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Le Sauternes existera même sans Yquem

Auteur

La
rédaction

Date

21.12.2012

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L’annonce du célèbre château de ne pas faire de vin en 2012 a semé un certain trouble dans le Sauternais, où l’on parle de faibles récoltes mais néanmoins de qualité. Bérénice Lurton, du Château Climens, témoigne.

Le prestigieux Château d’Yquem a annoncé il y a quelques jours, à grand renfort de communication, qu’il ne produirait pas de millésime 2012. À l’inverse, Rieussec, autre château phare de l’appellation, a renoncé sans faire de bruit à produire un millésime 2012. Cette propriété de 74 hectares appartient aux Domaines Baron de Rothschild. Il n’y a pas eu cette fois d’annonce officielle pour ce sauternes haut de gamme, qui a par ailleurs vu son prix en primeur s’effondrer depuis l’été.

Mais le choix de ces deux grandes étiquettes n’est pas vrai pour l’ensemble du vignoble Sauternes-Barsac.

Ces décisions illustrent toutefois une réalité qui concerne les 240 producteurs de l’appellation. La climatologie n’a pas été bonne tout au long de l’année 2012 pour un développement harmonieux du botrytis permettant d’assurer une abondante récolte du fameux liquoreux. Ce qui se disait d’ailleurs déjà au moment des vendanges.

Président de l’ODG (Organisme de défense et de gestion) Sauternes-Barsac, mais également copropriétaire de Château Guiraud, consacré meilleur vin du monde par la revue « Wine Spectator », Xavier Planty juge néanmoins de manière aigre-douce la position d’Yquem. « Bien sûr, à Guiraud, nous aurons très peu de vin. Néanmoins, nous avons quelques lots qui permettront de faire le millésime en grand cru. Ma philosophie de vigneron est que nous devons produire le meilleur vin possible par millésime. »

Comme président de l’ODG, il juge aussi que l’annonce faite par Pierre Lurton, directeur de Château d’Yquem, propriété de LVMH, samedi dernier, avait quelque chose de prématuré. « Commercialement, le message diffusé touche toute l’appellation, à l’heure où nous réalisons, avec la période de fêtes, une part importante de nos ventes. Ce qui risque de provoquer une déstabilisation dans un contexte qui n’est déjà pas facile. »

Pour lui comme pour d’autres, la faiblesse de la récolte de 2012 n’est donc peut-être pas le seul argument ayant conduit Yquem à renoncer au millésime.

Stratégie de marque

Du côté des courtiers, on évoque plutôt une démarche marketing, appuyée sur les mauvaises conditions climatiques de 2012. Le fait que le Château d’Yquem ne se soit pas présenté lors de la campagne des primeurs 2011 est à leurs yeux un signe. « Yquem a sans doute un problème de positionnement et n’est peut-être pas si simple à vendre, dit l’un d’eux. Ne pas faire de vin en 2012 est peut-être un moyen de créer la rareté. Au moins en apparence. »

Sous-entendu, le mauvais temps aurait bon dos, et le prestigieux Yquem ne parviendrait pas à convaincre aussi facilement que ça ses riches clients, Chinois ou autres. Ce que son chiffre d’affaires de 2010 (26, 282 millions d’euros) et encore plus son résultat net (10, 725 millions d’euros) semblent toutefois contredire. Il reste que pour les autres composantes du Sauternais, l’annonce d’Yquem, inscrite dans une stratégie de marque, vient « troubler l’image de l’ensemble de l’appellation », selon un négociant.

Bérénice Lurton, à la tête du Château Climens et présidente des crus classés 1855 de Sauternes, ne va pas jusque-là. « Je redoutais cette annonce d’Yquem, dit-elle pourtant. Même si Climens n’est pas du tout dans la même situation. Dans beaucoup de crus classés de Sauternes et Barsac, il y a eu une petite récolte. Mais elle n’empêche pas les belles réussites. Je suis moi-même plutôt contente pour Climens. La pluie tombée au moment des vendanges n’a eu qu’un impact limité. Et le fait d’être en biodynamie a aidé nos vignes à passer le cap. Les dégustations après fermentation ont montré que nous sommes à un bon niveau. »

Bérénice Lurton refuse toute généralisation à partir d’un seul exemple, aussi prestigieux soit-il. « Les cas sont différents selon chaque zone, chaque château et même chaque parcelle. Barsac s’en est par exemple beaucoup mieux sorti. Même si, de manière générale, le volume des récoltes est faible, la qualité est présente. »

Jean-Pierre Tamisier

LES CHIFFRES

30 000 hectolitres
Selon l’ODG Sauternes-Barsac, la récolte 2012 s’élève à 30 000 hectolitres. Elle est de 45 000 hl une année normale et dépasse les 50 000 les belles années, comme en 1990. « Selon les propriétés, les rendements ont été de 4 à 15 hectolitres par hectare », relève Xavier Planty. La production de blancs secs devrait être de 1 500 hectolitres (y compris le Y d’Yquem, qui sera produit). Sur le plan économique, l’ODG note une belle reprise sur le marché américain et la fidélité des marchés traditionnels (Paris, Nord, Aquitaine, Paca).