Accueil Le trésor des grands vins de Bordeaux se trouve à Monaco

Le trésor des grands vins de Bordeaux se trouve à Monaco

Auteur

La
rédaction

Date

08.07.2013

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Creusée dans le rocher monégasque, la cave de l’Hôtel de Paris est la plus grande cave privée du monde. Elle abrite 350 000 bouteilles : un trésor évalué à 12 millions d’euros.

C’est un peu comme si vous traversiez le miroir. Un autre monde est bien là, dissimulé sous l’Hôtel de Paris, le cinq étoiles monégasque. On le trouve presque par hasard. Après s’être enfoncé dans une épaisse moquette bleu roi, un discret petit escalier mène, en quelques marches, à un étroit couloir aux murs blancs. Il descend en pente douce sur plusieurs dizaines de mètres. Un virage à angle droit et les murs passent du blanc à un rouge bordeaux. La lumière se tamise. Une solide grille noire apparaît. Une caméra surveille discrètement l’entrée. Le trésor est là, juste derrière, à l’abri, dans le silence et la fraîcheur. Il se moque des brûlures du soleil et du tumulte des Ferrari qui rugissent quelques mètres au-dessus.

Un trésor de flacons, évalué 12 millions d’euros à l’achat, que seule une poignée de propriétaires de grands vins et de rares clients ont eu le privilège de découvrir en un siècle. 350 000 bouteilles constituent la plus grande cave privée d’hôtel au monde, et certainement la plus prestigieuse, si l’on en juge par les étiquettes. Cet incroyable souterrain propose 6 000 références de vignobles du monde entier, dont un tiers de Bordeaux. Mais pas n’importe lesquels. Les plus grands crus de Gironde y sont impeccablement rangés en casiers et par années depuis plus d’un siècle.

Ouverte en 1874

Car cette cave est une vénérable institution née en 1874, que l’on doit à une dame qui souhaitait à l’évidence que Margaux et Yquem reposent en paix. Autrefois, le vin de Bordeaux arrivait en tonneaux à Monaco. Il était embouteillé dans un entrepôt près de la place du Casino. L’épouse du premier propriétaire de l’Hôtel de Paris, Marie Blanc, décida d’y construire une cave sur le modèle des chais bordelais, afin d’abriter ce qui deviendra avec le temps des raretés. À l’intérieur du rocher, dans les 1 500 mètres carrés de ce dédale de salles voûtées et de couloirs, les mythiques premiers grands crus de Margaux, Pauillac, Pessac-Léognan, Pomerol, Saint-Émilion et Sauternes ne sont que rarement dérangés.

Ils l’ont étonnamment été par la princesse Grace, qui aimait passer dans ce monde, jouer à Alice en disparaissant sous terre dans ce lieu humide et voûté. Elle y organisait des dîners avec des stars de passage, notamment un, resté célèbre, pour son vingtième anniversaire de mariage. Aujourd’hui, ce sont les cavistes et sommeliers, rompus à ce classement souterrain, dirigés par un affable Monégasque, Gennaro Lorio, qui en troublent la quiétude. Ils font remonter chaque jour des centaines de bouteilles vers les hôtels, restaurants et casinos de la Monte-Carlo SBM, une société âgée de cent cinquante ans.

150 jours pour déguster

La SBM a choisi de mettre pour la première fois en scène son trésor. 150 ans, 150 vins, 150 jours. De grands bordeaux peuvent être dégustés au verre pendant 150 jours depuis le samedi 22 juin dans les établissements du groupe, à des prix élevés mais pourtant « avec une faible marge » puisqu’il s’agit d’une opération promotionnelle. Qu’on en juge. De 20 euros pour les moins chers, on accède à de très beaux noms (château-d’yquem 2006 ou cos-d’estournel 2007) à partir de 50 euros. Un verre d’un prestigieux premier grand cru classé coûtera un peu plus de 100 euros. Le millésime 1999 de Petrus est proposé à 150 euros. Le vin le plus cher de la dégustation est un rarissime et éblouissant pomerol, le-pin 2000, à 190 euros le verre. Autant dire qu’il est préférable de le déguster lentement, de savourer la plus petite gorgée.

Pour transformer cette opération en événement, la SBM avait mis les petits plats dans les grands, en l’occurrence ceux du chef Alain Ducasse, qui dirige le restaurant Louis XV dans l’hôtel. Elle a invité une trentaine de propriétaires ou représentants de grands châteaux bordelais à la dégustation exceptionnelle de ces 150 vins à l’Hôtel de Paris, devant lequel une vigne éphémère a été plantée. Le tout en présence de personnalités monégasques comme le prince Albert ou le milliardaire russe Dmitry Rybolovlev, président du club de foot de Monaco.

Une image à changer

Mais il y a derrière la mise en valeur de cette cave un motif plus terre à terre et un constat moins réjouissant pour les bordeaux. Même sur ce rocher où l’on dépense sans compter, ils ont plutôt l’image de vins chers et moins faciles à boire que ceux issus de vignobles d’autres régions ou pays. Les chefs sommeliers qui dirigent la cave de l’Hôtel de Paris n’en achètent d’ailleurs pratiquement plus. « En tous les cas plus de vins vieux », admet Gennaro Lorio. Les millésimes récents ont désormais la cote. Les bordeaux ont certes gardé tout leur prestige, mais ils n’ont pas encore pris, à Monaco tout au moins, le coup de jeune de beaucoup d’autres produits de luxe. Ils y dorment en paix comme de vénérables vieillards, en attendant peut-être une seconde jeunesse, faute de l’éternité.

Bruno Béziat (source)