2009 et 2010, bien notés et chers. C’est le cas de Haut Marbuzet (Saint-Estèphe), à 18 € ; Pavie Decesse (Saint-Émilion), à 65 ; ou Rauzan Ségla (Margaux) et Canon (Saint-Émilion) à 30 €, deux châteaux appartenant à la famille Chanel.

À ce jour, deux propriétés sortent plus cher que l’an passé : Angélus et Pavie, des promus du dernier classement de Saint-Émilion. Il faut compter 150 €, soit trois fois le prix du 2008 pour Angélus, et presque le double concernant Pavie. Pour ces châteaux, qui mènent par ailleurs de gros travaux, c’est l’épreuve du feu après leur arrivée dans le cénacle des plus grands.

« Attendons la fin de la campagne, mais je me demande si le marché n’est pas en train de se retourner. Lors des millésimes moyens, l’achat de grands châteaux reste intéressant en primeur. Pour les autres, c’est peut-être fini », avance un professionnel. Ce qui chamboulerait bien des choses.

César Compadre

NB : les prix indiqués sont des tarifs professionnels internes à la place bordelaise. Les prix grand public dépendent ensuite des marges des différents intermédiaires (comptez de + 50 à + 100 %). Voir les sites Internet de référence comme Millésima, Wineandco ou la Vinothèque.