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Georges Duboeuf, confidences en Beaujolais

Auteur

La
rédaction

Date

15.11.2012

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Dans le numéro 20 de « Terre de Vins » actuellement en kiosques, Georges Duboeuf, grande figure du Beaujolais, s’est allongé « sur le divin » pour jeter un regard sur sa formidable trajectoire. Morceaux choisis de l’entretien, à l’occasion du Beaujolais Nouveau !

Fondateur en 1964 de la célèbre maison Duboeuf, Georges Duboeuf est né en 1933. Père d’un fils, Franck, directeur général de la société, et d’une fille, Fabienne, investie dans le monde de la gastronomie à Lyon, Georges Duboeuf a grandi à Chaintré (appellation Pouilly-Fuissé) où sa famille est depuis quatre siècles propriétaire de vignes.

Touche-à-tout – Georges Duboeuf à ses débuts, dessinait lui-même les publicités ! – curieux du monde, passionné par la peinture et les objets qui constituent l’histoire du vin, il fut également visionnaire en créant dès les années 50 un groupement de producteurs qui s’appelait « L’Ecrin Mâconnais-Beaujolais ». Aujourd’hui, la société Duboeuf commercialise 24 millions de bouteilles chaque année ! Duboeuf, c’est aussi « Le Hameau du vin », village oenotouristique encore sans égal en France ouvert il y a presque vingt ans – riche d’un cinéma dynamique récent – qui accueille 100 000 visiteurs par an. Grand nom du Beaujolais, Georges Duboeuf incarne à lui seul un morceau d’histoire du vignoble, et probablement de la France rurale. Pour « Terre de Vins », cet homme qui ne s’arrête jamais s’est allongé sur le divan. Confidences et morceaux d’histoire.

Ce troisième jeudi de novembre, le Beaujolais Nouveau va encore inonder l’actualité. Cette invasion du beaujolais ne finit-elle pas par déprécier le produit ?

Trop de gens croient ça. C’est complètement faux. Quand j’ai démarré, dans les années 1957 à 1970, le beaujolais nouveau n’était pas connu. Ce sont les Anglais qui, dans les années 70, ont voulu en faire une fête. A l’époque, il y avait au moins dix grands négociants. Chacun a commencé à faire du beaujolais nouveau. Nous, nous avons démarré tout doucement dans cette voie. Un jour, l’humoriste Stéphane Collaro m’a invité à en parler à la radio, sur Europe 1. L’effet a été immédiat : rue Marbeuf à Paris, où nous avions une boutique, il y avait une file d’attente ! On a également fait une émission en direct du Fouquet’s dans les années 1980 qui a eu un effet important. On organisait aussi des soirées où l’on recevait 800 personnes. En fait, avec le beaujolais nouveau, beaucoup nous envient mais personne ne peut le faire : le gamay est un cépage extraordinaire. Il donne des vins qui peuvent exprimer tout leur fruit, leur fraîcheur dès leur naissance, et qui peuvent donc faire partie de la gamme des vins AOC primeurs. Pourquoi ne pas la faire découvrir aux consommateurs ? Je peux expliquer aux consommateurs ce côté croquant – comme pour un juliénas 2003 ou un moulin-à-vent 2005 – je peux expliquer que nos vins savent vieillir et peuvent rivaliser face à de grands bourgognes. Ce beaujolais nouveau a servi à faire connaître le beaujolais dans le monde entier. Il a connu un succès extraordinaire au Japon : 12 millions de bouteilles y ont été vendues en 2004! Nos plus gros marchés sont les Etats-Unis et le Japon. Et aux Etats-Unis, on vend aujourd’hui davantage de beaujolais de garde que dans aucun autre pays…

Mais ce goût de banane que 9 citoyens sur 10 ne détectent pas… Qui a eu cette idée de mettre à ce point en avant cet arôme ? C’était un coup marketing ?

La nature est ainsi. Toi comme moi, nous ne la changerons pas. C’était dans les années 90. Un ami vigneron, Thierry, qui est décédé, avait révélé sur son terroir des senteurs de fruits rouge et… de banane. A l’époque, une levure, 71 B, qui était produite au Canada, mettait en avant ces arômes. On a eu deux ou trois années ainsi mais ensuite, nous avons interdit cette levure. Aujourd’hui, c’en est donc fini. C’était stupide et cela ne voulait rien dire. La vérité est que chaque année, la nature fait son œuvre. Le vigneron peut exprimer son talent avec des levures indigènes ou des levures importées. Chaque année possède sa typicité, ses arômes. Avec le beaujolais nouveau, les arômes n’étaient que des fruits noirs (cassis, myrtille, cerise confite). L’année suivante, c’étaient des fruits rouges, groseille, framboise. Et chaque millésime est le reflet du temps.

Il y a presque 20 ans, tu as ouvert le « Hameau du vin », qui accueille 100 000 visiteurs par an. Précurseur, Georges Duboeuf ?

Dès l’âge de 15 ans, j’avais cette envie de créer. A Chaintré, j’avais déjà ouvert un caveau. J’avais depuis toujours dans l’esprit de communiquer. Les gens ont besoin de repères et d’histoires. L’important est qu’ils trouvent tout notre savoir-faire et notre ardeur. Une bouteille a une histoire, il faut qu’on puisse la communiquer. Le vin, c’est compliqué, avec ces appellations, ces climats, et dans le monde du vin on est apprenti toute sa vie. On découvre chaque jour. Hier, je suis allé dans les vignes faire des photos, car j’aime aussi la photographie. Notre pays est tellement beau. J’ai fait 170 photos en 45 minutes. En fait, je suis toujours émerveillé…

Tu représentes à toi tout seul 20% de l’appellation. Le Beaujolais te doit-il beaucoup ?

C’est moi qui dois au Beaujolais. J’ai la passion. J’ai peut être un sens de la communication que d’autres n’ont pas. Grâce aux gens de la gastronomie, aux artistes, aux peintres – César est venu ici, Bernard Pivot, les grands chefs, Jacques Martin et son épouse Cécilia, Pierre Bonte, Beltoise, Yves Saint-Martin… – le beaujolais a été mis en lumière. A l’époque où l’on célébrait le beaujolais le 15 novembre, tous ces gens venaient. James Coburn en 1988 était même monté sur un cheval à minuit! Aujourd’hui, le troisième jeudi du mois, une fête rassemble 5000 personnes à Beaujeu: c’est la Fête des Sarmentelles. Ce jour-là, mon fils Franck va à New York et moi je vais à Tokyo. Longtemps, j’ai fait la fête ici en Beaujolais et à 3 heures du matin je partais à Paris pour prendre le Concorde et être à New York à 9h du matin…

Quelles sont tes premières émotions liées au vin ?

C’était chez moi, avec les pouilly-fuissé, quand j’ai grandi. C’est ça qui m’a donné l’envie. Des senteurs pareilles ! Des senteurs de noisette, de miel, de silex, c’est fabuleux. C’est aussi pour ça que j’ai eu le courage d’aller vendre. C’est ça qui nous fait avancer. 2009 est pour moi le plus beau millésime de ma vie. J’ai eu des coups de cœur avec des juliénas d’exception. Hier, avec Bernard Pivot qui est venu me rendre visite, on a dégusté des cuvées prestige de 2000, 2003, 2005 et 2009. Quatre millésimes sur 10 ans. C’était fabuleux.

Par Rodolphe Wartel, photographie Alain Robert.
Retrouvez l’intégralité de l’interview dans le numéro 20 de « Terre de Vins », actuellement en kiosques.