Accueil [Portrait] Lilian Bérillon, le faiseur de vignes

Auteur

Frédérique
Hermine

Date

29.05.2018

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C’est à Jonquières, dans le Vaucluse, que Lilian Bérillon réinvente le métier de pépiniériste. Par amour des vignobles, pour préserver l’ampélodiversité et pour donner plus de chances à la vigne de résister aux maladies et aux aléas climatiques. Rencontre publiée dans Terre de vins n°52 de mars/avril.

Lilian Bérillon se voit en paysan, mais il est avant tout pépiniériste. Un métier qu’il a réinventé et qu’il a rebaptisé « vignemaker » avec l’aide d’une attachée de presse. Et la nouvelle dénomination lui va comme un gant. Lilian, qui ne compte plus les kilomètres au compteur de sa voiture, milite pour que les vignerons retrouvent les gestes oubliés et assurent la pérennité de leur patrimoine, en commençant par renouer avec le greffage en fente, une technique ancestrale de greffage sur pied. Il pousse aussi la démarche en incitant à préparer les sols, à ne pas replanter trop vite après l’arrachage, à faire se développer le système racinaire pour rendre le pied de vigne plus fort, à réapprendre la taille…

Le « vignemaker » a d’abord été un pépiniériste traditionnel. Ses terres familiales sont à Châteauneuf-du-Pape, entre les domaines du Vieux Télégraphe et de La Nerthe. Son père et son grand-père étaient pépiniéristes ; il le devient donc naturellement en 1997, mais rêve de travailler dans l’agriculture et de devenir vigneron. D’abord salarié, il avoue avoir été « le roi du pétrole en vendant des plants clonés. Mais en ne faisant qu’un seul produit, à des millions d’exemplaires, avec une seule méthode de travail, on a vite fait le tour. »

Vous avez dit standard ?

Peu à peu, le voilà qui s’intéresse davantage à la catégorie appelée étrangement « standard » et qui englobe plutôt les vieilles variétés. Elle ne représente que 1 % de la production nationale des pépiniéristes car elle implique une traçabilité particulièrement contraignante et des règles sanitaires strictes imposées par l’Europe. Alors vice-président de la Fédération professionnelle des pépiniéristes du Vaucluse, il entreprend de faire réfléchir ses confrères sur les cépages bio et le greffage. Mais la fédération lui ferme ses portes. Il décide donc, avec sa technicienne hors pair Katia Girardon, de faire le tour des vignobles pour sélectionner des variétés anciennes.

Le bouche-à-oreille fonctionne à plein, d’autres portes s’ouvrent, et non des moindres : celles de Tempier et Pibarnon à Bandol, Clape et Chave à Cornas, Abbatucci en Corse, Vernay à Condrieu, Thierry Germain et Anne-Claude Leflaive en Loire, Plageoles dans le Sud-Ouest, Lalou Bize-Leroy en Bourgogne, Stéphane Derenoncourt à Bordeaux… autant d’amoureux de la diversité ampélographique. Lilian Bérillon, qui n’a pas de force de vente, s’improvise VRP et parcourt alors 10 000 km par mois avec son Kangoo. « Comme dit Éloi Durbach, “ce n’est pas parce que c’est vieux que c’est bon” ; il faut donc aller voir les parcelles pour en avoir une vue sanitaire globale. On regarde l’âge des vignes, de préférence celles d’avant les années 70, avant que les clones n’aient tout remplacé car ils génèrent souvent des maladies. On se met alors en quête de la belle plante. Katia la repère à l’œil nu mais on valide par analyse car certaines maladies ne sont pas toujours visibles. On ne sélectionne souvent que quelques pieds, de préférence avant les vendanges, et on récupère les greffons l’hiver. »

Un conservatoire de cépages

Depuis 2003, Lilian s’intéresse aux vignes en bio et biodynamie, même si cela n’est pas une condition préalable. « Un pépiniériste ne peut pas hélas être certifié bio puisque l’insecticide est obligatoire contre la flavescence dorée ; un traitement est pourtant possible à l’eau chaude. » Mais c’est un autre combat… car son ambition est avant tout de sensibiliser la filière à l’ampélodiversité.

Le principe est donc que le vigneron donne de son matériel végétal pour créer un conservatoire dans lequel peuvent se servir d’autres vignerons. Lilian fournit ainsi 1,5 million de plants par an élevés à Jonquières. Le carnet de rendez-vous est plein, mais la société n’est pas encore florissante en raison de coûts de production élevés. Et même si un plant Bérillon coûte trois fois plus cher qu’un plant cloné – plus de 3 € –, il n’intéresse pas que les vignerons stars, des jeunes se passionnent aussi pour le patrimoine et la diversité ampélographique. Parmi les cépages les plus demandés actuellement, on trouve le cabernet franc, le malbec, le carignan, la counoise, le grenache blanc… Des cépages que Lilian plantera peut-être un jour, quelque part en France, car le « vignemaker » rêve toujours d’être vigneron. Il attend juste de tomber amoureux d’une vigne.