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Cheval Blanc, « l’élégance qui s’inscrit dans la durée »

Auteur

La
rédaction

Date

14.12.2013

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La Master Class Cheval Blanc était le premier grand moment de ce Bordeaux Tasting 2013. Animée par Pierre Lurton et Gérard Basset, elle a apporté un éclairage inestimable sur ce vin mythique de Saint-Emilion.

Passer 1h30 avec Pierre Lurton, l’élégant régisseur des légendaires châteaux Cheval Blanc à Saint-Emilion et Yquem à Sauternes, c’est l’assurance de passer un moment hors du temps, plein de malice, d’érudition et de profondeur. Lorsqu’il s’agit d’une Master Class « spéciale » Cheval Blanc conclue par un millésime d’Yquem, et que cette Master Class est également animée par Gérard Basset, meilleur sommelier du monde 2010, et le tandem Rodolphe Wartel & Sylvie Tonnaire de « Terre de Vins », on entre carrément dans une parenthèse enchantée.

La légende de 1947

En préambule de cette Master Class, impossible de ne pas interpeller Pierre Lurton sur le record récemment établi chez Christie’s lors d’une vente aux enchères de 12 bouteilles de Cheval Blanc 1947, adjugées à plus de 130 000 €. « S’il y a bien un millésime d’exception à Cheval Blanc, c’est bien 1947. C’est un bonheur pour un laboratoire d’analyse : 1 gramme de volatile, 4 grammes de sucre résiduel… C’est un vin de légende, au même titre que Mouton 45 ou Pétrus 61. Parfois, je suis affolé et très partagé sur le fait que les vins atteignent de tels prix, mais nous sommes vraiment sur un vin unique. Même dans la cave de Cheval Blanc, on n’en trouve guère. »

Bond dans le temps avec, pour se mettre en bouche, un château-quinault-l’enclos 2009. Située à Libourne, cette propriété de 18 hectares sur graves fines, acquise par le tandem Albert Frère & Bernard Arnault (co-propriétaires de Cheval Blanc et Yquem) est un peu le « territoire expérimental » de la Team Lurton, emmenée par le directeur technique Pierre Olivier Clouet. « A Quinault l’Enclos, je me frotte à des terroirs plus difficiles, on cherche de façon plus technique ce que la nature n’a pas donné. C’est important pour moi, qui suis dans les étoiles avec Cheval et Yquem, de redescendre sur terre, de travailler sur des vins qui sont taillés pour le plaisir. Nous essayons en priorité de produire des merlots al dente, et toute l’équipe se défonce pour pour produire le meilleur vin », explique Pierre Lurton. Un « vin de plaisir », aux accents d’orange sanguine selon Gérard Basset, que Sylvie Tonnaire associerait bien avec un magret de canard au poivre vert.

Exclusif : un blanc pour La Tour du Pin !

En parlant d’expérimentation… Après avoir annoncé l’an dernier pendant Bordeaux Tasting qu’il ne sortirait pas d’Yquem 2012, Pierre Lurton nous devait bien un autre scoop. Eh bien cette année, il nous a révélé qu’il travaillait sur… un vin blanc de la rive droite, sur les terres du château La Tour du Pin, autre saint-émilion piloté par les équipes de Cheval Blanc. Nous faisons depuis deux millésimes des expérimentations sur 5 hectares, et envisageons de sortir un vin, quand nous serons pleinement satisfaits, d’ici deux ans.

Et toujours au rayon des innovations, impossible de ne pas revenir sur le chai de Cheval Blanc, signé Portzamparc et inauguré en 2011. Un chai né de la volonté de Bernard Arnault et Albert Frère, « Oncle Albert et Tonton Bernard », comme les surnomme Pierre Lurton, les deux hommes qui se partagent « en toute simplicité » le conseil d’administration de Cheval Blanc et Yquem. « C’est la vraie vitrine du grand luxe, explique Pierre Lurton. La finance au service d’une tradition, de l’argent investi intelligemment (14 millions d’euros, NDLR). Ce chai, ce n’est pas la technologie pour la technologie, un chai ultra moderne ne remplacera jamais l’élégance du geste sur le végétal. Il faut d’abord faire confiance à l’intervention humaine ».

Petit Cheval 2006

On entre dans le vif du sujet avec Petit Cheval 2006 : « plus qu’un second vin de Cheval Blanc, souligne Pierre Lurton, mais une marque à part entière. La notion de second vin est très ancrée dans le Médoc, moins à Saint-Emilion ». Ce Petit Cheval, produit entre 15 000 et 20 000 bouteilles par an, se veut plus accessible, dans le style et dans le prix, que son illustre aîné. 62% merlot, 38% cabernet franc (« il faut goûter Petit Cheval 2001 pour découvrir un grand cabernet franc de la rive droite », s’enthousiasme Pierre Lurton), ce Petit Cheval, pour Gérard Basset, se signale au nez par la cerise noire, la viande séchée, ses tanins mûrs, longueur en bouche. Sylvie Tonnaire propose de l’associer à une pintade aux éclats de genièvre.

Cheval Blanc 2005 et 2000

Passage aux choses (très) sérieuses avec Cheval Blanc 2005. « Un très grand millésime, une très grande climatologie », avoue Pierre Lurton. Couleur encore jeune, nez sur la mûre, la prune, les épices douces, puis arrive la cannelle, le moka, une finale camphrée. En bouche, ce 2005 se révèle puissant et fin, élégant, racé. « Une très grande longueur, encore un vin de dégustation plus que de table. Il faut l’attendre », souligne Gérard Basset. Pour ceux qui ont le privilège de boire ce pur sang à table, Sylvie Tonnaire conseille du pigeon, ou même un lièvre à la royale.

Avec le millésime 2000, on entre dans une autre catégorie. Un vin voluptueux, avec une trame unique, un touché de bouche, une fraîcheur incroyable. « Le cabernet franc est en train de pixelliser le vin, l’image prend de plus en plus de définition », décrit Pierre Lurton. « Il ne me fera pas oublier l’admirable 1998, qui sera immense dans 15 ans. Mais c’est un immense millésime, parfait équilibre du merlot et du cabernet franc, on peut le boire aujourd’hui comme dans 15 ans ». Il s’agit d’un vin déjà évolué, dont la robe laisse deviner le grenat. Au nez, du cassis, du tabac, des arômes tertiaires. Très profond en bouche, avec un soyeux admirable, beaucoup de matière. Un vin entre puissance et légèreté, « un grand vin de table » selon Gérard Basset. Et ça tombe bien, Sylvie Tonnaire le verrait bien avec un grand gibier, un chevreuil aux girolles par exemple. Ou bien seul, avec un havane.

Yquem 2011

Après ces deux grands moments, la Master Class s’achève avec un château-d’yquem 2011. « L’autre » bébé de Pierre Lurton, pour lequel il a du mal à cacher son indéfectible affection. Un Yquem qui se suffit désormais à lui-même, et ne porte même plus la mention « Sauternes » sur l’étiquette. « Nous avons voulu retrouver la pureté originelle d’Yquem, cette marque incontournable ». Pourquoi le 2011 en fin de dégustation ? Pierre Lurton croit qu’il faut défendre le « plaisir immédiat » de boire un grand sauternes sur sa jeunesse, à condition qu’il ait de la fraîcheur. « Faites des vins sur la fraîcheur », conseille-t-il d’ailleurs à ses amis du Sauternais, pour que ce grand liquoreux ne soit plus estampillé vin de dessert ou de foie gras. Ce 2011, bien que nouveau-né, se distingue par son équilibre entre structure et acidité, ses notes exotiques qui laissent deviner sa grandeur à venir. « Yquem, vin éternel, la maîtrise du risque pour sublimer la matière », déclame Pierre Lurton. Un vin qui pourrait accompagner tout un repas, pour Sylvie Tonnaire, entre soufflé au comté, chapon cocotte à la verveine, et crème glacée à la fleur d’oranger.

Après ce grand moment d’émotion, les langues se délient, quelques questions fusent, auxquelles Pierre Lurton répond avec gourmandise. Il évoque même, au détour d’une boutade, le jour où il faudra tourner la page : « j’arrive à un âge où l’on se pose quelques questions. Je suis au service de grands terroirs, de grands vins, mais aussi d’un capital. Un jour, je devrai passer la main, je devrai revenir sur terre. Je pourrai revenir à mes passions, à mes propres affaires, me trouver mes « propres moteurs ». A Cheval Blanc comme à Yquem, je ne suis ni inutile, ni incontournable », sourit-il modestement. Avant de conclure : « la meilleure crédibilité, dans ce monde des très grands vins, c’est de rire de tout cela. La grandeur de ces vins cache parfois notre propre médiocrité ». Pierre Lurton, décidément inimitable.

Mathieu Doumenge