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En douceur, le cheval revient dans les vignes

Auteur

La
rédaction

Date

18.06.2012

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Alternative au tracteur qui tasse les sols, le cheval fait, tranquillement, son retour dans les vignes. Exemple à Bordeaux, au Château Le Puy, avec Ramon Garcia et Théo.

Ils étaient au travail malgré le temps incertain. Ramon Garcia et le quadrupède Théo, Éric Rambourg avec son Nounours, et même une fille, Susana Teixeira, accompagnée de Tulipe, son nouveau compagnon, au milieu des vignes bordelaises. Pas de tournage de film des années 1950 ce matin-là au Château Le Puy, en AOC Francs-Côtes de Bordeaux, mais de « vrais » laboureurs derrière leurs chevaux retournant le sol pour l’aérer et enlever les herbes.

« Confrontée à un problème de tassement du sol et du sous-sol sur certaines parcelles, l’eau n’y pénétrait plus correctement par endroits. Les racines « baignaient », amenant des maladies comme le pourridié. Les tracteurs sont de plus en plus lourds. J’avais deux solutions : investir dans un chenillard léger… ou revenir au cheval », détaille Pascal Amoreau, à la tête de cette propriété familiale de 31 hectares.

Le Puy est conduit depuis plus de vingt ans en agriculture biologique mais, évidemment, aucune réglementation n’exige le retour au cheval. C’est un choix personnel, remontant ici à 2010. « Un ouvrier formé, une charrue autrefois utilisée par mon père restaurée, et 5 hectares sont désormais travaillés de la sorte (chausser et déchausser la vigne, griffer la terre…). Le sol doit vivre. Sur ces parcelles, le tracteur ne passe que pour traiter les maladies. Ailleurs, il est sorti au total 12 à 15 fois par an », ajoute ce propriétaire convaincu. « Passé l’appréhension du début – je partais de zéro -, c’est devenu magique pour qui aime la terre. Je voudrais y aller sur toute la propriété, mais il y a le coût… »

Bien dresser la bête

« Il faut compter 60 euros hors taxes de l’heure. Un cheval de trait peut travailler dès 4 ans, et jusqu’à 18 ans environ. Et ce six heures par jour dans les vignes, pendant la saison : de février à août, puis d’octobre à décembre », détaille Ramon Garcia. Originaire d’Albacete (Espagne) et ancien maître de chai en Bergeracois, il est l’homme incontournable du retour du cheval en Bordelais. Après une formation en Bourgogne, il fonde en 2009, près de Sainte-Foy-la-Grande, la société Aequitaine. Des débuts difficiles avec Olympe, sa première jument (trait breton), puis des premiers contrats en prestation de services. Aujourd’hui, son entreprise s’étoffe avec 23 chevaux à l’écurie dont 15 au travail au milieu des ceps.

« C’est une passion et toute une filière à réactiver : éleveur, fabricant de matériels, maréchal-ferrant… » reprend celui qui a formé bien des laboureurs du circuit et qui sous-traite parfois des contrats. Dans les vignes du château Le Puy, sa voisine du jour en fait partie. Susana Teixeira change de vie à 38 ans. « Vingt ans préparatrice en pharmacie et l’envie de prendre l’air, de revenir à la terre en poussant une charrue derrière Tulipe », explique cette fille de Lalande-de-Pomerol, où elle vient de créer sa société au nom bien choisi (Faire à cheval). Une seconde d’inattention, et l’animal mange les feuilles de vigne. « D’où l’importance du dressage, nécessitant deux à trois semaines, pour ce métier à part entière. Je crois à son avenir au sein même des propriétés, plus qu’à travers la prestation de services », complète Ramon Garcia. D’ailleurs, Pascal Amoreau vient d’acheter son cheval.

Château Latour a son écurie

« Pendant une saison, un homme et son cheval peuvent travailler 7 hectares de vignes environ. C’est dur, et il faut faire comprendre aux pouvoirs publics que ce mouvement – pratiquement inexistant ailleurs en France – n’est pas du folklore mais une nécessité agronomique et la naissance d’une filière économique », précise Daniel Noël-Fournier. Fondateur de Vini Vitis Bio (33), ce conseiller viticole a créé avec Ramon Garcia l’Association pour le retour de la traction animale en agriculture. En mars, ils organisaient même une première journée technique sur ce sujet, tout en suscitant les vocations.

Déjà, quelques grands crus s’y mettent, comme à Pauillac le château Latour, qui vient de construire une écurie pour six chevaux. Y sont travaillés de la sorte 14 hectares avec l’objectif d’en faire 47, soit la superficie de l’Enclos, le cœur du château. À Pape Clément, en AOC Pessac-Léognan, la jument Jamaïque va même voir arriver deux bœufs pour le même travail. « Ils pèsent moins que les chevaux », avance-t-on. Encore une nouveauté.

César Compadre