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La Champagne face au réchauffement climatique

Auteur

Joëlle
W. Boisson

Date

25.04.2016

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En 30 ans, les températures ont augmenté de 1, 3°C en Champagne. Quelles sont/seront les conséquences ? Trois producteurs ont plongé dans leur vinothèque pour essayer de comprendre et d’imaginer. Expérience.

Les nouveaux records de température enregistrés au mois de mars rappellent que le réchauffement climatique est en route. Pour la Champagne, est-ce une mauvaise chose ? Quelles seront les conséquences si l’élévation des températures reste sous la barre-objectif des 2°C ? Plusieurs opérateurs (le vigneron Pierre Gimonet & Fils, la cave Mailly grand cru, le négociant Charles Heidsieck) ont ouvert leur oenothèque pour une déguster comparativement plusieurs millésimes et suivre leur évolution dans le temps. Étudier le passé n’est pas une boule de cristal, mais donne de sérieux indices pour anticiper le futur.

La revanche des terroirs les plus froids

Spécialiste de la Côte des Blancs depuis plus de deux siècles, le domaine Pierre Gimonnet & Fils est basé à Cuis où il possède plus de 11 ha, et Didier Gimonnet se félicite de « l’acidité naturelle de ce village et de la fraîcheur qu’il confère aux assemblages ». De fait, les terroirs plus tardifs, autrefois un peu dénigrés, sont aujourd’hui considérés avec un nouvel intérêt, alors que les dates des vendanges ont avancé de trois semaines en 20 ans. « Autrefois, on atteignait les 10, 5 degrés potentiels en octobre, et il était souvent impossible d’aller plus loin car les jours raccourcissaient et les feuilles mourraient, constate le vigneron. Aujourd’hui, les raisins sont vendangés à 11° potentiels et plus, 11, 4° très précisément sur la vendange 2015 ».

Trois millésimes ont été dégustés, à chaque fois avec dix ans d’écart : 2006, 1996 et 1986. L’effet millésime est bien sûr très marqué d’une année à l’autre, mais globalement, on remarque que 2006 a évolué beaucoup plus vite que ses prédécesseurs. Dans l’équilibre toutefois, de fines notes mentholées en finale sont caractéristiques du cépage et de ces terroirs. Elles contrebalancent admirablement une bouche riche et ronde aux arômes pâtissiers.

Travailler le cépage, la concentration, et mille détails de l’élaboration

Chez Charles Heidsieck, on réfléchit depuis plusieurs années aux mesures à suivre pour accompagner le réchauffement. Le Brut millésime 2005 (année chaude aux fortes teneurs phénoliques) a été jugé typique des millésimes auxquels s’attendre dans la prochaine décennie. Après 10 ans de garde, il déroule une gamme aromatique très riche et très « Charles » : papaye confite, caramel au beurre salé, bonbon au miel et à l’eucalyptus. La bouche joue sur du velours, avec finesse et crémeux final. Pas si mal, s’il s’agit de l’étalon des futurs millésimes !

Selon Cyril Brun, chef de cave de la maison, le meilleur levier face au réchauffement est le cépage, en particulier le chardonnay, qui apporte beaucoup de fraîcheur. De fait, Réserve des Millénaires 1995 (100 % chardonnay) brille d’un profil à la fois opulent mais tendu. A l’aveugle, impossible d’imaginer qu’il a 10 ans de plus que le vin précédent ! Mais difficile aussi d’augmenter les assemblages en chardonnay, déjà le cépage le plus rare de Champagne.

Deuxième levier : la concentration. Le brut rosé 1985 offre à cet égard un exemple édifiant. Cette année là, les gelées du début d’année ont détruit de nombreux bourgeons, et ceux qui ont survécu ont été concentrés par un été particulièrement chaud. Cette concentration a permis au rosé 1985 de vieillir admirablement, mais avec un profil aromatique très atypique (cigare, caramel, thé noir).

Enfin, selon le chef de cave, ce sont mille petits détails au cours des vendanges et des vinifications qui, ajoutés les uns aux autres, permettront de mieux gérer des vendanges plus précoces et plus chaudes. Parmi ceux-ci : l’ajustement des circuits de cueillette (chaque village est divisé en 5-6 zones pour suivre encore plus finement les maturités) ; la maîtrise des températures pour rentrer des raisins moins chaud (vendanges la nuit ou très tôt le matin ?) ; ou le blocage des fermentations malolactiques qui, lorsqu’elles se produisent, désacidifient naturellement les moûts.

Vendanges précoces, vendanges tardives

Pour finir, Mailly grand cru, spécialiste du pinot noir sur le village éponyme, a sorti de son oenothèque des bouteilles de millésimes proches, mais issues l’une d’une vendange précoce, l’autre d’une vendange tardive : Grand cru 2003 et grand cru 2001 (tous deux 75 % pinot noir, 25 % chardonnay), puis même exercice avec grand cru 1989 et grand cru 1987.

Les dégustations sont déroutantes, l’effet millésime est très net, mais le raccourci « vendange précoce – raisins très mûrs (sucre) – grand millésime » ne fonctionne pas. Plus encore, d’autres paramètres, comme le nombre de jours entre la floraison et la récolte et les conditions de maturation (lente ou rapide, régulière ou discontinue) jouent un rôle tout aussi considérable. Et le chef de caves Sébastien Moncuit utilise de plus en plus des paramètres comme la maturité phénolique ou la durée de période végétative pour conduire ses choix de vinifications ou de mise en réserve de millésimes.

Que déduire de toutes ces dégustations ?

Tout d’abord que les champagnes sont de grands vins de garde, les dégustations de ces vins millésimés ont été époustouflantes ! Ensuite, selon la devise du philosophe Pascal, que « Notre esprit se lassera plus tôt d’imaginer que la nature de concevoir ».
Si les champenois sont extrêmement mobilisés face au réchauffement climatique (+ 1, 3°C en Champagne sur les 30 dernières années), force est de constater que, pour l’instant, les conséquences sont plutôt positives : disparition des terribles gels de printemps, diminution des traitements et produits phytosanitaires, moins de maturations languissantes et un impact sècheresse pour l’instant contenu grâce à l’effet « éponge » de la craie. Au niveau des vins, moins de dosage et un élevage/une patine plus précoces, ce qui n’est pas pour déplaire aux financiers et gestionnaires de stock.

Qu’en sera-t-il à échéance 20 ou 30 ans ? Si le réchauffement reste contenu au dessous de 2°C selon l’objectif de la COP 21, alors les Champenois pensent pouvoir adapter avantageusement leur viticulture et leur production. Au-delà ? C’est la grande inconnue.