Accueil Quand la musique fait swinguer le vin

Auteur

Idelette
Fritsch

Date

21.06.2018

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La vinification en musique ? Après le recours à des boîtiers musicaux pour lutter contre les maladies du bois de la vigne, le domaine Haut-Lirou (AOP Pic Saint-Loup) s’apprête à commercialiser la première cuvée musicale élevée dans les sonorités de Lisa Simone…

Opportunité marketing ou réelle innovation ? En commercialisant, le 15 juillet prochain, la première cuvée musicale (baptisée Melody), élevée dans les sonorités jazz de Lisa Simone, le domaine Haut-Lirou, dans l’Hérault, ouvre une voie inexplorée pour l’élevage des vins. La musique dans les chais n’est pas en soi une innovation. La nouveauté de cette cuvée rouge AOP Pic Saint-Loup ? C’est directement dans la cuve que la musique a été diffusée, à l’aide de baffles étanches reliées à un amplificateur extérieur, selon un dispositif mis au point par la start-up Swing it, créée en 2015 dans l’Hérault.

L’effet sur le vin aurait un impact significatif, permettant de relever les typicités aromatiques du vin et d’en améliorer les qualités organoleptiques. « De septembre à décembre 2017, 20 heures sur 24 , les vins ont été soumis pendant la fermentation alcoolique à des vibrations musicales et des fréquences d’onde, avec pour conséquence de limiter le blocage des fermentations. Les levures se sentent bien, elles meurent moins vite et transforment plus rapidement les sucres en alcool », explique Sébastien Durand, cofondateur de cette entreprise qui a puisé son inspiration… dans l’eau d’une piscine insonorisée au cours d’une séance de natation synchronisée. « J’ai été impressionné par la qualité du son dans l’eau et les vibrations qui traversent l’onde », confie l’entrepreneur.

Jazz et classique, oui. heavy metal, non

De là à transposer ces bonnes ondes à l’univers du vin, il n’y avait qu’un pas… Franchi à partir de 2016 avec les premières expérimentations mises en place au domaine de l’Octroi, à Agde. Avec le vigneron Gérard Delort, Swing it peaufine ses gammes depuis deux millésimes en mettant au point, en partenariat avec un chercheur de l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (IRCAM), un protocole de vinification musicale identique. À chaque fois, deux cuves jumelles sont testées, l’une « silencieuse » et l’autre « musicale », contenant la même vendange et subissant une vinification identique.

Cette expérimentation a donné naissance à deux cuvées : Cap Jazz, un vin rosé IGP Pays d’Oc élevé avec des notes de musique jazz, et un viognier blanc Vivald’Oc vinifié, on s’en doutait, dans les arpèges endiablés des « Quatre saisons » de Vivaldi. « Nous étudions l’impact des styles de musique et des fréquences sur les levures indigènes en fonction des types de cépages », précise Sébastien Durand. Une expérimentation où le temps agricole donne le tempo, chaque action correctrice intervenant sur le millésime suivant. La base de données de Swing it est donc forcément balbutiante, mais les premières vérités peuvent faire mal aux oreilles : « On a pu observer des différences palpables de couleur, de goût et de maturité pour les vins élevés au son du jazz ou de la musique classique. Mais certaines fréquences sont inadaptées, comme la musique Metal dont on a constaté qu’elle entraînait des fermentations bien moins linéaires que pour les musiques douces », reprend-il.

Un scepticisme qui ne demande qu’à boire

Cette assertion emporte l’adhésion amusée de Bruno Quénioux. Si ce chantre des vins vivants, créateur de la cave PhiloVino à Paris, se dit séduit par l’idée de vins élevés en musique, il rappelle que quand on boit du vin, on ne boit pas du brouhaha, on boit du silence et du temps : « J’ai la profonde conviction que le vin a besoin d’un champ d’ondes bien supérieur à toutes nos musiques, qui s’appelle le silence et que l’humain ne perçoit pas. Nous vivons dans les fréquences, dans des mondes parallèles cachés les uns derrière les autres. La vraie démonstration qui sera faite de ces recherches, c’est que rien n’est neutre et qu’il faut être extrêmement prudent quand on touche au subtile et au vivant. » Prudent donc, mais séduit néanmoins par les perspectives ouvertes par de telles expérimentations.

Bruno Quénioux n’a-t-il pas en effet conduit à partir des années 90, des expériences visant à dépolluer les fréquences artificielles produites par l’électricité (wifi, téléphonie, etc.) ? « Les effets se sont avérés notoires au niveau de la fermentation : les vins s’éclaircissaient plus facilement, les cuves inox étant de véritables émetteurs de champs de fréquences du fait de la bipolarité nickel/chrome, précise Bruno Quénioux, en concluant : Je ne demande qu’à découvrir ces cuvées musicales, même si j’accorderai toujours la priorité à la musique des oiseaux, des insectes, des vents et de toutes les fréquences non perceptibles ».

Buzet met en musique sa lutte contre l’esca

Si l’élevage des vins en musique est donc loin d’avoir fait toutes ses preuves, d’autres expérimentations au champ sont plus avancées. Ainsi, la cave coopérative de Buzet, dans le Sud-Ouest, fait elle appel à la génodique, un procédé créé par le physicien Joël Sternheimer dans les années 90 et développé par l’entreprise Genodics. Il s’agit d’un boîtier planté dans la vigne qui à intervalles réguliers dégage des sons harmonisés permettant de réguler la synthèse des protéines au niveau cellulaire, dans deux chaînes métaboliques à l’intérieur de la vigne : celle produisant des polyphénols qui luttent contre champignons et bactéries ; et celle produisant de la lignine, permettant au bois de se reconstituer.

Après deux ans de tests sur 5 hectares, 17 vignerons adhérents de la cave coopérative ont investi courant mai, dans la pause de 21 boîtiers musicaux pour lutter contre les maladies du bois de la vigne. « Entre 2015 et 2017, la pause des premiers diffuseurs sonores a permis de diviser par trois à quatre, la mortalité des ceps notamment sur les cabernets sauvignon, l’un des cépages les plus sensibles à l’Esca », observe Pauline Castagnié, chargée du suivi vignoble. Point de musique diffusée sur les 200 ha concernés par la pause des 21 diffuseurs. « Ce sont des fréquences sonores correspondant à une formule mathématique et physique favorisant la synthèse de protéines. Les diffuseurs sonnent tous les jours pendant 8 minutes au moment où la plante est la plus réceptive, à 7 h le matin quand le flux de sève est montant et à 20 h le soir quand il est descendant », observe encore Pauline Castagnié. Quant aux sons perçus par les vignerons passant à proximité de ces fréquences, ceux de Buzet ont identifié la musique d’un orgue. Après Vivaldi, c’est bien Bach qui pourrait jouer les juges de paix.