Accueil [ENTRETIEN] Audrey Pulvar : « le vin, c’est politique »

[ENTRETIEN] Audrey Pulvar : « le vin, c’est politique »

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

03.07.2017

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Journaliste engagée et pugnace, femme de lettres et de culture, Audrey Pulvar est aussi – c’est moins connu – une amatrice de beaux produits et de bons vins. Un plaisir qu’elle sait savourer avec modération, mais toujours avec une inlassable curiosité. Entretien.

On connaît son parcours de journaliste, qui l’a propulsée du JT de France 3 aux matinales de France Inter, et plus récemment sur CNEWS. On se souvient du duo décapant qu’elle a formé avec Natacha Polony dans « On n’est pas couché ». On sait sa passion pour la culture, qui l’a menée de la direction des Inrockuptibles à l’éphémère émission « Pop Up » sur C8. Certains connaissent l’auteure, qui a publié récemment « La Femme » aux éditions Flammarion, un Beau Livre consacré aux « altérités et contradictions des représentations féminines dans l’art ». Elle est enfin, depuis la semaine dernière, la nouvelle présidente de la Fondation Nicolas Hulot.
Mais peu connaissent l’épicurienne. De ses Antilles natales à la Métropole, Audrey Pulvar a cultivé avec soin le goût des bonnes choses. C’est chez un caviste qu’elle affectionne, le Vin en Bouche dans le 6ème arrondissement de Paris, qu’elle nous a accordé cet entretien autour du vin – où la politique n’est jamais loin.

Audrey, c’est quoi ton histoire avec le vin ?
Ce n’est pas une vieille histoire. J’y suis venue assez tard, parce que je ne suis pas du tout née sur une terre de vins, je suis née en Martinique – plutôt une terre de rhum, d’ailleurs Neisson reste ma référence (rires). C’est en vivant en France métropolitaine que j’ai commencé à m’y intéresser. Je ne me considère pas comme une connaisseuse, capable de retrouver cépages et terroirs à l’aveugle, mais j’aime avant tout les belles histoires, de familles, de vignerons, le rapport à la fois charnel et sentimental qu’il peut y avoir entre le viticulteur et son territoire.

Justement, c’est important pour toi, sur ton temps libre, d’aller dans le vignoble, à la rencontre des vignerons ?
Oui, c’est très important. Je l’ai fait plusieurs fois et c’est toujours un grand bonheur. Moi je suis petite-fille d’agriculteurs : on ne faisait pas du vin mais des produits maraichers et des agrumes, je sais donc ce que c’est qu’être attaché à son terroir, à son lieu de production, de s’inquiéter pour une production, d’être soumis aux aléas météorologiques… Et puis j’ai eu la chance de bien connaître, à une période de ma vie, le département de Saône-et-Loire, je suis vraiment tombée en amour des vins de Bourgogne à cette époque, du côté artisanal et authentique qui prévaut encore dans cette région, ne serait-ce qu’à cause de la taille des exploitations. Je pense par exemple au Mâconnais, où il y a de petits domaines qui produisent des vins formidables, notamment en bio ou en agriculture raisonnée.

Quelle consommatrice de vin es-tu ?
Je bois très peu d’alcool, car je fais beaucoup de sport, et les deux sont difficilement compatibles. L’hygiène de vie est un sacerdoce, a fortiori avec le rythme professionnel qui est le mien, et cela m’interdit donc de faire des excès. Ce qui fait que je privilégie vraiment des moments de partage, entre amis, en famille, en amoureux, pour ouvrir une bonne bouteille – et là je prends le temps de savourer, de laisser le vin évoluer dans mon verre, de l’associer aux différents mets, quitte à changer de vin en fin de repas. Je bois un verre, un verre et demi, mais j’en profite vraiment. Et je ne bois que des bons vins, du coup.

Alors c’est quoi, un bon vin ?
Je n’ai pas de définition arrêtée, j’apprécie différents styles. En blanc je suis une grande fan de Pouilly-Fuissé, en rouge j’aime beaucoup les pomerols, ou encore un château comme Montrose à Saint-Estèphe, évidemment les vins de Volnay en Bourgogne, mais aussi les vins du Jura, où il y a des choses magnifiques. En champagne je suis fidèle à certaines références, comme le rosé de Billecart-Salmon, Gosset ou le Blanc de Blancs de la maison Déhu, qui est moins connue. J’ai un peu plus de mal avec les vins trop solaires, trop riches en alcool, en tannins ou trop sucrés, comme peuvent l’être certains vins caricaturaux du Nouveau Monde ; j’en suis vraiment revenue. Je préfère la finesse à la puissance… Cela dit il y a aussi dans certaines régions sudistes comme le Languedoc, des appellations qui ont énormément progressé. En fait j’aime le vin mais aussi tout ce qui va avec, les histoires de transmission, d’attachement viscéral à une terre – et je n’entends pas cela de façon paternaliste ou nationaliste.

As-tu une anecdote ou un souvenir d’un vin que tu as un jour dégusté et qui t’a particulièrement transportée ?
Je me rappelle une soirée à Pessac, dans le Bordelais, il y a très longtemps, j’ai bu un verre de Haut-Brion, dont j’ai oublié le millésime. C’était un dîner complètement improbable, mais j’ai encore en bouche la sensation de ce vin exceptionnel.

Tu parlais tout à l’heure de vin bio et d’agriculture raisonnée, c’est un sujet qui te tient à cœur, en tant que consommatrice, citoyenne et nouvelle présidente de la FNH ?
Oui, je suis très concernée par ces questions-là. Je suis très locavore, attachée à la saisonnalité des produits, aux petites productions, aux circuits courts. Je mange très peu de viande ; j’adore ça, cependant je préfère en manger une fois par mois mais de l’excellente, venue d’un fournisseur à la traçabilité fiable, plutôt que chaque jour. Et toute ma consommation repose sur le même principe. Toutefois, bio ne veut pas forcément dire écolo ! L’autre jour sur un marché j’ai vu des morilles estampillées « bio » mais qui venaient du Pérou, j’imagine le bilan carbone… Du reste le bio n’est pas la seule voie à suivre, il y a la biodynamie, ou d’autres pratiques. L’important est d’avoir une conscience environnementale et sanitaire : j’ai grandi en Martinique où les pesticides étaient épandus sur les bananeraies par avion, on avait tous l’habitude d’avoir sur la peau une couche de produits phytosanitaires… Si je me suis forgé une conscience écologiste, c’est là que ça a commencé – et encore on ne savait même pas ce que l’on sait aujourd’hui sur la dangerosité de ces produits. Le plus difficile au final, est d’avoir un mode de vie en accord avec ses convictions. J’ai la chance d’habiter un quartier avec beaucoup de petits magasins de proximité, donc je peux faire mes courses au jour le jour et bien choisir mes produits, c’est un privilège.

On a vu ces dernières années, des personnalités politiques comme François Hollande, Alain Juppé ou Emmanuel Macron, s’emparer du sujet du vin. On sent bien qu’ils marchent sur des œufs tout en ayant conscience que cette filière doit être défendue. Est-ce que pour toi, le vin, c’est politique ?
Selon moi il y a deux choses très différentes à distinguer. La première chose, c’est un problème qui est massif en France et qu’on ne peut pas nier, qui est celui de l’alcoolisme. On considère qu’il y a entre 5 et 7 millions d’alcooliques en France, et on peut le devenir en buvant du vin, y compris de très bonne qualité. C’est un vrai problème de santé publique qui s’accompagne aussi de beaucoup de déni, il faut donc de la prévention, de l’information. Mais cela ne doit pas pour autant inciter à diaboliser les alcools en général, et le vin en particulier. Il faut accepter et défendre la place que le vin occupe dans notre paysage culturel, historique, il faut s’efforcer de partager et transmettre le goût des bonnes choses, des produits de qualité, tout en prônant une consommation responsable, surtout auprès des plus jeunes. Et quand je parle de produits de qualité, je suis également persuadée que quand on mange mieux, quand on est attentif aux légumes ou aux viandes que l’on choisit, on mange moins. Il y a un travail de sensibilisation à faire là-dessus, et la défense du bien-manger, c’est déjà politique. Et pour répondre à la question, oui pour moi le vin, c’est politique, sous tous les aspects. Dans la façon dont on le produit, dont on le consomme, dont on le valorise, notamment si l’on privilégie les petits producteurs au travail scrupuleux, c’est déjà un acte citoyen.

Et comme on te sait aussi sensible à la pop-culture, est-ce que tu penses que le vin peut être « pop » ?

Il peut l’être, mais pour moi le vin reste quand même quelque chose de très ancré. La culture pop, c’est ce qui est d’abord élitiste puis devient populaire mais en étant bousculé, repris, réapproprié, parfois remâché, et là pour le coup, je me sens un peu plus conservatrice quand il s’agit du vin. Même s’il y a toujours des démarches de vignerons hors-normes ou des étiquettes très décalées, je garde un côté « old school » sur le sujet (rires).

A LIRE : « la Femme », Editions Flammarion, 192 pages, 29,90 €.
L’ADRESSE : Le Vin en Bouche, 27 Rue de l’Abbé Grégoire, 75006 Paris. 01 42 22 02 07. www.levinenbouche.fr