Accueil Terroirs et Vignobles Champagne Pol Roger : les incroyables bouteilles ensevelies en 1900 bientôt excavées ?

Champagne Pol Roger : les incroyables bouteilles ensevelies en 1900 bientôt excavées ?

Auteur

Joëlle
W. Boisson

Date

03.01.2018

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Pol Roger entame de grands travaux et choisit de rester au centre d’Épernay. Les nouveaux bâtiments seront construits dans une zone où, il y a 118 ans, un glissement de terrain a recouvert plus d’un million de bouteilles.

C’est une des missions du nouveau chef de caves du champagne Pol Roger, Damien Cambres, qui prendra opérationnellement ses fonctions le 2 avril 2018. Construire un nouveau site de dégorgement-habillage-expédition pour adapter l’outil de production à une maison qui a doublé de taille en 40 ans, atteignant même le chiffre record d’1,7 million de bouteilles expédiées à fin 2017.

Construire oui, mais où ? Pol Roger est situé en plein cœur de la ville d’Épernay, au N°34 de l’avenue de Champagne et sa parallèle, rue Winston Churchill. Alors que, l’une après l’autre, les maisons de champagne de Reims et d’Épernay quittent le centre-ville pour bâtir des centres de production et de logistique en périphérie, Pol Roger affirme sa différence. « Après discussion avec la mairie d’Épernay, nous avons décidé de conserver l’intégralité de notre production ici, même si nous serons une des dernières maisons à expédier depuis Épernay, sourit Hubert de Billy, 5e génération familiale à la tête de Pol Roger. Un des délicieux détails d’une maison qui conserve une manière de travailler traditionnelle (comme celui de remuer les bouteilles à la main). « Ce sont ces petites choses qui ne sont pas quantifiables parce que trop subtiles, mais qui à la fin font la différence et la particularité de notre maison », complète Hubert de Billy.

Soit, construire en plein centre d’Épernay, mais où ? « Nous avons une importante réserve foncière à côté du siège social, actuellement occupée par des jardins », glisse Hubert de Billy. Le projet d’extension inclut également la récupération de bâtiments et caves souterraines jusqu’alors louées à une autre maison et dont le contrat de location arrive à échéance [NDLR : le 42 avenue de Champagne, longtemps occupé par la marque Vranken jusqu’à son déménagement à Reims].

Un petit coup d’œil à Google Maps© précise les choses : entre l’avenue de Champagne et sa parallèle rue Winston Churchill d’une part, les rues perpendiculaires Croix de Bussy et Godard Roger d’autre part, s’étendent plusieurs hectares occupés majoritairement par des zones vertes de jardins. Une réserve foncière avec accès direct sur l’avenue la plus chic de Champagne, classée site remarquable du goût et patrimoine mondial de l’Unesco !

Sous les pieds, un gruyère

Ce qui est intéressant en surface devient passionnant en sous-sol, dans le labyrinthe des caves. Épernay compte en effet sous la surface plus de 100 km de galeries. Pour Pol Roger, ce sont 7,5 km de galeries construites en différentes époques et sur 3 niveaux en un véritable labyrinthe, abritant plus de 9 millions de bouteilles.

La petite histoire rejoint ici la grande car le projet d’extension réhabilite la zone du domaine située le long de la rue Winston Churchill et Godart Roger, « là où les caves s’étaient effondrées ». En effet, le vendredi 23 février 1900, en pleine nuit, Pol Roger a subi le plus grave glissement et affaissement de terrain qu’ait connu la Champagne. Voici ce que reporte le Journal de la Marne dans son édition des samedi 24 et dimanche 25 février 1900 : « En raison des pluies diluviennes qui se sont abattues sur notre région cet hiver, un tassement s’était produit il y a quelques jours et les ouvriers […] étaient occupés à étayer les voûtes des caves qui se fendaient par place. Une catastrophe était à craindre […] et elle s’est produite hier vers 5 heures ½ du matin. Le sol sur une superficie de ¾ d’hectare s’affaissait d’environ 5 mètres, entraînant une partie des bâtiments de la maison Pol Roger.

Il est heureux que cette catastrophe se soit produite à cette heure, car une heure plus tard cinquante ouvriers auraient été ensevelis. […] Il est à craindre que les deuxièmes caves ne résistent pas à la masse qui s’est affaissée sur les voûtes. […] La rue Godart-Roger s’est affaissée de 4 mètres sur une longueur de 100 m environ. On remarque un trou de 6 mètres de circonférence et de 7 mètres de profondeur. Le mur de clôture de la maison Pol Roger s’est couché complètement sur le côté. »

Pendant plusieurs jours, le sol a continué de s’affaisser, tandis que les ouvriers s’affairaient à déménager à l’abri les bouteilles et le vin en tonneau, mais certaines parties des caves, trop effondrées, n’ont pu être dégagées. 500 tonneaux et 1,5 million de bouteilles ensevelis sous des tonnes de terre ! Des raisons de sécurité sur cette zone instable ont empêché de poursuivre, puis les priorités d’investissement ont porté ailleurs : l’achat d’un nouveau terrain (juillet 1900) au 34 de l’avenue d’Épernay et la construction d’un cellier (1901), la reconstruction d’un grand bâtiment (1929) suite aux bombardements de la guerre, puis ses aménagements successifs jusqu’à la nouvelle cuverie ultra-moderne achevée en 2012.

Les futurs investissements décidés par la famille actionnaire de Pol Roger remettent en lumière cette zone où la nature a repris ses droits. Combien de bouteilles pourraient être restées intactes ? Des centaines ? Des milliers ? Davantage ? Hubert de Billy temporise. « Tout ce qui était vin en tonneau a bien sûr disparu. Quand aux bouteilles, il s’agissait de verre soufflé bouche, plus fragile que les bouteilles d’aujourd’hui. » Le ton est prudent, mais les yeux brillent ! Dominique Petit, actuel chef de caves, ne peut s’empêcher d’ajouter : « l’accident ayant eu lieu en 1990, ce sont donc des bouteilles du 19e siècle », avant d’inventorier les plus vieux millésimes encore présents en cave : 1865 (29 bouteilles), 1870, 1874, 1892… Ce trésor sera-t-il bientôt complété ?