Accueil Dégustation Leçon d’expert : le dosage champenois selon Drappier

Leçon d’expert : le dosage champenois selon Drappier

Auteur

Joëlle
W. Boisson

Date

13.10.2017

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Le dosage est la dernière étape œnologique avant l’habillage définitif d’une bouteille. Loin d’être un détail, il offre des nuances gustatives exceptionnelles pour les maisons qui savent en jouer. Explications avec Drappier, experte de ces « finitions haute couture ».

Le luxe, on le sait, est dans les détails. S’il en est un qui caractérise la Champagne, c’est bien le dosage. Par cette opération, on refait le niveau de la bouteille avant bouchage pour atteindre les 75 cl réglementaires, et cette subtile finition (0,5 à 2 cl) permet d’arrondir et d’imprimer définitivement le style du champagne : l’équilibre gustatif, la longueur en bouche et même la perception des arômes en sont impactés. Le parallèle est souvent fait avec le sel en cuisine qui, utilisé en toute petit quantité, va donner du relief à un plat sans être lui-même perceptible.

Le dosage fait appel à une « liqueur d’expédition », composée de vin et de sucre, et la quantité de sucre ajoutée influence aussi la catégorie de vin : brut nature (moins de 3 g/l), extra-brut (moins de 6 g/l), brut (moins de 12 g/l), etc. Pas de dogme sur le dosage, mais l’observation qu’à chaque cuvée, chaque millésime correspond un équilibre optimal.

Si les dosages étaient autrefois beaucoup plus généreux, la tendance actuelle va vers leur réduction, parfois drastique. Alors que dans les années 70 la norme du dosage se situait entre 12 et 15 g/l, la plupart des cuvées Brut du marché affichent aujourd’hui 6 à 9 g/l. La fréquence d’années chaudes et mûres, les délais d’élevage prolongés, les techniques de vinification sont autant d’éléments qui vont dans le sens de cette évolution.

La maison Drappier possède une liquothèque où elle conserve et élève les liqueurs de dosage.

1 cl qui fait toute la différence

Outre la quantité ajoutée, le type de sucre joue aussi, avec pour chaque sorte ses adeptes : sucre de betterave (autre grande production de la Champagne !), sucre de canne (considéré comme plus noble et souvent apprécié gustativement), moût de raisin concentré rectifié (pratique). Le vin utilisé joue aussi un rôle considérable, de même que la mise en œuvre de la liqueur. Comme pour toutes les étapes de l’élaboration du champagne, le temps et l’élevage sont là aussi des alliés précieux.

Dans l’Aube, la maison Drappier porte au sommet le soin apporté au dosage et à l’élaboration d’une liqueur porteuse d’une véritable personnalité. « Comme j’appréciais très peu les vins sucrés, j’ai commencé à mener mes premiers essais de réduction de dosage dès mes premières vinifications dans les années 80, se souvient Michel Drappier. J’ai compris que pour diminuer le dosage, il ne suffit pas de réduire la quantité de sucre, il faut raisonner tout le schéma de vinification et travailler la liqueur. »

L’autre particularité est d’avoir hérité de son père André de très vieilles liqueurs conservées en fûts et en bonbonnes. Ce qui était peut-être un oubli s’est avéré une véritable mine d’or. « Comme de vieux millésimes, de vieilles liqueurs ont un côté très fondu. Elles permettent de diminuer la quantité de dosage et d’accompagner le vin sans porter ce côté sirupeux d’une liqueur». Aujourd’hui, la maison possède une véritable liquothèque conservée en foudres tronconiques et en bonbonnes, comptant pas moins de… 42 ans de stock !

Ces véritables « épices » sont utilisées en toute petite quantité et servent notamment dans le dosage du Carte d’Or, référence-phare de la gamme (1 million de cols).

Carte d’Or non dosé : il s’agit de la base du champagne Carte Or (assemblage de millésimes 2012-2013-2014) dégorgé en avril 2017 après 3 ans d’élevage sur lattes. Il servira d’ici quelques mois à élaborer les bouteilles commercialisées mi-2018. Il est servi sans aucun dosage. Le nez est fin, plutôt sur des arômes de frondaison et de verdure. La bouche est élégante et donne l’impression d’un jus séveux mais un peu courte et raide en finale (trèfle). Il manque quelque chose !

Carte d’Or dosage 6 g/l : on est proche du dosage rencontré dans le commerce pour cette cuvée (7 g/l environ). Au nez, déjà beaucoup plus floral que le précédent, pêche et poire juste mûres. En bouche, la tension et l’élégance sont là, mais les angles sont nettement arrondis. Le fruit blanc à noyau ressort, ainsi qu’un côté crayeux en fin de bouche.

Carte d’Or dosage 12 g/l : voici des notes de fruit confit (coing) qui se sont substituées aux précédentes, alternant avec de belles vagues mentholées. La bouche est plaisante, affable, ronde, mais perd en précision. Elle n’a pas ce côté salivant en finale qui donne envie d’en reprendre.

Carte d’Or dosage 7 g/l dosé avec une liqueur de 1947 : une expérience œnologique unique proposée pour cette dégustation ! Le nez ressort d’une grande fraîcheur, fruits de l’été juste à point avec de fines notes épicées. La bouche surtout est intéressante, jeune et fondue à la fois, finement miellée sans sirupeux. On est dans la gamme de fruits compotés (mirabelle), fondue en finale, sans retour crayeux salivant. Tout se passe comme s’il y avait une forme d’expérience, d’éducation, sur un vin qui reste jeune.

Carte d’Or 1995 en magnum :
voici une expérience différente. Un magnum millésimé de Carte d’Or, dégorgé en mars 2014 et dosé à 5g/l, puis conservé en cave. C’est un champagne complexe, très fin au nez et en bouche, avec déjà des notes d’évolution : calisson, caramel, noisette, pâte d’amande, pomme tatin. La bouche est suave, mûre, avec des notes de miel blond (acacia plus que châtaignier). Le dosage est parfait, il a certainement contribué à conserver aussi joliment ce vin pendant 22 ans. Voici une magnifique bouteille à point qui sera mise en marché pour les fêtes (145,- € départ cave).