Accueil Élections américaines : un millésime au goût amer

Élections américaines : un millésime au goût amer

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

09.11.2016

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A l’issue de plusieurs mois de campagne, les urnes ont rendu leur verdict cette nuit : le milliardaire et candidat des Républicains Donald J. Trump a été élu 45ème Président des États-Unis. Nous avons demandé à un sommelier américain basé en France, Kelly McAuliffe, de nous donner son témoignage, sans langue (ni gueule) de bois.

Bien qu’il vive en France depuis plus de trente ans, Kelly McAuliffe n’a pas perdu l’accent américain qui teinte son français soigné ; ce natif du Nevada (un « swing state » décisif…) n’a surtout pas oublié l’un des fondamentaux de la démocratie américaine : le droit à la libre expression (qui figure dans le premier amendement de la Constitution). C’est donc sans langue de bois – et avec la perspective d’une sacrée gueule de bois – qu’il a accepté hier de nous donner son éclairage « décalé » sur l’élection présidentielle qui a conduit, cette nuit, au sacre de Donald J. Trump.

Champagne bling-bling contre chardo californien

« Comme toujours, le débat et le choix se sont concentrés sur les deux poids lourds des gros partis, mais il y avait d’autres candidats dont personne ou presque ne parlait. Au final le peuple américain a dû faire un choix pas facile : une menteuse ou un bouffon ? Il est certain que Trump est une catastrophe, mais Hillary Clinton n’est pas très aimée : elle n’inspire pas vraiment confiance, elle est dans le paysage depuis longtemps, elle a l’appui des grandes banques… Si les Démocrates avaient désigné quelqu’un comme Bernie Sanders, cela aurait représenté une vraie alternative. Quand on voit les sommes dépensées pendant cette campagne, c’est un vrai scandale ». Et si les deux candidats devaient être un vin ? « Trump, avec son côté bling-bling, ce serait un champagne très cher : j’ai pensé à Dom Pérignon ou Cristal Roederer, mais je crois que le plus adéquat c’est Armand de Brignac, la marque rachetée par le rappeur Jay Z. Quant à Hillary, je la vois bien en chardonnay californien style Sonoma Cutrer, un vin pas très franc, très boisé, qui cache son jeu… »

Buvabilité sans frontières

On l’a compris, aucun des deux candidats n’avait vraiment les faveurs de Kelly McAuliffe, qui vit dans le Gard, non loin d’Avignon. « Je suis arrivé en France en 1984, je suis tombé amoureux de ce pays et de ses vins, et j’ai voulu devenir sommelier. J’ai fait mes classes chez Alain Ducasse, qui m’a propulsé chef sommelier à Monaco, Paris (Spoon), plus tard Las Vegas, où j’étais directeur des vins : on gérait jusqu’à 600 couverts par soir. Entre-temps j’ai collaboré avec le chef Christian Étienne, à Avignon ». Aujourd’hui, Kelly McAuliffe, qui se présente fièrement comme « le seul sommelier américain exerçant en France », exerce en indépendant. Il est devenu un ambassadeur de choix pour les vins du Rhône, dirigeant des animations, des master classes et des visites du vignoble à destination des professionnels américains, et n’hésite pas à traverser l’Atlantique pour prêcher la bonne parole auprès de ses compatriotes : « je suis un passionné des vins du Rhône. J’aime beaucoup les vins des autres régions, bien sûr, Bordeaux, Bourgogne, les grands blancs de Loire, mais j’aime la convivialité que l’on trouve dans le vignoble rhodanien, qui présente selon moi, avec le Languedoc, de très bons rapports qualité-prix, avec beaucoup de buvabilité. »

Buvabilité, le mot est lâché : qu’en est-il des vins de son pays d’origine ? « On a vu les mentalités évoluer ces derniers temps, on revient un peu des vins alcooleux, hyper concentrés, boisés, à la mode Parker, on va vers plus de fraîcheur, mais beaucoup de vins restent encore très techniques, sans âme. Il y a de belles exceptions, notamment en Californie dans la région de Paso Robles (qui accueille l’événement Hospice du Rhône, NDLR), mais la France demeure le grand pays du vin. Attention cependant à ne pas se reposer sur ses lauriers, face à la concurrence internationale, ni à se tirer une balle dans le pied à force de règlementations… On l’a vu avec la Loi Evin, la France ne doit pas oublier qu’elle est le pays du French Paradox. J’ai beaucoup de chance de faire un métier qui m’amuse et me passionne et je suis très fier que les Français m’aient accepté, d’ailleurs j’ai la double nationalité ! Enfin, en espérant que Trump ne va pas changer ça… »