Accueil Cuvées mixtes : quand les vignerons abolissent les frontières des terroirs

Cuvées mixtes : quand les vignerons abolissent les frontières des terroirs

Auteur

Idelette
Fritsch

Date

22.09.2017

Partager

Dans la mouvance des Bordeaux « hermitagés » produits au XIXe siècle, certains vignerons s’affranchissent du dogme de l’origine locale et associent, le temps d’une cuvée mixte, des cépages et des jus provenant de régions viticoles qui n’auraient pas dû se rencontrer. Focus sur un épiphénomène en développement en Occitanie.

Opération marketing ou phénomène identitaire ? Quand deux caves coopératives du Sud-Ouest et du Roussillon – Vinovalie et les Vignobles Dom Brial à Baixas – s’associent pour créer une cuvée mixte, il ne s’agit pas seulement de célébrer la nouvelle région Occitanie (nom officiel depuis septembre 2016 de la fusion entre Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, NDLR).

« Les grands chefs cuisiniers assemblent le sel de Guérande et l’huile d’olive de Provence. Pourquoi ne pas sortir du dogme de l’origine locale en coopérant avec des territoires plus éloignés ? », interroge Jacques Tranier, le directeur de Vinovalie. Le premier metteur en marché de vins rouge et rosé du sud-ouest commercialisait cet été, en collaboration avec les Vignobles Dom Brial (Pyrénées-Orientales), le premier vin mixte de la région Occitanie, sous le nom de « Terre Métissée » pour la grande distribution et « Sang Mêlé » pour le CHR.

Sortie en vin de France mais en premium (gamme de prix entre 6 et 6,50 €) et tirée à 37 000 bouteilles, « Terre Métissée » casse les codes identitaires de l’origine, les jus assemblés provenant de cépages du Sud-Ouest (Négrette, Malbec, Braucol) et du Languedoc (Grenache, Mourvèdre et Carignan), articulés autour d’une ossature méditerranéenne (Syrah). Ils ont été vinifiés séparément, pour être assemblés ensuite. « Nous avons regardé quels étaient les facteurs de succès de nos deux maisons pour créer l’harmonie en une cuvée rééquilibrant nos démesures réciproques : un Roussillon qui fait de la chaleur, du volume en bouche et les vins du Sud-Ouest qui ont davantage une caractéristique de fruits frais », explique Jacques Tranier.

Le succès a été immédiat pour ce vin original jouant sur la complémentarité entre quatre terroirs : les galets roulés de Baixas (Pyrénées-Orientales) pour Dom Brial, les graves roses de Fronton (Haute-Garonne), les pierres rouges de Cahors (Lot) et les graves de Gaillac (Tarn) pour Vinovalie. « Nous serons en rupture de stock avant la fin de l’année, il y a eu un effet de curiosité et une forte demande à l’export pour ces vins au profil aromatique inattendu », se réjouit Jacques Tranier, alors que les deux partenaires souhaitent en 2018 doubler la mise pour ce rouge et étendre l’expérience à un vin blanc.

La tradition des Bordeaux « hermitagés »

La pratique consistant à élever séparément des cépages dans leur région d’origine pour les assembler ensuite, n’est pas nouvelle. Avant la réglementation sur les AOC, les Bordelais associaient déjà, au XIXe siècle, aux cépages bordelais (Cabernet-Sauvignon) une petite proportion de cépage (Syrah) du Rhône Nord (Hermitage) pour apporter plus de corps aux vins. On parlait alors de Bordeaux « hermitagés ».

Aujourd’hui cette tradition, expérimentée de façon ponctuelle par quelques grandes figures du vin (Michel Rolland et Michel Chapoutier avec leur Pomerol Hermitagé « M2 » édité sur le millésime 2005, château Palmer et sa cuvée de Margaux « Hermitagé » commercialisée en 2010, etc.), passionne de jeunes vignerons qui s’associent le temps d’une cuvée entre copains.

C’est le cas de François Delhon, vigneron au domaine Bassac à Puissalicon (Hérault) qui a cédé à l’engouement des cuvées mixtes en produisant cet été 4000 bouteilles d’un vin rouge bio premium (19, 50 € la bouteille), la cuvée « FDM ». Son nom de code ? Les initiales de trois copains (François, Matéo et Dany), 2eme générations de vignerons implantés en bio dans trois pays différents : l’Italie pour le domaine Fasoli Gino, la Navarre pour le domaine Azul y Garanza, et l’Hérault pour le domaine de Bassac. La cuvée « FDM » associe ainsi du Cabernet-Sauvignon français, du Grenache espagnol et du Corbin italien, sous l’étiquette « Vin de la Communauté Européenne ». Une façon de célébrer sur un millésime, une vieille histoire d’amitiés. « Nos parents faisaient les foires bios. Gamins on jouait ensemble. Lors d’une soirée un peu arrosée, on a mélangé nos fonds de bouteilles et le vin était bon », retrace François Delhon, qui ne reconduira toutefois pas l’expérience, faute de temps.

Cuvée 78 : l’Aveyron associé au Roussillon

50% Grenache, 50% Mansois. Dernière venue, la cuvée « 78 » additionnant les codes départementaux de l’Aveyron (12) et des Pyrénées-Orientales (66), est un vin atypique mêlant des jus du Roussillon à du « fer servadou », cépage rustique du sud-ouest faisant la réputation des AOP Entraygues – le Fel et Marcillac, dans l’Aveyron. Mise sur le marché cet été, cette production confidentielle (à peine 370 bouteilles écoulées en trois semaines) ne mériterait pas qu’on en parle si ce n’était le succès rencontré par cet ovni aromatique. « L’idée nous est venue, lors d’un weekend entre copains, d’assembler nos cépages autochtones dans une cuvée, retrace Vincent Carreras, vigneron au Mas Cristine dans les Pyrénées-Orientales. Pierre, Paul Bax et leur cousin Vincent Viguier produisaient à titre privé un vin de garage avec les 800 pieds de vignes plantés par leur grand-père à Campouriez. Les codes identitaires ont changé, on s’est donné le droit, la chance de produire ce vin en offrant un coup de projecteur sur ce terroir viticole un peu oublié du nord Aveyron à travers un assemblage improbable : le côté végétal du Fer Servadou réchauffé par le Grenache du Sud qui amène de la rondeur, de la gourmandise, du soleil ».

A l’origine, les gains issus de la vente de la cuvée « 78 » devait permettre à ces « vignerons d’un jour, copains de toujours », de s’offrir une table chez Bras, le chef trois étoiles de Laguiole en Aveyron. Entre temps, la cuvée « 78 » a pris corps. Elle sera reconduite sur les prochains millésimes, sous la mention vin de France.