Accueil Reims : la « gigantesque » expérience Pommery #13

Reims : la « gigantesque » expérience Pommery #13

Auteur

Jean-Michel
Brouard

Date

18.10.2016

Partager

La maison de champagne Vranken-Pommery vient d’inaugurer sa nouvelle exposition d’art contemporain sur son domaine. Une expérience unique et poétique.

Depuis plusieurs années, de nombreuses maisons viticoles ont initié des partenariats avec des artistes. Le célèbre château Mouton-Rothschild confie ainsi depuis plusieurs décennies la création de ses étiquettes à des créateurs d’émotion. Peu d’acteurs ont toutefois poussé leurs collaborations artistiques aussi loin que Paul et Nathalie Vranken.

Propriétaires, entre autres, de cette institution qu’est la maison Vranken-Pommery, ils ont décidé d’initier voilà 13 ans des liens particulièrement étroits avec le monde de l’art contemporain dont ils sont de fervents amateurs et collectionneurs. Pour le plus grand plaisir des Rémois, chaque automne est l’occasion du lancement d’une nouvelle « expérience », véritable parcours initiatique dans les nombreuses et imposantes crayères du domaine. Le terme d’exposition n’est ici jamais prononcé car il s’agit véritablement de se laisser transporter par un lieu magique, où grandeur et mystère se répondent dans un écho sans fin. Pas une année sans qu’un univers propre ne soit créé.

Pour cette 13ème expérience, c’est le « gigantesque » qui a guidé les choix de Fabrice Bousteau, rédacteur en chef de Beaux-Arts magazine et commissaire de l’exposition. De l’infiniment grand à l’infiniment petit, l’art contemporain est, pour lui, un moyen de profiter de joies simples mais aussi de s’interroger sur des questions graves. « De l’audace et de l’utopie », les 23 artistes présentés dans ce merveilleux méandre de galeries n’en ont pas manqué. Les œuvres interpellent, surprennent, charment, dérangent, déroutent. L’essence même de la singularité de l’art contemporain ou plutôt des arts contemporains.

Sons, vidéos, sculptures

Une fois les grandes portes d’accès passées, l’on est immédiatement plongé dans un univers féérique grâce à Pablo Valbuena dont le « Kinematope » permet d’allumer progressivement toutes les marches du majestueux escalier qui conduit 30 mètres sous terre. Une évidente force d’attraction qui met la curiosité du visiteur en éveil et le prépare à découvrir un monde souterrain haut en couleur et sonore. Le son est en effet partout présent tout au long du parcours, restitué notamment par le Soundwalk Collective qui a enregistré le bruit du désert Rub’al Khali, le plus grand du monde au sud de la péninsule arabique. Loin d’être apaisé, le désert bruisse d’éléments sonores disparates, des ondes des radios des 4×4 au bruit des bateaux sur les côtes. Les certitudes du visiteur sont remises en question. Ainsi bercé, l’on se prend à sillonner entre les totems en objets plastiques suspendus tout au long d’une galerie, une installation « happy happy » de l’artiste coréen Choi Jeong Hwa. Ode à la gaîté simple ou dénonciation d’un productivisme exacerbé ? La rencontre avec les 3 puits sans fond d’Iván Navarro s’avère ensuite hypnotique, le mot « Die » en néon se perdant dans un infini illusoire qui semble transpercer le sol de l’une des crayères. Une mise en condition parfaite pour se laisser emporter par les « extensions » de Philippe Baudelocque, gravures rupestres toutes cosmiques qui conduisent à s’interroger sur la pérennité de la mémoire collective actuelle. Le numérique nous aveugle en nous donnant l’illusion de tout pouvoir conserver. Mais en réalité, Fabrice Bousteau rappelle que « 15% à 30% des documents stockés numériquement disparaissent chaque année ». Dans quelques siècles, l’origine artistique de ces marques dans la craie sera certainement ignorée de nos descendants qui pourront penser à des inscriptions millénaires. Un risque d’effacement de notre mémoire que Lee Mingwei a parfaitement su rendre avec son « Guernica in sand ». Une reproduction immense en sable du célèbre tableau qu’il viendra brouiller avec un balais dans une performance prochaine pour matérialiser ce risque. On ne saurait ici tout dévoiler car cette expérience Pommery n°13 doit conserver une part d’inconnu. Ce moment rare et délectable nécessite un sas de décompression avant le retour au réel. La villa Demoiselle, joyau art nouveau, joue ce rôle en prolongeant l’expérience mais côté classique cette fois-ci, en exposant des toiles prêtées par le musée des beaux-arts de Reims. Ce n’est pas grand, c’est « gigantesque ! ».

Expérience Pommery #13 – du 14/10/2016 au 31/05/2017
En savoir plus