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Saint-Emilion : la parole aux avocats

Auteur

La
rédaction

Date

18.01.2013

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A Saint-Emilion, les châteaux déboutés du dernier classement se mettent en ordre de bataille. Suite au recours déposé par au moins trois d’entre eux au tribunal administratif de Bordeaux, les avocats donnent leur vision de l’affaire…

Petit à petit, un nouvel imbroglio se dessine à Saint-Emilion, rappelant les heures sombres du classement de 2006. Promulgué en septembre dernier, officialisé en novembre, le dernier classement des grands crus est une nouvelle fois en péril : comme ils l’avaient très tôt laissé entendre, trois châteaux (au moins) ont décidé de lancer une procédure d’annulation du classement en déposant un recours auprès du tribunal administratif de Bordeaux. Ils avaient jusqu’au 7 janvier 2013 pour le faire.

Dans la foulée du Château Croque-Michotte, le Château La Tour du Pin Figeac, lui aussi exclu du classement, s’explique sur sa décision d’aller en justice par la voix de Sylvie et André Giraud, ses propriétaires : « Nous ne sommes pas d’accord avec notre déclassement qui nous semble injuste. Grands Crus Classés depuis toujours, notre terroir historique proche de Cheval Blanc, Figeac, Pomerol, nos vins souvent très bien notés, notre continuité familiale parlent pour nous. Nous sommes très suspicieux sur les critères qui ont été appliqués et notamment sur les conditions de dégustation des vins, en tout cas en ce qui nous concerne. Cela nous désole d’en arriver là, mais après avoir demandé (sans succès, sans la moindre réaction) à l’INAO, au Conseil des Vins, au ministère de réviser notre dossier, nous sommes obligés d’aller jusqu’au recours administratif ».

Entre décrets et arrêtés, la confusion

Le Château La Tour du Pin Figeac est représenté par Me Teillot et Me Maisonneuve, avocats à Clermont-Ferrand familiers de la région de Saint-Emilion : « la première chose qui nous a interpellés lorsque nous nous sommes penchés sur ce dossier, c’est ce que nous appelons dans notre jargon une « erreur de droit ». Pour faire simple, il semble que l’arrêté du 29 octobre 2012 portant homologation du classement des crus de l’appellation d’origine contrôlée Saint-Emilion Grand Cru se base sur un règlement qui, légalement, n’existe pas ». Chronologie des faits :

Le 11 février 2011 est publié le décret n°2011-174 (consultable ici) abrogeant le dernier cahier des charges de 2009, et établissant un nouveau cahier des charges de l’AOC Saint-Emilion Grand Cru (géographie, encépagement, conduite du vignoble, etc.)

Suite à ce décret, le 6 juin 2011 est publié l’arrêté (consultable ici) relatif au règlement concernant le classement des premiers grands crus classés et des grands crus classés de l’appellation d’origine contrôlée Saint-Emilion Grand Cru. Cet arrêté établit en particulier le règlement du classement à venir, en vertu du cahier des charges homologué par le décret du 11 février 2011…

Or, le 5 décembre 2011 est publié un nouveau décret, n°2011-1779 (consultable ici) abrogeant le décret du 11 février 2011, et homologuant un nouveau cahier des charges de l’appellation d’origine contrôlée Saint-Emilion Grand Cru.

Enfin, le 29 octobre 2012, est publié (par le ministre de l’économie et des finances et le ministre de l’agriculture) l’arrêté portant homologation du classement des crus de l’appellation d’origine contrôlée Saint-Emilion Grand Cru. Cet arrêté s’appuie sur le décret du 5 décembre 2011.

C’est ici qu’intervient l’erreur de droit selon les avocats : « en abrogeant le décret du 11 février 2011, et donc l’arrêté du 6 juin 2011 incluant le règlement du classement, le décret du 5 décembre 2011 (sur lequel se base l’arrêté du 29 octobre 2012 homologuant ce classement) aurait dû accoucher d’un nouveau règlement, fût-il identique au premier. Or ce nouveau règlement n’a jamais vu le jour. Il apparaît donc que le classement de 2012 a été établi et homologué à partir d’un règlement qui a été préalablement abrogé. Pour être valable, le classement devrait s’appuyer sur l’arrêté du 6 juin 2011, qui n’est visé nulle part. »

Failles règlementaires

C’est dans cette faille règlementaire que comptent s’engouffrer les avocats de La Tour du Pin Figac pour contester la validation du classement : « nous sommes impatients d’entendre les arguments de l’INAO et du ministère sur cette articulation juridique. Pour l’instant, nous n’expliquons pas ce changement de décret entre février et décembre 2011 : il semble qu’entre-temps le cahier des charges ait été revu, notamment sur les critères géographiques, mais nous devons nous y plonger en détail… » Joint par nos soins, l’INAO (dont le nouveau directeur Jean-Luc Dairien a pris ses fonctions début janvier) n’a pas encore donné d’explication sur la raison de ces deux décrets.

« Il n’en demeure pas moins que d’autres moyens ont été soulevés, poursuivent les avocats. Tout d’abord, nous pensons qu’il y a une erreur manifeste d’appréciation sur les vins du Château La Tour du Pin Figeac. Ils n’ont obtenu que 12, 45 lors de la dégustation, alors que pour les mêmes millésimes, ils avaient obtenu de meilleures notes auprès d’autres professionnels. Cela pose la question des conditions de dégustation : quels sont les vins de référence ? Qui sont les personnes qui ont dégusté ? Nous attendons d’examiner en détail les procès verbaux. »

Enfin, le règlement du classement en lui-même, fût-il jugé légalement recevable, est pointé du doigt : « lorsqu’on examine la grille de notation mise en place à partir des travaux du bureau Veritas et de Qualité France, on constate qu’elle reprend les critères énoncés dans le règlement du 6 juin 2011 (niveau de qualité et constance des vins 50%, notoriété 20%, entités culturales 20%, conduite de l’exploitation 10%) mais applique aussi un certain nombre de sous-critères… Or, notre client, le Château La Tour du Pin Figeac, n’a pas eu connaissance de ces sous-critères. Nous posons donc la question de l’égalité de traitement et de la transparence autour de ce classement, mais nous attendons d’avoir plus d’éléments ».

A ce jour, les avocats n’ont déposé qu’un « recours au fond » auprès du tribunal administratif de Bordeaux. La procédure suivra alors son cours, mais le classement restera intact en attendant le verdict final. Mais ils se réservent la possibilité de faire un « référé suspension » pour faire suspendre le classement, comme ce fut le cas en 2006… Les notions « d’urgence » et de « doute sérieux » entrent ici en considération, et les conseillers de La Tour du Pin Figeac devraient trancher la question, avec ceux des autres châteaux concernés, dans les trois prochaines semaines. Du côté du tribunal administratif de Bordeaux, la réponse aux requêtes devrait arriver entre 45 et 60 jours après leur dépôt. Nous devrions donc en savoir plus prochainement.

M.D.