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Champagne bio, les bulles les plus rares

Auteur

AFP

Date

29.12.2018

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« Nous prenons forcément beaucoup plus de risques que les autres, car nous ne sommes jamais sûrs de faire une récolte de raisin » : pour Gérard Gaiffe, vigneron dans la Marne près d’Épernay, le champagne bio est un produit d’exception.

Avec seulement 2% des vignobles de la région de Champagne cultivés selon des principes biologiques, sans engrais chimique ni produit phytosanitaire de synthèse, les bulles de fête bio restent une niche de luxe.

Lise Cheurlin, installée avec son frère dans l’Aube, a produit sa première cuvée bio en 2014: « Nous y sommes allés très progressivement en cinq ans, avec l’aide d’agronomes, nous avons diminué les doses de produits phytosanitaires, puis utilisé des huiles essentielles pour donner de la vigueur à la vigne » explique-t-elle à l’AFP lors du salon Vinibio, qui s’est tenu mi-décembre à Paris.

« Mais le bio, c’est très difficile pour nous » dit-elle. La Champagne est située sur une latitude nord qui définit la limite de la viticulture. Le nombre de jours de pluie favorise le développement des champignons qui menacent le raisin et les récoltes.

« Les vignobles devenaient bleus »
Le bio est néanmoins en « très fort développement », « surtout chez les jeunes vignerons » explique à l’AFP Maxime Toubart, président du Syndicat général des vignerons de la Champagne (SGV). Il était temps, les vignes champenoises n’ont pas toujours été vertueuses pour l’environnement.

Les 15.000 viticulteurs champenois ont dû se défaire d’une pratique de fertilisation à base de déchets organiques urbains issus des poubelles franciliennes. « Les vignobles devenaient bleus » à cause des sacs poubelles hachés menu dans le compost qui s’infiltraient dans la terre, se souvient Jean-Michel Deluc, ex-chef sommelier du Ritz.

A des latitudes voisines, le Jura et l’Alsace, font mieux pour le bio que la Champagne », dit M. Deluc à l’AFP. Mais les parcelles champenoises, petites en surface, sont difficiles à soigner en bio quand le voisin utilise des produits chimiques, admet-il.

« Mon grand-père nous a traités de fous quand nous nous sommes lancés en bio » reconnait d’ailleurs Lise Cheurlin, qui représente la 5e génération de vignerons de sa famille. « Enfant, il avait assisté aux ravages des maladies sur les vignes, et aux galères qu’avaient affrontées ses parents pour produire ». Pour sa génération, la révolution chimique avait été l’avènement du rendement garanti. Aussi a-t-elle « beaucoup investi sur le matériel » : un tracteur chenillard qui n’écrase pas le sol, une « trottinette » pour désherber entre les rangs tout en évitant les ceps. Au total, « un travail beaucoup plus physique » et plus d’heures de travail.

« Le plaisir d’être dans nos vignes »

« Le bio, c’est surtout pour l’environnement et pour retrouver le plaisir d’être dans nos vignes » ajoute Olivier Mazet, qui a lui aussi repris l’exploitation de son père à Chigny-les-Roses (Marne), tout en bio, et parle avec passion de son terroir de craie : l’humidité conservée dans les racines a permis à la vigne de supporter la grande sécheresse de cet été.

« Grâce à la double fermentation alcoolique, même dans un champagne dit conventionnel, on ne retrouve aucune trace de pesticide » assure-t-il. Contrairement à la Bourgogne voisine, où les plus prestigieux domaines viticoles comme la Romanée-Conti sont menés en bio – voire en biodynamie encore plus restrictive et exigeante sur les soins -, en Champagne, le bio est surtout promu par des petits vignerons. A l’exception notable de Roederer, qui mise aussi sur le tout bio.

« C’est sans doute parce que les grandes maisons très présentes sur les marchés d’exportation ont beaucoup de sources différentes d’approvisionnement, elles sont avant tout des acheteuses de raisin, ont besoin de grosses quantités et ne peuvent se permettre d’aléas » dit un vigneron. Or le bio représente un risque de perte de volume.

Maxime Toubart du SGV refuse pour sa part d’opposer bio et non bio, petits producteurs et grandes maisons, et salue une « amélioration continue des pratiques » dans les quatre terroirs de la Champagne. « Les efforts de tous valent mieux que les prouesses de quelques-uns » dit-il: « aujourd’hui, sans être bio, 20% des vignerons champenois sont certifiés dans des pratiques agricoles durables, et 80% d’entre eux s’y engagent ».