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L’incroyable histoire de Dom Ruinart 1959 retrouvé (2/2)

Auteur

Joëlle
W. Boisson

Date

06.06.2018

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Dom Ruinart 1959, le premier champagne élaboré dans cette cuvée de prestige, manquait à l’œnothèque de la maison Ruinart. Il a été retrouvé dans des conditions rocambolesques. Suite de cette incroyable histoire…

Lire le chapitre 1 en suivant ce lien

Chapitre 2 : David Rose, le dandy d’Hollywood

Los Angeles, novembre 2015. Passionné de vieux vins, Matthew Kaner, propriétaire de plusieurs restaurants, a monté à Hollywwod un bar à vins baptisé « Augustin Wine bar » Il y propose au verre et à la bouteille des vins âgés d’au moins 10 ans (dont plus de 80 bordeaux différents !) « A Los Angeles, il existe une réelle niche de clientèle pour les vieux vins, affirme-t-il. Au travers de ces dégustations, vous goûtez véritablement l’histoire, vous vivez de l’émotion.» La cave de son restaurant, qui rassemble aujourd’hui 2000 à 3000 flacons, est un véritable trésor.

Pour constituer son stock, cet érudit de vieux vins sillonne les Etats-Unis – « surtout les États de New York, Illinois, Arizona, Californie » – pour participer aux ventes aux enchères et pour des expertises de caves. Il a même lancé trois ans plus tôt un show télévisé baptisé « Wine hunters» (« les chasseurs de vins »).

En 2015, à la suite de ces émissions, il est contacté par la famille héritière de David Rose, qui souhaite faire expertiser et vendre la cave familiale. Voilà qu’entre en jeu le troisième acteur de la saga.

Né en 1910 à Londres, David Rose, compositeur britannique a étudié au conservatoire de Chicago puis s’est installé à Hollywood comme chef d’orchestre et compositeur de comédies musicales et de musiques de film. Il y connut un joli succès (disques d’or, Grammy Awards et plusieurs nominations aux Oscars) et a été honoré d’une étoile sur les pavés d’Hollywood Boulevard.

Ce gentleman raffiné, marié en deuxièmes noces à l’actrice Judy Garland, était un passionné de l’art de vivre à la Française. Meubles, ustensiles de cuisine, cave considérable renfermant de nombreux trésors : tout porte à croire que de grands repas se déroulaient à la villa des Rose. Les dates correspondent aussi parfaitement à la mise en marché aux Etats-Unis, où David Rose a alors 52 ans. Tous les indices s’alignent pour laisser à penser qu’il s’agit bien d’une bouteille qui n’a jamais bougé ni changé de mains depuis son achat originel, et a été conservée dans des conditions optimales de cave.

L’achat prendra toutefois plus d’un an : la famille n’est pas prête, souhaite conserver certains vins-souvenirs, etc. A deux reprises, Matthew Kaner et son associé ont l’occasion de visiter la cave, vérifier la qualité des conditions de conservation et ramener quelques échantillons. L’état est parfait et la dégustation de différents vins leur « donne la chair de poule ». La cave de David Rose est une caverne d’Ali Baba avec de nombreux vins italiens et bordelais. Et un seul champagne, Dom Ruinart 1959.

Via le représentant de Ruinart en Californie, Matthew Kaner entre en contact avec Frédéric Panaiotis. Les premiers échanges se font par mail, envoi de photos et documentations. Profitant d’un voyage aux Etats-Unis, le chef de caves rémois se rend à Los Angeles et le flacon qu’il voit achève de le convaincre : il a bien entre les mains le tout premier millésime produit en Dom Ruinart.

Combien vaut une telle bouteille ? Matthew Kaner, grand prince, l’a offert avec ces quelques mots : « It needs to go back where it belongs » (« Elle doit retourner de là où elle vient »). Et Frédéric Panaiotis, le chef de caves est rentré à Paris avec son trésor.

Épilogue

Les deux hommes s’étaient juré de se retrouver un jour, là où l’aventure avait commencé. Profitant d’un déplacement de Matthew Kaner en Europe, ils ont donc effectué le mois dernier un pélerinage à Wingen-sur-Moder, à la Villa Lalique où à été reçu le premier mail un an et demi plus tôt.
Que goûte un Dom Ruinart 1959 ? Les archives de dégustation de la Maison ne le disent pas et il est fort peu probable que cette bouteille ne soit jamais ouverte. Mais dans son message aux Américains, Bertrand Mure, le décrit comme « un des plus grands millésimes du siècle », comparable à 1911, 1929, et peut être 1893.

Reste une pièce pour finir le puzzle. Dom Ruinart rosé 1966. Un flacon fut retrouvé un an plus tard, de façon beaucoup plus prosaïque, dans une cave à Epernay.

Voilà, si vous allez visiter la Maison Ruinart un jour à Reims, la collection vinothèque désormais complète !

Ci-dessous : Romain Iltis, Meilleur Sommelier de France 2012, Sommelier-chef de la Villa René Lalique, ne cache pas son émotion de tenir entre ses mains le trésor retrouvé.