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Jean-Michel Deiss, l’amoureux des grands vins est à Bordeaux

Auteur

La
rédaction

Date

14.12.2013

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A l’occasion de Bordeaux Tasting, dans l’espace Grands Invités, l’Alsacien Jean-Michel Deiss, est revenu, pour Terre de Vins, sur sa notion des « grands vins ». Alors que l’interview était menée sur la remise en route de l’Université des Grands Vins depuis quelques mois, la discussion s’est convertie en véritable match de passionnés, Christophe Capdeville, directeur de la propriété Brane-Cantenac (Grand Cru Classé 1855 de Margaux, propriété d’Henri Lurton) ayant rejoint le stand pour déguster les vins. Qu’est-ce qu’un grand vin ? Comment éduquer les amateurs et les producteurs à cette notion de grand vin ? Double regard de deux producteurs passionnés : Médoc versus Alsace.

Terre de vins à Jean-Michel Deiss : Pourquoi avez-vous décidé de créer cette Université des Grands vins ? Qu’est-ce que vous en attendez ?

La première chose, c’est que c’est une idée adulte et adoptée. J’ai encore (en montrant son téléphone) six ou sept inscriptions fraîches de ce matin. Cette association est évidemment destinée aux Alsaciens, 50 % des places pour ceux issus de la production et 50 % pour les amateurs. De plus, on veut une vraie mixité : La moitié de garçons et l’autre moitié de filles. C’est inscrit dans les statuts, cette idée de mixité, c’est aussi notre énergie. Et on se met tous ensemble autour d’une grande idée : le grand vin.

Comment se déroulent vos dégustations ?
Une fois par mois, on propose surtout à des jeunes d’accéder à des grands vins à des conditions économiques abordables. C’est la seule façon de tirer la viticulture vers le haut. Si un amateur ou un producteur n’a jamais goûté de grand vin, il ne l’achètera ou ne le produira jamais ! Je fais le boulot d’éduquer les gens au « grand vin ». Par exemple, la semaine dernière, l’association des grands vins faisait déguster trois vins du domaine de la Romanée Conti pour 50 euros. Cela coute 850 euros à Paris, mais moi ma responsabilité c’est que des jeunes aient la chair de poule devant un grand vin, pour qu’il comprenne ce que c’est et qu’ils aient envie d’y revenir. Au lieu de faire des discours, je fais le boulot quoi. Rassembler négociants, amateurs, journalistes, producteurs…

Faire découvrir et rassembler ?
Je suis quelqu’un d’exalté, et cette équipe est en train de me corriger, d’essayer de me raisonner sur certaines choses. J’ai même payé la première entrée à certaines personnes du vignoble avec qui j’étais en conflit depuis un certain nombre d’année !

Est-ce un moyen de réconcilier?
C’est un dépassement par le haut. Sortir du conflit stérile qui ne sert à rien pour aller vers une vraie exigence, c’est constructif.

Quels seront vos ambassadeurs de grands vins pour les prochaines séances ?
Nous accueillons le 9 janvier prochain Stéphane Derenoncourt, Michel Bettane le 11 février, Reinhard Lowenstein, début mars. C’est un très grand vigneron allemand qui expliquera les difficultés des terroirs allemands avec l’actuelle législation du vin, comment ce pays va vers une législation de cépages vers une législation de terroirs. Et surtout ceux qui viennent aussi, puisqu’après la dégustation, chacun présente une bouteille qu’il a ramené de la cave et explique pourquoi.

Vous faites partie, comme Aubert de Villaine dont vous dégustiez les vins récemment, des vignerons pratiquant la biodynamie. Pensez-vous que ce soit une condition sine qua non pour faire un grand vin ?
Il y a un mystère derrière ça. Je connais des gens totalement irrespectueux de leur environnement, je dirais même de véritables salopards qui ne laisseront rien derrière eux, et qui, pourtant, contre toute attente arrivent à faire des grands vins. Puisque le grand vin est un résultat du stress de la vigne, cela peut être possible. Mais il n’y aura pas de durabilité. C’est là tout le problème. On place la plante dans cet état de stress grâce aux plantations et à la densité de plantation, et puis ensuite grâce à la biodynamie, on l’aide. On la porte, on la pousse, on la touche. L’arbre et l’animal jouent exactement le même rôle.

Mais puisque nous sommes à Bordeaux, la capitale mondiale du vin, les grands vins sont-ils vraiment ici selon vous ?
J’ai une relation compliquée à Bordeaux, excepté Saint-Emilion dont je me sens plus proche grâce au monde de calcaire et de fruit. Dans le Médoc, il y a une forme de conformité, on fait ici souvent ce que les gens attendent. Pour moi c’est plus un terroir humain, là où j’attache plus de crédit les terroirs géologiques sont ceux qui font des grands vins. Dans le Médoc, on pouvait faire autre chose que de la vigne, il a fallu drainer, etc pour en faire des terres de vigne. Parfois cela me gêne, cela est un peu artificiel et cela rend les vins prédictibles. Mais c’est mon idée du vin, je ne prétends pas avoir raison.

Christophe Capdeville (directeur technique de Brane-Cantenac), d’ajouter :
Dans le Médoc, les grands terroirs sont ceux, là où on ne peut faire rien d’autre que de la vigne. Je rejoins en partie Jean-Michel. Au cœur de Brane-Cantenac, par exemple, il y a ce sol bien particulier où les graves sont composées dans leur ADN d’argile, ce ne sont pas des couches. Et là, on observe bien que les vignes creusent et s’équilibrent plus naturellement. Notre rôle devient juste de les accompagner. Là où d’autres cultures pourraient pousser, alors on ne fait que rectifier.
Mais à Bordeaux, ce qui peut paraitre trompeur, c’est aussi la question d’assemblages, qui peut sembler gommer les terroirs. Comme un peintre ou un sculpteur qui choisit ses outils, un photographe qui choisit ses objectifs, etc… Ce sont des styles différents.

Jean-Michel Deiss : C’est donc une histoire d’ego, soit de volonté de l’être humain. On oppose ici le rôle géologique et le rôle accompagnant du vigneron en humilité face à l’objet final, au terroir humain, primat du pouvoir et du capital. C’est peut-être ça l’assemblage finalement, un exercice d’égo. Toutes mes vignes sont complexes, soit dans chaque parcelle, conplanté d’une dizaine de cépages. Pour aider les différentes souches à se rassembler, la présence de l’arbre et de l’animal pour venir parfaire l’équilibre. Je ne corrige pas mes vins, je les accompagne. Cette conplantation est fondamentale et j’espère que beaucoup de vignerons y reviendront, y compris à Bordeaux. C’est la seule façon de faire travailler les plantes ensemble.

Christophe Capdeville : Je pense au contraire qu’il y a beaucoup d’humilité derrière l’assemblage. C’est une magie, chaque élément pris individuellement qui a des qualités particulières, s’associe entre eux et donne une complexité unique.

Terre de vins :
Êtes-vous en train de faire un match Médoc versus Alsace ?

Jean-Michel Deiss : Non, car je pense que nous avons une sensibilité commune sur l’origine d’un grand vin : la plante. C’est elle la star de cette histoire.
Je peux critiquer Bordeaux, car je n’y suis pas. Nous n’avons bien sûr pas les mêmes problématiques de climat. Je ne travaille pas sur des superficies aussi grandes d’un tenant. Le tout, c’est de faire les bons choix. Lorsque nous sommes en haut de l’Himalaya, que fait-on ? A part aller chercher les autres ? Si je dis que nous sommes 5 % de grands vins aujourd’hui, je suis sûr d’être optimiste… Il faut aller chercher les autres.

Dégustez ces « grands vins » jusqu’à 19h aujourd’hui et demain toute la journée, au rez-de-chaussée du palais de la Bourse. Proposés : Brane-Cantenac 2006, Baron de Brane 2005, Rotenberg 2008 au stand J20, et Grand Cru Altenberg de Bergheim 2008, Rotenberg 2009, Gruenspiel 2008 au stand Gi3.

L.G.