Accueil Carignan, le nouveau malbec ?

Auteur

Anne-Sophie
Thérond

Date

11.06.2018

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Un cépage peut-il devenir une marque à succès ? Le quatrième colloque de l’association Carignan Renaissance a travaillé cette question, le 24 mai dernier. Les éditions précédentes du Carignan Day avaient traité d’ampélographie et de technique, l’identité carignan s’est affinée au fil des éditions comme une mosaïque de personnalités, terroirs, parcours, cimentée par la fierté de « faire » du carignan. Elle était à maturité pour aborder le thème provocateur choisi par les étudiants de SupAgro qui co-organisaient le colloque : « Faire du carignan une marque ».

« Oui, un cépage peut devenir une marque » explique Jérémy Arnaud « terroir manager ». Instigateur de la success story Cahors-Malbec, il raconte cette épopée, qui a chipé la vedette à l’Argentine, et sauvé l’AOC Cahors. « Dans les années 2000, le vignoble de Cahors allait très mal. Les stocks étaient au plus haut et le prix du vrac en baisse. Le cépage principal (à 70% au minimum) de l’AOC Cahors s’appelait auxerrois dans le Sud-Ouest, côt de son nom ampélographique, malbec à l’international. Depuis 1998, l’Argentine le revendiquait, avec un marketing offensif à l’échelle internationale. L’AOC Cahors a décidé de réagir pour se sauver ! Ses atouts : une image d’authenticité, qui pouvait se superposer à un aspect « vin-plaisir de la vrai vie » et « grand vin de terroir ». Cahors a commencé à communiquer, à l’international, comme The Capitale of Malbec, en 2008, puis a continué avec The French Malbec en 2010, The Terroir Malbec en 2014. Cette stratégie de communication s’est déployée sur la toile numérique, sur les salons, sur le territoire, avec la création à Cahors de la Malbec Lounge, sur l’identité visuelle, avec la création du verre AOC Cahors, de la signalétique. Aujourd’hui, le président de l’AOC Cahors, Maurin Bérenger, se félicite de la réussite. Le Cahors-Malbec reconnu aujourd’hui comme un grand vin de terroir. » Cahors compte aujourd’hui une centaine de vignerons « visibles », avec des talents, qui permet à chacun de développer sa marque, sous la « marque parapluie » Cahors-Malbec. L’innovation consistait aussi, face à une INAO défavorable à la mise en avant de cépage, dans la signature juxtaposant une AOC, Cahors, et son cépage, le Malbec. « On a sauvé une appellation en faisant du marketing », résume Jérémy Arnaud, « terroir manager ».

Le carignan, de renaissance à reconnaissance ?

En table ronde, Jérémy Arnaud, Hervé Hannin, Directeur de l’Institut des Hautes Études de la Vigne et du Vin (IHEV) de Montpellier SupAgro, Bruno Kessler, Président de l’AFED (l’Association Française des Embouteilleurs et Distributeurs de Vins et Spiritueux), Frédérique Vaquer, vigneronne dans le Roussillon et pionnière du carignan, et Marie-Josée Richaud, œnologue, de l’Université du Vin de Suze La Rousse ont porté un regard à 360°, de la production à la mise sur le marché, sur la possibilité « faire du carignan une marque ».

Frédérique Vaquer raconte comment elle a basé l’identité de son domaine sur le carignan, depuis 1998. A cette époque où le carignan avait une mauvaise image, son parti-pris a pourtant séduit et fidélisé ses clients. Les vignerons dans l’assemblée confirment qu’aujourd’hui, le carignan (rouge et le rare blanc et gris) rencontre une estime et une demande croissante, auprès d’un public amateur, comme des professionnels (caviste, bar à vin…) Jeff Carrel, atypique « winemaker », confirme combien les vignes de carignan sont difficiles à trouver.

Hervé Hannin, expert marketing, rappelle qu’il faut d’abord connaître son marché et sa notoriété. Qu’en est-il du carignan, est-il « bien connu… de peu de gens » ?

Jérémy Arnaud souligne que le carignan, au contraire du malbec, n’est pas rattaché à un terroir spécifique. Mais il n’est pas obligatoire d’avoir un ancrage territorial, notamment pour toucher les nouveaux consommateurs « millenials » en recherche d’expérience. Bruno Kessler, familier des marques et des marchés internationaux, rappelle que pour « s’adresser » aux marchés en croissance des USA ou de l’Asie, une marque doit « peser » 500 000 caisses par an, avec un objectif de profit et de croissance. Est-ce que le carignan peut, et veut aller vers cela ?

Une alternative possible à la marque est la « signature-passion ». Le grenache prend cette direction, avec une astucieuse communication, autour du « Grenache day ». L’Espagne voisine possède aussi son Cariñenas, cépage et appellation en Aragon (voir l’excellent article de Hervé Lalau dans ses Chroniques Vineuses).

Pour le carignan, après la renaissance, c’est le temps d’agir pour la reconnaissance !

Parmi la dégustation du Carignan Day 2018, se trouvait les carignans de :

Jon Bowen – Domaine Sainte Croix, à Fraïssé des Corbières (11)
Sophie Guiraudon – Clos de l’Anhel, Montlaur (11)
Domaine Champ des Soeurs à Fitou (11)
Domaine de l’Oustal Blanc, La Livinière (11), cuvée K
John Bojanowski – Clos du Gravillas, à Saint Jean de Minervois (34), lo Viehl carignan de 100 ans
Château de la Salade Saint-Henri, Saint Mathieu de Tréviers, (34), avec sa nouvelle cuvée Herodias, qui a gagné le concours du Carignan cette année
Domaine du Vieux-Chai, Roquebrun (34)
Berhard Backhaus – Domaine Lanye Barrac, à Roquebrun (34), en bio, l’Inifini Carignan
Frédérique Vaquer – Domaine Vaquer, à Tresserre (66), L’Expression, le carignan depuis 1998

Et l’ensemble des membres de l’association Carignan Renaissance sont accessibles sur le site.