Accueil Haute gastronomie et grands crus à Saint-Emilion

Haute gastronomie et grands crus à Saint-Emilion

Auteur

La
rédaction

Date

20.12.2012

Partager

A l’occasion du trentième anniversaire de l’Association de Grands Crus Classés de Saint-Emilion, le président Alain Moueix a accueilli, au Château Fonroque, un déjeuner d’exception signé Alain Passard : le chef de l’Arpège y a sublimé les accords mets et vins.

« Prenez et goûtez ce grand vin, il écrira sur vos langues la carte du temps ». C’est sur cette citation du philosophe Michel Serres qu’Alain Moueix a inauguré, mardi 18 décembre, le déjeuner exceptionnel qu’il a accueilli sur sa propriété de Château Fonroque, à l’occasion des 30 ans de l’Association de Grands Crus Classés de Saint-Emilion (AGCCSE).

Prenant la parole en tant que maître des lieux et président de l’association, l’éloquent vigneron s’est réjoui de voir ainsi réunis les représentants des crus classés de l’appellation, des maisons de négoce, mais aussi quelques journalistes, à la fois pour célébrer cet anniversaire symbolique, mais aussi pour rassembler « toute la famille » suite à la récente promulgation du nouveau classement. Le spectre de l’annulation du classement de 2006 étant encore dans toutes les têtes, cette « remise à plat » de l’automne 2012 a permis à tout le monde de se retrouver dans une ambiance de concorde bien palpable. Ce qui au passage, a incité Alain Moueix à saluer le principe d’un classement revu tous les dix ans, par opposition à d’autres vignobles bordelais dont l’élite est gravée dans le marbre de façon immuable… La (petite) pique n’est pas passée inaperçue.

La maestria d’Alain Passard

« L’innovation dans la qualité » : telle serait, selon Alain Moueix, la principale qualité du vignoble de Saint-Emilion. « Tout au long de son histoire, le vignoble bordelais s’est enrichi de sang neuf, d’idées nouvelles et différentes, a-t-il expliqué plus longuement à « Terre de Vins ». Il faut avancer, ne pas s’enfermer dans le conservatisme, et c’est l’une des qualités de Saint-Emilion. Ici, on se pose des questions, avec une grande diversité de réponses, qui va des vins de garage à la biodynamie, mais cela crée une vraie dynamique, une émulation. Saint-Emilion est une terre d’innovation, et il me semblait important de réunir la famille pour célébrer cela, et de fédérer pour l’avenir. »

Pour souligner ce partage de valeurs, le président de l’AGCCSE a eu l’idée de confier la préparation de ce déjeuner pour 140 convives à l’un des plus talentueux cuisiniers français : Alain Passard, le chef de l’Arpège (trois macarons au guide Michelin). « J’ai depuis longtemps un faible pour sa cuisine, son sens de l’épure, souligne Alain Moueix. Etant personnellement adepte de la biodynamie, je suis sensible à son approche de la nature, du végétal, des légumes, sa façon de donner des saveurs incroyables à des produits en apparence simples. Rien de beau ne se fait dans la facilité, et sa cuisine en est la preuve ».

Les deux hommes ont minutieusement travaillé ensemble à l’élaboration du menu et à l’association des accords mets et vins, mettant en valeur plusieurs grands crus, certains servis en magnums et double magnums, allant des millésimes 1982 à 2001. Se sont ainsi succédé :
– Betterave pourpre en croûte de gros sel gros de Guérande, cacao amer et vinaigre de Banyuls, accompagné de Château Grand Corbin Despagne 1982 et Clos Saint-Martin 1986.
– Saumon à la genevoise, pommes de terre fumées au bois de hêtre, accompagné de Château Fonroque 1989 et Château Larmande 1990.
– Carré de veau de Corrèze grillé sur l’os, « célerisotto » crémeux à la truffe noire du Périgord, accompagné de Château La Tour Figeac 1995 et Château Grand Pontet 1998.
– Gros macaron topinambour à la vanille de Madagascar, chocolat noir araguani, accompagné de Clos de l’Oratoire 2000 et Clos des Jacobins 2000.
– Tarte fine feuilletée aux poires et fourme d’Ambert, accompagné de Château Dassault 2001 servi dans le verre Château Baccarat.

Une cuisine virtuose, dont les accords précis et souvent étonnants (le cacao et la betterave, la sauce genevoise réduite avec les arêtes et le sang du saumon, la poire et la fourme d’Ambert) se doublaient d’une volonté évidente de prendre les convives à contre-pied, jusque dans l’ordre des vins servis en accompagnement. « C’est vrai que nous avons voulu un peu bousculer les codes, nous a confié Alain Passard à l’issue du déjeuner. Mais nous avons surtout cherché l’harmonie entre les plats et les vins. Je pense que ma cuisine s’accorde très bien avec le saint-émilion, son profil à la fois animal et végétal qu’il déploie dans les millésimes de grande qualité comme ceux que nous avons servis aujourd’hui. Ce sont aussi des vins avec lesquels on ne peut pas être trop virulent, qui appellent une cuisine légèrement épicée, une « cuisine chaude » qui se marie avec la générosité du merlot, entre autres ».

Cet hymne vibrant (et gourmand) à la créativité s’est conclu avec la présentation d’une assiette « collector » réalisée par la manufacture Bernardaud et signée par l’artiste Barbara Schroeder. Sur cette assiette, une citation de Michel Serres : « Prenez et goûtez ce grand vin, il écrira sur vos langues la carte du temps ». La boucle est bouclée.

M.D.