Accueil Coteaux Champenois : toujours tranquilles, de plus en plus fantastiques

Coteaux Champenois : toujours tranquilles, de plus en plus fantastiques

Auteur

Jean-Charles
Chapuzet

Date

01.05.2017

Partager

Surtout rouge, de Bouzy à Cumières, d’Aÿ à Vertus en passant par l’Aube, ce vin tranquille produit en Champagne reste énigmatique à plus d’un titre. Mais il se passe quelque chose ! Essai de compréhension et sélection de 25 bons ou excellents flacons.

C’est la nuit, le bug. Depuis l’an 2000 et ces 235 000 bouteilles recensées, les coteaux champenois ne sont plus quantifiables. Les statistiques n’existent plus, le CIVC noie cette production dans celle des vins effervescents. « Depuis 17 ans, les chiffres concernant les coteaux champenois n’existent plus, on nous a demandé de les intégrer à la production de champagne », explique Brigitte Batonnet du CIVC.

Les frémissements

Il faut avouer que la production des Coteaux Champenois varie énormément en fonction des millésimes et que sorti de Bouzy et de quelques autres villages, cela reste confidentiel voire peanuts. De plus, les grandes maisons de négoce n’en produisent pas et ne souhaitent pas que ce vin ne vienne brouiller l’image du Champagne. Circulez, y a rien à boire ! Ou si peu… Toutefois, les rares flacons de Coteaux Champenois se vendent bien et avec une belle valorisation. « Ils sont pratiquement vendus au prix du champagne, entre 20 et 30 euros, il y a une demande de la part des touristes qui viennent dans la région souhaitant boire local et via des amateurs de vins de niche comme à New-York par exemple », souligne Michel Drappier. Le vigneron Olivier Horiot ne dit pas autre chose : « Le Danemark, la Suède et le Japon, toujours en avance, décollent bien, sur de petits volumes bien sûr, mais ces marchés se sont ouverts pour moi grâce aux Coteaux champenois et enfin, quand je vois mes vins chez des cavistes à Beaune ou Bordeaux, ça fait plaisir ». Et d’autres grands noms y pensent : « On m’en demande beaucoup mais pour le moment, je n’en fais que pour moi », confie Erick de Sousa qui élabore deux grands chardonnays d’Avize et du Mesnil à faire rougir la Côte de Beaune. « 2012 fut notre premier essai, les retours sont plutôt positifs, arrivent 2014 et 2015 », prévient Jean-Sébastien Fleury. « La première mise est pour bientôt », ajoute Guillaume Selosse, bien conscient du potentiel. C’est dire si c’est de bon augure… Les Coteaux Champenois perçoivent-ils la lumière au bout du tunnel ? Toutes proportions gardées, quand on sait que les rouges du Jura – longtemps dans l’ombre du jaune – s’arrachent désormais à New-York…

L’histoire et la géographie

La production de vin tranquille en Champagne précède logiquement l’apparition de la bulle qui s’est faite aux contours du XVIIème siècle. Des Gaulois à l’ère chrétienne avec la conversion de Clovis à Reims, en passant par l’acculturation romaine, la culture de la vigne est importante en Champagne aussi bien d’utilité cultuelle que festive. Les 164 monastères établis au XIIIème* siècle sont autant de vignobles tenus au cordeau à l’image de la rigueur cistercienne. « Bernard de Clairvaux a notamment amené le cépage pinot noir dans l’Aube, il l’a ramené de Bourgogne », ajoute Michel Drappier. Par ailleurs, l’entité administrative de la Champagne intervient à la fin du XVème siècle à travers la généralité de Châlons et, avec elle, l’expression réputée « Vin de Champagne » en 1493, nous apprennent les historiens Eric Glastre et Georges Clause. La production de vin tranquille blanc, gris ou rouge est donc présente dans toute la région et connaît un réel engouement mais le succès rapide et conséquent du vin effervescent va réduire considérablement son volume. Dès le XIXème siècle, les vins rouges – ou clairets – constituent 90% de la production avec des lieux de prédilection, de Bouzy à Cumières sur la Montagne de Reims et dans l’Aube, patrie du pinot noir. Oubliés en 1936, les Coteaux Champenois obtiennent l’AOC en 1974 (rouge, blanc, rosé) calquée sur la Champagne viticole délimitée. Avant, notons qu’ils s’appelaient « Vin nature de la Champagne » ; par les temps qui courent, c’eût été un coup de com…

Bref, quatre ans plus tard, la mise en bouteille est exigée sur le lieu de production. Naturellement, un cahier des charges accompagne cette officialisation où l’on retrouve les cépages chardonnay, pinot noir et pinot meunier ; en sus une conduite du vignoble, d’élaboration, etc. En 1974, la production dépassait le million de bouteilles avec une belle notoriété des vins de Bouzy à Paris !

Du soleil et de la concentration

De fait, ce sont des résistants qui s’attachent à sauver encore aujourd’hui les Coteaux Champenois. Outre les maisons importantes Bollinger, Drappier, ils s’appellent, pour ne citer qu’eux, Egly-Ouriet, Pierre Paillard, Bérêche, Gatinois, Horiot, Dehours, Geoffroy, Tarlant, etc., une poignée de vignerons – très bons – attachés à sauver ces vins et conscients de leur qualité : « Il faut comprendre que l’on déclare tout en Champagne puis on déclasse des lots pour faire des Coteaux Champenois en fonction des qualités », précise Jean-Baptiste Geoffroy avant d’ajouter : « la production s’est maintenue sur les meilleurs sols, sur les villages d’Aÿ, Bouzy ou encore Cumières où j’ai mes parcelles qui sont très solaires ». La clef du succès réside dans l’ensoleillement et la concentration ! « On en fait quand les millésimes le permettent, à savoir les plus chauds, sur les terroirs appropriés, c’est-à-dire avec une exposition très ensoleillée comme sur ma parcelle plein sud Le Chaufour, et enfin de préférence avec des vieilles vignes qui donneront de petits rendements, des grappes plus petites, plus de peaux et donc de la concentration », explique Louis Cheval du Domaine Gatinois à Aÿ dont le millésime 2004, toujours frais et tendu, montre le potentiel de garde des meilleurs Coteaux Champenois.

Dans l’Aube, c’est le même combat sachant que le Rosé des Riceys est une appellation à part. La production ne s’est jamais arrêtée mais les volumes, là encore, restent minimes. « En séparant le Rosé des Riceys, je pense que la Marne en produit davantage mais nous avons aussi cette tradition, surtout du rouge, du pinot noir sur nos sols calcaires, de petits rendements et le réchauffement climatique nous aide, je fais aussi un blanc avec du pinot noir et je vais commencer à millésimer tous mes Coteaux », souligne Michel Drappier. Manifestement, on se fait plaisir, plus encore on essaye de regarder la Bourgogne, la référence observée aussi par les Champenois du Nord avec les pinots noirs d’Aÿ et de Bouzy, les pinots meuniers de Mareuil ou les chardonnays de la Côte des Blancs. Mais les blancs restent la niche de la niche. Moët & Chandon, Laurent-Perrier, plus récemment Agrapart ont arrêté leurs cuvées, faute de demande et confrontées à l’envolée du cours de la bulle. D’autres s’accrochent : « Les vignerons qui reviennent à l’essentiel c’est à-dire à la vigne en cherchant la maturité ont de beaux résultats, c’est le secret », plaide le talentueux Jérôme Dehours. Une question de secret, d’envie, de patrimoine aussi… « Quand on a la chance d’avoir trois appellations sur mon village, Rosé des Riceys, Coteaux Champenois et Champagne, on la saisit », conclut Olivier Horiot qui fait des merveilles. Encore un. Tranquillement, les Coteaux Champenois vont devenir une chasse gardée des amateurs de vins tendus, subtils, ciselés.

* Cf. Georges Clause et Eric Glastre, Le Champagne : trois siècles d’histoire, Stock, 1997.

Sélection des rouges

Devaux 2012 13/20
Nez étrange légèrement levuré, « carbo », impression de gamay, des notes sucrées barbe à papa. Bouche sans véritable défaut, sans trajectoire non plus. 19€

Collet Aÿ 2014 13/20
Nez entre la fraise et la fraise cette fois-ci Tagada, un peu de groseilles et de légères notes fumées. Bouche légère, fluide, sur le fruit et rien d’autre, milieu de bouche désordonnée et finale un peu courte. 36€

Georges Vesselle cuvée Véronique et Sylvie Grand Cru Bouzy 14/20
Très pale, cette cuvée multi-millésimes 100% pinot noir a un nez gelée de mûres, très puissant, un côté métallique entêtant que l’on retrouve en bouche avec des arômes de baies acidulées. Ça irancyte ! La maison millésime aussi un 2006 attestant d’un vin qui reste debout. 23,20 €

Rémy Bouzy Les Vaudayants 2012 14/20
Nez sanguin voire animal, framboises écrasées, noble rusticité qui annonce une belle concentration. Ce pinot noir, qui a vu 17 mois le bois, ni filtré, ni collé, a une bouche « vin naturel », en somme entre le sous-bois et le cidre, borderline mais pourquoi pas ? 26,5€ (Possible problème sur échantillon)

Bérêche & Fils Les Montées Ormes rouge 2014 14,5/20
C’est un assemblage de pinot noir et de pinot meunier de la montagne de Reims dans une maison qui élabore des champagnes magnifiques. Premier nez animal, pointe acétone, notes de fruits très murs et boisées, bouche pleine de groseilles, toujours ces arômes fumés pour une finale légèrement asséchante. Une touche rustique chez ce vin, un côté poulsard. 45€

Tarlant Argilite En Amphore 2014 15,5/20
Nez vernis à ongles, pommes au four, élégant et rustique à la fois, sur le vinaigre de framboise. Bouche très digeste, on est sur la finesse, des tanins électriques, un style à part, qui mérite le détour, là aussi sans filet, versus « nature ». (Possible problème sur échantillon) Pas encore en vente.

Drappier Urville non millésimé 15,5/20
Cette cuvée créée par le grand-père Drappier sur le terroir jurassique kimméridgien est élégante, naturellement sur les fruits rouges ; lisse en bouche, sensation diluée qui rend ce pinot noir très digeste. 23,5€

Olivier Horiot Riceys En Barmont 2010 16/20
Ce pinot noir est un bouquet de groseilles avec de fines notes salines. La bouche est diluée pour un fruit très facile à boire, c’est que l’on attend d’un Coteaux Champenois à fusiller entre amis. On n’est pas en Bourgogne au fond mais bien en Champagne. 29,90€

Gosset-Brabant Aÿ Grand Cru non millésimé 16/20
Nez très riche, un côté grenache de Châteauneuf-du-Pape avec les épices et la grosse cerise. La bouche confirme cette concentration de fruits rouges et noirs, on ne travaille pas sur la longueur mais quelle épaisseur, quelle poitrine! 31€

Paul Clouet Bouzy Grand Cru non millésimé 16/20
Nez noyau de cerises, myrtilles, légères notes de café. Une attaque très vive avec une belle acidité, la finale de ce pinot noir qui n’a vu que l’inox est plus sèche. La carafe lui fait du bien, ce vin demande de la patience pour en extraire le meilleur de la tarte aux myrtilles acidulée. 25€

Benoît Lahaye Bouzy 2014 16,5/20
Un rouge soutenu pour cette cuvée bio de pinot noir où 80% est vinifié en grappes entières. Le nez est délicat, profond, des fruits rouges mûrs ; la bouche élégante, des tanins fins mais une structure plus diffuse qui déconcentre ce vin et lui donne à la fois une grande buvabilité. 26€

Pierre Paillard Les Mignottes Bouzy 2012 16,5/20
Nez vernis à ongles et cerise à l’eau de vie qui affiche une belle personnalité. La bouche a un tannin soyeux, une finesse sur la groseille, c’est plaisant, équilibré, doublé d’une noble rusticité avec une finale légèrement asséchante. 39€

Brice Bouzy Grand Cru 2012 16,5/20
Rubis soutenu, nez très mûr, un côté Barrolo, plus encore Valtellina et son nebbiolo, les arômes de confitures de fraises témoignent d’une vendange sans doute tardive. La bouche est plus légère, exit le côté confituré, c’est soyeux, beaucoup de plaisir à se resservir. 26€

Bollinger La Côte aux enfants 2013 17/20
Cette cuvée vedette que Bollinger porte à bon escient pour l’image des Coteaux Champenois mérite sa réputation. Ce 100% pinot noir est d’une très belle concentration, un nez groseilles conjugué à des notes de réglisse. L’élevage de 8 mois en fûts neufs est maîtrisé, un travail sur la structure et non l’aromatisation. Ensemble élégant sur un millésime compliqué ! 90€

Larmandier-Bernier Vertus Premier Cru 2012 17,5/20
Nez très envoûtant digne des meilleurs bourgognes avec cette sensation d’acétone. Cette prestigieuse maison de champagne offre un pinot noir complexe, subtil que le léger gras accompagne, guide. Un vin très fin, équilibré, pensé pour durer. 50€

Dehours Troissy La Croix Joly 2012 17,5/20
Très beau nez de fruits noirs, sur la bigarreau. Une grande fraîcheur en bouche, de la fraise, des griottes, une très belle sucrosité, on dirait les vins de Stéphane Tissot mais versus pinot meunier. Un vin sans filet, très gourmand même si le mot devient galvaudé. 26,70€

Paul Bara Bouzy Grand Cru 100% 2008 18/20
Un rouge limpide, un nez côtes de nuits très élégant, un véritable bouquet de fruits rouge et de sarments fumés. La bouche de ce pinot noir est soyeuse, équilibrée, tendue. Bel exemple de garde des coteaux champenois sur une vigne de 50 ans exposition plein sud et sans élevage sous bois. 21€

Maison Geoffroy 100% Pinot Meunier Cumières 2012 18/20
La couleur et le nez annoncent une belle concentration. La bouche confirme une belle matière, c’est massif, terreux ; en Bourgogne nous serions à Pommard. Avant tout, c’est la maturité qui est bluffante tout comme la maîtrise de l’élevage. Les arômes de groseilles et de confiture de mûres finissent de signer cette cuvée qui est dotée d’un très beau potentiel de garde. Les pinots noirs de la maison sont du même acabit : chapeau ! 30€

Sélection des blancs

Collet Aÿ 2014 15/20
Nez frangipane et fleurs blanches. Ce pinot meunier affiche une jolie nervosité toute vineuse, en bouche il est guidé par une belle acidité pour une finale courte. 38€

Drappier Urville Blanc de noirs non millésimé 16/20
Nez vineux, pâte d’amandes et noix, un côté chenin sur une légère oxydation. L’attaque en bouche de ce 100% pinot noir est vive, suspendue à une belle acidité, sensation de tube, lisse, un beau gras, une finale sur les agrumes et surtout l’ananas. 21,3€

Dehours Mareuil Les Rieux 2011 16/20
Ces vieillies vignes de chardonnay délivrent un nez brioché, croûte de pain, une légère sensation de riesling par des notes pétrolées, salines. La bouche est guidée par une légère trame acide où s’invitent des arômes d’iris et de fleurs blanches, pour une finale à nouveau saline. 26,70€

Claude Cazals Le Mesnil sur Oger 16/20
Ce blanc de blancs a un nez délicat sur la pâte d’amandes, légèrement beurré. La bouche est ample, toujours délicate sur les arômes de fleurs banches et jaunes, soyeuse enfin pour une très belle longueur. 19,90€

Pierre Paillard Les gouttes d’or Bouzy 2012 16/20
Premier nez agrumes ananas qui pourrait être du sauvignon avant que le chardonnay (+50% de pinot noir) ne s’impose avec du gras et du beurre frais. Bouche légèrement pétillante, belle acidité, finale saline. Un vin qui réclame des huîtres! 39€

Olivier Horiot Riceys En Valingrain 2013 16,5/20
Cet assemblage de chardonnay et de pinot blanc a le nez des meilleurs champagnes parcellaires, sur beurre frais, le rancio, la frangipane. D’emblée, la bouche expose un vin de gastronomie d’une noble tension, d’une belle trame acide ; bienvenue dans les vins du nord, le Grand Nord. 29,90€

Maison Geoffroy Cumières 2011 16,5/20
Le chardonnay impose un nez beurre frais et légèrement fumé, un côté Puligny Montrachet. Le vin est très équilibré, une acidité davantage chablisienne vient guider le gras-rancio apporté par 40 mois d’élevage. Ce vin, ni collé ni filtré, est fait « pour s’amuser », explique Jean-Baptiste Geoffroy. On aimerait que tous les vignerons s’amusent ainsi. 32€