L’alliance des civilisations du vin et du thé

La ville de Libourne, capitale des vins de la rive droite bordelaise, a conclu un jumelage avec le district chinois de Pu’er, célèbre pour son thé. L’alliance de deux civilisations aux nombreux points communs.

Les 10 000 kilomètres qui séparent les deux vallées, celle de la Dordogne, en Gironde, de celle du Mékong, dans le district chinois de Pu’er, à quelques encablures de la frontière birmane, ne pouvaient nier l’évidence de ce rapprochement. Malgré la distance et toutes les caractéristiques culturelles qui les distinguent, ces villes du Sud-Ouest, Libourne en France et Pu’er en Chine, sont pratiquement tombées dans les bras l’une de l’autre, comme des sœurs désormais jumelles.

À la croisée des appellations bordelaises de Saint-Émilion, Pomerol, Lalande-de-Pomerol et Fronsac, la bastide girondine bénéficie aux yeux du monde entier de la même aura que sa désormais jumelle de Pu’er, pour son thé homonyme. Ambassadrices de deux trésors de civilisation, fruits naturels d’un terroir et du savoir-faire ancestral des hommes, les deux cités ont logiquement conclu un échange culturel et économique autour de leurs richesses respectives : le thé et le vin.

Une délégation girondine composée d’élus, dont le maire de Libourne, Philippe Buisson, ainsi que les présidents de quatre syndicats viticoles libournais, s’est envolée récemment pour la Chine, répondant à l’invitation de la municipalité du Yunnan. L’occasion pour les professionnels du vin d’initier leurs hôtes chinois à la dégustation mais également de constater les nombreuses similarités entre la vigne et la culture du thé.

Une culture de patience

Les deux plantes aiment d’abord prendre un peu de hauteur pour mieux révéler leurs qualités. Or si les pieds de merlot et de cabernet franc se contentent des coteaux de Saint-Émilion avec vue sur la Dordogne, les théiers Assam, dits « à grandes feuilles », s’épanouissent sur la terre rouge des versants des six montagnes dominant le Mékong, jusqu’à 1 500 mètres d’altitude.

Si les vendanges n’ont lieu qu’une seule fois par an, la cueillette des feuilles se déroule toute l’année. Mais la récolte la plus attendue est celle du printemps. Or, le théier évolue très lentement. Pour le Pu’er, les feuilles doivent être suffisamment grandes et présenter sept ou huit nervures. Les jeunes pousses de couleur vert tendre, très précieuses car très rares, sont conservées pour élaborer des mets raffinés ou sécher pour la production de thé vert. Comme pour les vignes, les pieds les plus anciens sont souvent les plus recherchés pour les saveurs plus profondes et plus complexes qu’ils génèrent. Certains arbustes sont même rendus à l’état sauvage, leur entretien ne se limitant qu’à quelques élagages.

Assemblage et vieillissement

Dans les plantations les plus nobles, les traitements sont bannis. Soucieuses de préserver cet environnement qui favorise la culture du thé, les autorités du district de Pu’er ont choisi, il y a seulement quatre ans, de paver plutôt que de goudronner une route en terre qui traversait les parcelles de thé « pour ne pas empoisonner les plantes ».

L’étape du tri des feuilles à la main se pratique également pour les raisins dans certains châteaux bordelais. Après les phases de fermentation et de séchage, pour obtenir la couleur noire, la phase d’assemblage est réalisée par un maître de thé, à l’instar du rôle de l’œnologue et du maître de chai.

Traditionnellement, depuis les premières expéditions sur la Route du thé, vers le Tibet, l’Inde ou la cour impériale à Pékin, les feuilles sont compressées en galettes, en pavés ou en champignons. Avec le temps, comme les grands vins, certains thés vont se bonifier. Ils peuvent, en vieillissant, développer une saveur sucrée. Les grandes années sont même millésimées. La préparation du thé est tout aussi cérémoniale que la décantation d’une bouteille de vin, avec la découpe de la galette, le rinçage des feuilles et les volutes de parfums délicats. Quant à la dégustation, pour les Chinois, « le thé éveille les humeurs et les pensées sages. Il rafraîchit le corps et apaise l’esprit. » Un proverbe qui évoquera certainement des souvenirs aux amateurs de vins.

Sylvain Petitjean