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Raisins grêlés : veille de vendanges en Champagne

Auteur

La
rédaction

Date

01.10.2013

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Si la grêle est un drame terrible pour tout vigneron touché, il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain. La nature a des capacités de réaction insoupçonnées, et raisins grêlés = vendanges ratées est une équation qui n’a rien de systématique. Démonstration.

Mercredi 19 juin 2013, 19h50. De lourds nuages noirs venus de la région parisienne cheminent vers l’Est en empruntant la vallée de la Marne. Météo France a classé le département en vigilance orange. De fait, soudain, la grêle s’abat sur le haut du village de Mareuil-le-port avec une violence inouïe.

Chez les champagnes Harlin Père & Fils, près de 4 hectares ont étés touchés à des degrés divers. La récolte à venir, la taille et donc la récolte suivante sont directement impactées. Et pourtant, la famille Harlin ne baisse pas les bras. « Cette fois-ci, c’était notre tour, commente amèrement Dominique Harlin. Mais que voulez-vous qu’on fasse ? On continue ! » Continuer, c’est curer les fossés, remonter la terre, appliquer sur les vignes un traitement biodynamique de plantes cicatrisantes et dé-stressantes (camomille/bardane), surveiller les risques de maladies, entourer la vigne de soins constants pendant tout l’été (cisaillages à la main, travaux du sol, surveillance constante et traitements doux).

Nous nous sommes rendus cet après-midi sur les parcelles du domaine Harlin fortement grêlées lors de cet orage. Quel changement avec l’image de désolation que nous avions gardée il y a trois mois et demi ! Maxime Harlin est lui-même étonné de la manière dont les vignes ont réagi au stress qu’elles ont subi.

Certes, il ne faut pas chercher des volumes. Ni cette année, ni l’année prochaine d’ailleurs. La blessure économique est bien là. Une bonne partie des grappes manque (6, 9 grappes/m2 en moyenne contre 10, 4 sur les parcelles épargnées), et celles qui restent pèsent en moyenne 53 grammes contre 80-100 g en temps normal à ce stade. Les impacts de grêle sont encore visibles sur les rameaux, les bois sont très cassants, augurant d’une taille délicate et courte.

Quand aux grappes, elles sont petites, lâches, et il manque de nombreux grains. Mais la vigne a bien réagi, elle a multiplié les nouvelles feuilles, les rameaux secondaires, pour compenser les pertes qu’elle avait subies. Et elle a concentré son énergie sur les raisins présents.

« Goût de grêle » ?

La bonne nouvelle vient des prélèvements analytiques des contrôles de maturité. Ces petites grappes très aérées mûrissent vite et ont un état sanitaire parfait. Les derniers contrôles de maturité effectués jeudi dernier enregistrent en moyenne un degré potentiel de plus que les autres vignes. Les baies sont fermes, les peaux sombres, les pépins craquants au goût de noisette augurant une bonne maturité des polyphénols. Bref, du caviar ! Maxime Harlin prévoit de vendanger ces grappes parmi les premières, puis délicatement les presser, sans chercher à en extraire trop de jus. Il faudra certainement 4100 – 4200 Kg de raisin contre 4000 habituellement pour obtenir les 25, 5 hl réglementaires d’un marc au pressoir.

Alors certes, chez les Harlin, la grêle a eu lieu juste après la floraison, laissant tout l’été à la vigne pour réagir. Plus tard dans la saison, la grêle affecte directement les grappes développées, faisant éclater les peaux, avec le risque de développement de pourriture, telle une gangrène sur une plaie. Mais, là encore, ce n’est pas systématique. Un exemple de grêle très localisée début juillet sur la Montagne St-Thierry tout près de Reims, prouve que si le temps est beau et sec par la suite, les baies peuvent tout à fait cicatriser.

Rien ne justifie en tous les cas de condamner par avance une vendange grêlée au plan qualitatif, au prétexte qu’elle aura un « goût de grêle » comme l’ont fait cet été certains oracles et autres Cassandre. Quelle est d’ailleurs la définition de ce goût ? En bons scientifiques, nous nous sommes appliqués à faire des prélèvements de baies dans les parcelles touchées, puis à toutes les goûter. Et dans les petits raisins fruités et sucrés dont nous nous sommes régalés cet après-midi là, si goût de grêle il y avait, ce fut un goût de Graal !

Joëlle W. Boisson