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Sur les traces de l’Homme-Cheval

Auteur

La
rédaction

Date

12.11.2012

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L’Homme-Cheval, ce n’est pas une créature mythique, encore moins un super-héros… Plutôt un super-vigneron : à la frontière du vignoble blayais, Dominique Léandre-Chevalier trace depuis vingt ans un chemin de franc-tireur, entre labour au cheval, plantations à haute densité et écoute de la nature, au service de vins propres et forts en personnalité.

Dans le manège de la viticulture, on trouve les trotteurs qui ne sortent jamais du rang, les galopeurs qui ne visent que le podium, les spécialistes du saut d’obstacle toujours prêts à se dépasser… Et puis il y a les autres, les fougueux, les indomptables, qui suivront toujours leur instinct et n’entreront jamais dans aucun box. L’analogie équestre n’est pas gratuite : Dominique Léandre-Chevalier (un patronyme dont l’étymologie signifie littéralement « homme-cheval ») en a fait l’une de ses marques de fabrique, du travail de la vigne au logo de ses étiquettes. Autant dire que parmi les profils énumérés plus haut, il appartient à la dernière catégorie, celle des indomptables.

Une question d’héritage(s)

Il est, en tout cas, inclassable. Lorsqu’on le rencontre, Dominique Léandre-Chevalier se présente comme « jardinier avant d’être vigneron ». Puis il détaille son parcours : « Mes grands-parents et mes parents faisaient du vin, ils étaient aussi pépiniéristes, et ils élevaient des chevaux, ici à Anglade, à une quinzaine de kilomètres de Blaye, sur la rive droite de la Gironde. J’ai grandi au contact de tout cela, mais je ne m’y destinais pas, c’est pourquoi j’ai suivi une formation auprès des Compagnons du Tour de France. J’y ai trouvé pendant plus de sept ans une seconde famille, et une autre forme d’éducation, un amour du travail bien fait. Je faisais du dessin, du staff, de l’architecture… Et puis un jour, sans trop savoir pourquoi, a surgi cette évidence : il fallait que je revienne. »

En 1985, Dominique Léandre-Chevalier reprend donc le flambeau de son père, à la tête de 12 hectares aux frontières du vignoble blayais. Le temps de confirmer son apprentissage « sur le tas » mais aussi de retourner à l’école – viti, gestion, oeno – « pour être armé. Cela m’a surtout permis de savoir ce que je ne voulais pas faire… », précise-t-il. A contre-courant des tendances de la viticulture moderne, « DLC » décide de revenir aux méthodes d’autrefois, au savoir-faire et aux saveurs que défendaient les anciens : pas de chimie, travail des sols, écoute et respect de la nature, pour signer « des vins qui ont du caractère, de la typicité, de la subtilité. Et surtout, des vins qui se boivent ! »

Dentelle

Pour atteindre cet objectif, Dominique décide au début des années 1990 de réduire radicalement la voilure : il passe de 12 à 1, 2 hectare (aujourd’hui 3), se compose un vignoble « chirurgical » (7 parcelles, 8 terroirs différents), et fait de la densité de plantation l’une des clés de voûte de son travail. « Lorsqu’on parle de vin, on parle de millésime, de terroir, de cépage, mais la densité est également capitale, souligne-t-il. C’est ce qui donne la consistance du produit, la matière première, comme en cuisine ». Une posture qui s’est résolument affirmée au fil des années : on trouve aujourd’hui chez lui, des vignes à 5500 pieds/hectare, 10 000 pieds/hectare, et même… deux parcelles de merlot plantées à 11 111 et 33 3333 pieds/hectare, sans oublier une parcelle de petit verdot à 33 333 pieds/hectare ! « La très haute densité nous permet d’obtenir des raisins d’une qualité et d’une pureté incroyables, et surtout nous avons des maturités beaucoup plus précoces, avec au moins quinze jours d’avance sur les autres. Cette année, j’ai récolté les merlots le 21 septembre, et en trois semaines nous avions tout fini, petits verdots, vieux cabernets… » Il convient de préciser qu’ayant hérité de la tradition de pépiniériste de ses aïeux, Dominique Léandre-Chevalier privilégie la sélection massale et utilise ses propres greffons.

De cette philosophie découle un travail tout en dentelle : on ne dépasse pas cinq ou six grappes par pied (sur les vignes à 33 333, on se situe plutôt à deux grappes…), les vignes sont plantées « en biscarret » (en diagonale, sur les plus faibles densités) pour permettre au racinaire de se développer. Taille courte, pas d’enherbement, griffage au cheval, traitements basse pression (avec des huiles, uniquement des produits de contact) à l’aide d’un appareil « prototype » à cinq roues pour éviter de tasser les sols. Dominique Léandre-Chevalier emploie un ouvrier par hectare pour un travail permanent à la vigne. « Il faut garder l’identité et le cycle des sols, préserver la matière organique, réfléchir à l’équilibre de la plante en lui envoyant un message préventif, qui l’aide à s’autoréguler », souligne-t-il. Les vendanges et le tri se font manuellement, les grappes transitent délicatement en cagette vers le chai. La vinification se fait avec levures indigènes : les vins ne sont ni chaptalisés, ni collés, ni filtrés, avec un minimum de sulfites. L’outil de travail au chai se résume à cinq cuves ciment, deux cuves bois tronconiques, et depuis deux ans des barriques disposées… debout : « plus de pigeage, plus de remontage, on laisse le raisin se débrouiller » !

Bien sûr, on est ici au plus près de ce que l’on pourrait appeler le « vin nature ». Pourtant, Dominique Léandre-Chevalier ne se réclame d’aucune chapelle, d’aucun label – ni bio, ni biodynamie. Il trace sa propre voie, n’hésitant pas à bousculer l’AOC pour tenter ses expériences.

Entre AOC et Vins de France

Ainsi, sa cuvée d’entrée de gamme Le Queyroux (AOC Blaye-Côtes-de-Bordeaux) est proposée en deux versions, 100% cuve ciment ou affinage 12 mois en barrique, mais elle est aussi proposée en bouteille de format bourguignon, sous le nom « L’Homme-Cheval », en Vin de France. Il s’agit strictement du même vin : « c’est une façon de mettre en avant le contenu, pas le contenant », sourit le vigneron. Il en va de même pour la cuvée Le Joyau (48% merlot, 48% cabernet sauvignon, 4% petit verdot, issu de vignes à 10 000 pieds/hectare), elle aussi présentée sous l’étiquette « L’Homme-Cheval ». « Je n’ai rien contre l’AOC, précise Dominique Léandre-Chevalier. C’est juste que je suis obligé de sortir de l’AOC pour réaliser des choses bien précises ».

Parmi la douzaine de vins qui composent sa gamme, on trouve ainsi, en Vin de France, un « C… que du bonheur » composé à grande majorité de cabernet vinifié en grappes entières, un 100% Provocateur à dominante de petit verdot planté à 33 333 pieds/hectare, le duo « 11 111 » et « 33 333 » présentant deux monocépages merlot issus du même terroir et plantés à des densités différentes… On trouve même, depuis l’année dernière, un incroyable « Blanc Noir » (en cuve ou en fût) : un vin blanc produit à partir de cabernet sauvignon ! Une dégustation au Domaine Léandre-Chevalier, c’est un voyage immobile, allant de l’évidence fruitée du Queyroux 100% cuve (un vin « inspiré » par Marcel Lapierre) à l’élégance mentholée de « C… que du bonheur », en passant par l’intensité du Joyau et les étonnantes touches animales du 100% Provocateur.

Reste enfin, le secret le mieux gardé de DLC : sa cuvée Tricolore, un vin expérimental issu d’un vignoble de francs de pieds de petit verdot pré-phylloxériques, plantés en cercle à 33 333 pieds/hectare selon la procédure du provignage : chaque année, le sarment est enterré et se transforme en racine… Il en résulte un vin rare – et cher – qui illustre bien la quête l’absolu de cet aventurier vigneron. Déjà connu dans plusieurs pays, souvent salué au côté des plus grands lors des dégustations à l’aveugle, Dominique Léandre-Chevalier façonne la renommée de ses vins hors norme, années après année. Avec la patience d’un cheval de trait, et le panache d’un pur-sang.

Mathieu Doumenge

Prix indicatif des cuvées : de 15 € à 30 €. Plus de renseignements, ainsi que sur les deux chambres d’hôtes du domaine, sur le site www.lhommecheval.com