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Lérins, île bénie

Auteur

La
rédaction

Date

30.11.2012

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Devenir aussi connus que la Romanée Conti, tel est le défi des moines de l’Abbaye de Lérins sur l’île Saint-Honorat, à deux brassées de Cannes. Péché d’orgueil ? Pas sûr. Et si le terroir leur donnait raison ?

Une syrah 2005 en tête d’une série de 300 au concours des Syrah du Monde (2007), un chardonnay 2003 classé 3ème, derrière deux Montrachet à une dégustation de grands Bourgogne, un pinot 2008 qui interpelle les vignerons de la Côte de Nuits : « Mais comment vous faites pour avoir cette couleur ? Et ce fruit ? »
Un mourvèdre déclaré le meilleur du monde par des spécialistes patentés. Une litanie de compliments sur les vins de l’Abbaye de Lérins. De quoi croire en la grâce divine : le petit jésus en culotte de velours selon l’expression consacrée. Une fois revenus sur terre, il faut se poser des questions, dont celle du sol ! C’est ce qu’ont fait Frère Marie, maître es vignes et chais et Frère Marie Pâques, à la tête de l’activité commerciale de la communauté.

Ici, le sol ne ressemble pas à celui d’en face, d’Hyères ou de la Londe. C’est un sol ne portant pas d’arbousiers, mais riche en humus où croissent la bruyère blanche, le myrte, le ciste et le pin parasol, un sol plein d’argile où l’on trouve des cyprès, des eucalyptus et aussi des oliviers de 500 ans : toute une végétation propre à un terrain basique constitué de dolomies, calcaires marins durs à base de calcium et surtout de magnésium. Rien à voir avec les terres acides de l’Estérel.

Le microclimat ? C’est bien là l’autre secret du terroir de l’île Saint-Honorat : les embruns marins confèrent au vin fraîcheur et salinité, tandis que l’ocre apporte profondeur et minéralité. « Si notre mourvèdre est tant apprécié, se flatte Frère Marie, c’est qu’on ne sent pas l’alcool, même vendangé après le 15 octobre, il reste frais ». La fraîcheur ? Un mot récurrent pour parler du terroir de Lérins. La vigne ne souffre jamais. « En 2003, se souvient Frère Marie, au coeur de la sécheresse, elle est restée verte, car elle a en permanence les racines mouillées par de l’eau douce ». La source du Loup qui arrose Cannes réapparaît à l’île Saint-Honorat dont elle alimente la nappe phréatique et remonte par capillarité le long des couches rocheuses disposées en hauteur. L’île est en fait un bout des Alpes tombé près de la faille marine, qui s’est redressé en formant un mille-feuilles vertical où la roche mère affleure. « Quand je griffe la vigne, précise Frère Marie, je me heurte à la roche qui ne se trouve qu’à 10 cm ». Et pourtant on se trouve sur un plateau recouvert d’un limon argileux qui vous colle aux bottes quand il pleut. L’île Saint-Honorat est un terroir unique : en sous-sol, c’est une tôle ondulée : dépliée, elle serait 5 fois plus grande que sa voisine l’île Sainte Marguerite.

Ajoutez à cette aubaine géologique l’enherbement un rang sur deux ainsi qu’une conduite réfléchie de la vigne : guyot double pour les cépages les plus résistants, clairette, syrah et mourvèdre ; guyot simple pour le pinot noir et le chardonnay qui souffrent un peu plus de la chaleur. Voilà pourquoi « les vins ont du peps » dit en riant notre moine convers. C’est ainsi que le chardonnay « Saint-Césaire » 2009 (52 € à la fois vif et gras exhale de jolies notes mentholées qui le tonifient. « Impossible de le confondre avec les autres chardonnay du sud qui restent des vins de cépage ; il pourrait être lourd, mais cette acidité naturelle rafraîchissante nous sauve.» Et voilà un grand vin, alliance subtile de l’élégance et de la puissance. Ne dites pas au Frère Marie qu’il copie les grands Bourgogne. « Ils sont tellement ciselés qu’ils en sont étroits, plaisante-t-il ». Le pinot 2009 cuvée Saint-Salonius (190 €) à la robe pourpre intense est une gourmandise de cerise noire et de mûre aux tanins soyeux et vanillés. Quant à la cuvée Saint-Sauveur 2009 issue de vieilles syrah (42€), elle est fruitée, profonde, épicée et pourtant si fine, si longue.

Qui aurait pensé des vins de Pays de Méditerranée rivaliseraient un jour avec les plus vins de Bourgogne et de la vallée du Rhône ?

Il y a 60 ans, l’on ne donnait pas cher de l’auguste lieu. Après-guerre, la vigne végète, la communauté monastique aussi. On va même jusqu’à arracher les ceps, on garde les plus vieux, juste de quoi servir la messe et le pèlerin. On plante de la lavande, ça sent bon mais ça ne nourrit pas son moine, d’autant que les années 80 voient le retour des vocations. Comment subsister ? En replantant de la vigne ! 8 hectares. « Il a fallu défricher, concasser et faire des choix pour se différencier, se souvient Frère Marie : pas de carignan, pas de cinsault. Un rosé de plus noyé dans la mer des Côtes de Provence. Non merci ! » Eclairés par les judicieux conseils de Jean Lenoir, le célèbre nez du vin, les moines ont choisi les sols caillouteux et drainants pour la syrah, le bord de mer riche en matière végétale pour le mourvèdre, le centre de l’île profond et argileux pour le chardonnay et les parcelles les plus pierreuses pour le pinot noir, clin d’oeil aux aïeux de Citeaux.

C’était en 1990. Depuis, les cuvées bichonnées entre deux bénédicités ont pour ambition de se hausser du col. De vigiles jusqu’à complies, on chante la grandeur du vin, après toutefois celle de Dieu. Et l’on n’oublie pas en bon cistercien la devise « ora et labora » : Prie et travaille ! Depuis 2004, c’est Jean-Michel Novelle, oenologue helvète et laïque qui les guide. Pas de grand vin sans un grand raisin, sans un sol bien travaillé. Il leur a fait planter du fétuque entre les rangs de vigne. « Comme ça, plus d’engrais, plus de désherbants ». Grâce aux fûts de la forêt de Troncay de chez Taransaud , séchés à l’air pendant 5 ans , chauffés longuement, mais refroidis avec des linges humides, pas de goût fumé ou toasté. Nous sommes dans la haute couture: L’élégance avant tout ! Voilà ce que recherche Frère Marie. Lui qui autrefois tissait le tweed, tisse maintenant la trame des tanins, toujours plus fins, plus serrés. Depuis le début de l’aventure, les superbes grappes de mourvèdre « au port droit » le séduisent, comme la syrah « la plus belle, avec ses petits grains couleur café ». Aujourd’hui, il sait qu’il a à ses pieds un grand terroir. Une bénédiction !

Par Evelyne Léard-Viboux
Cet article est extrait du numéro 13 de « Terre de Vins » (septembre-octobre 2011)

Comment accéder à l’île Saint-Honorat ?
Compagnie Planaria. Embarcadère face à l’hôtel Radisson, 06414 Cannes
04 92 98 71 38

lerina@abbayedelerins.com