Quels vins avec un Picodon ?

Petit fromage au lait cru de chèvre, le Picodon nous a regardés de haut quand en 1996 il s’est retrouvé dans les bagages de Jean-Jacques Favier lors de la mission spatiale Columbia. La Nasa avait accepté le principe d’une ration quotidienne de calcium pour les sept astronautes durant les dix-sept jours de vol.

Drôme et Ardèche : deux départements et quelques zones contigües, vaste territoire qui témoigne d’une économie rurale aux accents d’antan. Le picodon semble y avoir toujours existé, nourrissant son quota de paysans qui n’avaient guère que quelques chèvres pour subsister. Le fromage, ils le conservaient dans un récipient de terre, la biche. De frais et blanc immaculé, les petits palets crémeux séchaient, se couvraient de jaune, de chamois ou du gris de la moisissure attendue. L’odeur s’affirmait comme son goût, semaine après semaine. Piquant et petit, l’étymologie épouse la saveur et la forme.
AOP depuis 2000, il se fabrique par coagulation de lait de chèvre de race saanen et alpine par addition d’une faible quantité de présure naturelle. La durée du caillage varie de 12 à 48 h pour obtenir une bonne acidité. Moulé dans de petites faisselles percées de trous, le caillé y adopte sa forme définitive : palet plat de 1 à 3 cm de haut pour 5 à 7 cm de diamètre, d’un poids de 80 à 100 g. Pâte molle jaune ou blanche, il offre une odeur caprine, un goût de noisette, d’herbes de garrigue et de pierre à fusil. S’ils sont lavés et affinés minimum 1 mois, leur saveur devient animale et le piquant se renforce, c’est la méthode Dieulefit.

DOMAINE DAVID REYNAUD
Aux Bêtises d’Éloise et de Léa 2013, Crozes Hermitage blanc (15 €)
Doré intense, le nez expressif évoque les liqueurs de poire et d’amande relevées de poivre blanc, une nuance de fenugrec s’y ajoute. La bouche suave se rafraîchit de citron vert dont l’écorce un rien amère renforce le caractère minéral. La chair d’un raisin aux accents de muscat apporte une saveur particulière qui charme le picodon. Elle lui remémore les veillées de Noël quand à minuit se croquent fruits secs et baies juteuses. Le minéral du vin, il l’apprécie comme autant de gemmes qui lui rappellent sa montagne.

DOMAINE THILLARDON
Les Carrières 2014, Chénas (13 €)
Un disque rose illumine le grenat violacé de la robe. Le nez d’épices se noircit d’un trait de sureau, rougit de baies charnues. En bouche, tout semble calme, en attente, mais après une brève inertie gustative, les fruits déboulent en masse. Attisés par le cumin et la réglisse, cerise et framboise caracolent des tanins soyeux. Ces derniers emballent dans la foulée le picodon surpris par la richesse fruitée. Fromage et vin forment d’emblée un couple gourmand et généreux.

DOMAINE D’AUPILHAC
Le Carignan 2013, IGP Mont Baudile (17, 70 €)
Vêtu de pourpre sombre, nez délicatement poivré, il marche sur un tapis de fleurs blanches à la rencontre du picodon. Compotes de fruits rouges et noirs emballées dans une soie tannique seront ses présents. Fruits épicés du vin se confisent au contact minéral du fromage. Confitures fraîches qui évoquent les mélanges de prunelle, de mûre, de griotte, de fraise et de pêche de vigne. L’épice parle de poivre noir nuancé de cannelle. La longueur reprend le duo en chœur. Le vin, certes facile d’accès, plaît d’entrée. Il développe toutefois son petit caractère ce qui ne déplait pas au fier picodon.

Cet article a été publié dans la rubrique « Vins & Fromages » – Terre de Vins n°35, mai-juin 2015.