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Pontet-Canet : des primeurs en biodynamie

Auteur

La
rédaction

Date

09.04.2013

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Alors que ce premier week-end démarrait la course folle des dégustations des primeurs 2012, dans les imposants chais du château Pontet-Canet, se tenait une dégustation bien différente de ce que connaît Bordeaux en ce moment. Sous la présidence de l’Alsacien Olivier Zind Humbrecht, des vignerons de Biodyvin étaient présents pour faire découvrir les vins du millésime 2012.

Derrière les bouteilles, Françoise Bedel (Champagne), Thierry Michon (Fiefs Vendéens), Emmanuel Cazes (Roussillon) ou encore Alain Moueix (Saint-Emilion) étaient invités par Alfred Tesseron, propriétaire de Pontet-Canet, afin de dévoiler les tendances en biodynamie sur le millésime en cours. A noter, tous les vins de Biodyvin sont présentés au château Fonroque mardi et mercredi, chez Alain Moueix. Issus de toutes les régions viticoles françaises, ces vignerons ont une conviction commune : en travaillant en agriculture biodynamique, la qualité d’un vin devient incomparable.

Cette philosophie culturale est tour à tour encensée, parfois même mystifiée, ou au contraire décriée en étant accusée de profiter d’un mouvement de consommation favorable au bio, voire de mentir au consommateur en lui racontant des histoires. Pourtant, plus nombreux sont les vignerons qui frappent à la porte de cette organisation, particulièrement dans les jeunes générations, cherchant auprès de Biodyvin une forme de reconnaissance de leur travail et de leur engagement au quotidien. Christine Saurel, propriétaire du domaine de Montirius, à Gigondas, explique qu’elle ressent une différence d’intensité entre un vin conventionnel et un vin issue de ces pratiques agricoles biologiques : « le vin respire, la matière est énergique. Mais surtout, les équilibres sont là. Il n’y a pas de doute, on peut reconnaître un vin élaboré en biodynamie à la dégustation ».

Finesse de tanins

Le choix de Pontet-Canet de passer à cette méthode culturale confirme une chose : la biodynamie amène vers l’excellence. Alfred Tesseron (propriétaire), et Jean-Michel Comme, (préférant se faire appeler « régisseur » plutôt que « directeur technique ») en sont persuadés. Et le résultat se lit immédiatement dans le verre, dès lors qu’on plonge le nez dedans. Il s’agit bien de goût, et pas de philosophie mystique dans la famille des Tesseron. Jean-Marc Quarin, critique bordelais, livre ses impressions : « A Bordeaux, contrairement à d’autres régions, tout est uniquement question de finesse de tanins. Or quand on voit le travail réalisé par Alain Moueix à Fonroque sur ses merlots plantés dans des sols froids de calcaire, depuis son passage en biodynamie, il est désormais capable de ramasser plus tôt des raisins équilibrés et plein d’arômes, là où les merlots perdaient en goût sur des terroirs froids, et où ils n’arrivaient jamais à mûrir complètement. C’est une stratégie doublement gagnante. Je suis persuadé que les propriétaires de Saint-Emilion viendront tous au fur et à mesure à la biodynamie pour ces raisons-là ». Alain Moueix pondère le propos, malheureusement plus pessimiste quant à l’engagement de ses voisins dans cette voie : « Aujourd’hui, parmi les grands crus, 4 % des propriétaires travaillent en bio. On estime qu’à peu près 10% de ces 4% travaillent en biodynamie. Cela ne pèse pas lourd », soupire-t-il.

Pourtant, sur les graves de Pontet-Canet, le choix de ce changement de culture n’était pas du goût de tous les voisins. Pontet-Canet, propriété médocaine du début du 18ème siècle, s’étend sur 80 hectares de vignes, sur le terroir de graves de Pauillac, classé parmi les meilleurs grands crus depuis 1855. « Dans les grands crus médocains, nous sommes toujours les seuls à travailler comme ça. Beaucoup en parlent, mais à ma connaissance, personne ne franchit le pas. Il est certain que ce n’est pas réellement un choix facile à faire. Lorsqu’en 2004, Jean-Michel m’a convaincu de faire des essais en bio, j’étais plutôt craintif. Je lui ai proposé de faire les essais sur deux hectares, il m’a répondu qu’il fallait au moins 15 hectares d’essai pour se faire un avis. Nous avons plongé ensemble, car j’ai toujours eu une grande confiance en Jean-Michel », confie ce propriétaire au caractère affirmé. Exigent et réaliste, Alfred Tesseron s’est fait convaincre grâce à « l’autre vin » de Jean-Michel. Les Comme possèdent des vignes à deux heures de route de là, sur les terres de Sainte-Foy, sous le nom du domaine des Champ des Treilles. Lorsqu’ils décident de passer en biodynamie au milieu des années 2000, Jean-Michel fait goûter son vin au propriétaire de Pontet-Canet. « Il y avait de la pureté dans ce vin. Je n’arrivais pas à le reconnaître par rapport à ce que j’avais déjà goûté plusieurs fois. J’ai immédiatement demandé à Jean-Michel si nous pouvions essayer ici, dans une démarche d’amélioration du goût. Après un premier essai sur 14 hectares en 2004, l’intégralité du domaine est passée en agriculture biologique, selon les principes de la biodynamie en 2005 ». Pourtant, Alfred Tesseron est bien loin d’être un homme lunaire planant au dessus des réalités des propriétaires médocains. « Je suis à la recherche de l’excellence pour le vin de Pontet-Canet. Si je n’avais pas retrouvé cet investissement de changement de méthodes culturales dans le vin, j’aurais certainement fait machine arrière. Lorsqu’on me parle de bio, cela me fait peur. Et quand je goûte des produits bio, sans intrants et sans soufre qui n’ont aucune tenue, je considère cela comme une aberration »

Victoire du goût

La victoire du goût n’est pas faite pour plaire à tout le monde. « Les propriétaires voisins, qui riaient largement de nous au départ, sont tous venus me voir au moins une fois, pour venir chercher des informations sur notre façon de travailler. Pourtant de mon côté, je n’ai jamais cherché à faire le moindre prosélytisme auprès de qui que ce soit. C’est un vrai signe montrant que la propriété n’a pas à rougir de ce qu’elle produit », explique Jean-Michel Comme. Dans les millésime dits « difficiles », la biodynamie prend tout son sens selon le tandem Tesseron-Comme qui entamera ses 25ème vendanges ensemble lors du prochain millésime. « Lorsqu’on goûte 2009, année chaude et difficile pour tout le monde ici, on voit bien que l’équilibre donne du maintien. Que la fraîcheur persiste. Ce sont les méthodes de travail en biodynamie qui permettent cela », explique le régisseur du château.

Pour la reine Pontet-Canet, rien n’est trop beau : en 2013, ce seront cent nouvelles dolias (amphores en latin) moulées en béton et contenant 9 hectolitres chacune, qui prendront place à côté des centaines de fûts. Après des essais en œufs, 20 % du futur millésime 2013 sera élevé dans ces ovoïdes, avant d’être assemblé au reste élevé en bois. Pour le labour des sols, les écuries de Pontet-Canet accueillent à l’année cinq chevaux. La propriété en accueillera bientôt dix-sept, avec de nouvelles écuries, de nouveaux attelages, et du personnel supplémentaire. « Pas de folklore dans notre démarche, les attelages sont extrêmement modernes, mécanisés et rationnels. Afin que les labours puissent être faits par des hommes et des femmes, et que la pénibilité du travail soit réduite à son maximum. Travailler en biodynamie, ce n’est pas effectuer un retour au Moyen-âge. ». A ceci, on ajoute des cuves thermo-régulées, parfaitement entretenues, un choix méticuleux des vendangeurs effectué par Jean-Michel Comme lui-même deux fois par jour, une gestion au cordeau de chaque geste de tous les employés de Pontet-Canet pendant toute l’année sur la plante… Tout doit être fait dans un but précis : produire un grand vin, dont la « fin du verre doit appeler à aller immédiatement à la cave en rechercher », sourit Alfred Tesseron. Un engagement environnemental, au service de la vigne, pour en avoir le meilleur dans la bouteille. C’est ça la biodynamie à Pontet-Canet.

Certains voisins médocains, lucides sur le succès de la marque de Pontet-Canet, multiplient les essais en biodynamie au sein de leur propriété. Château Palmer, grand cru classé de Margaux, après avoir fait des essais concluants, souhaiterait généraliser la biodynamie à l’ensemble de son domaine (55 hectares) lors du prochain millésime.

Laure Goy