Accueil Terroirs et Vignobles Domaine Henry, aux ceps de l’Histoire

Auteur

Idelette
Fritsch

Date

13.07.2017

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Dans l’Hérault, le domaine Henry redonne vie aux cépages oubliés qui faisaient la réputation du terroir de Saint-Georges-d’Orques il y a plusieurs siècles. Fruit de dix ans de recherche, une cuvée – « Le Mailhol » – signe le retour d’un grand vin disparu, apprécié au XIXe siècle par le président des États-Unis, Thomas Jefferson.

Ses arômes de rose fraîche, de violette et de griotte sauvage issus d’un pur jus d’œillade noir, de morrastel noir à jus blanc et d’autres cépages quasi disparus, sa nervosité, ses tanins toniques, font l’effet d’une claque aromatique. Vin ovni issu de cépages oubliés, vin mémoire proche de ceux produits au XVIIIe siècle à Saint-Georges-d’Orques à l’ouest de Montpellier, « Le Mailhol » est aussi un vin pugnace. Réinventé après 300 ans d’oubli, il est le fruit d’une quête passionnée de dix ans, pour recréer en 2000, sur 75 ares, les conditions d’expression d’un grand terroir, celui de Saint-Georges-d’Orques dont les vins étaient comparés au XIXe siècle aux plus grands bourgognes. C’est cette histoire qui a amené François et Laurence Henry à choisir, en 1992, ce vignoble aux portes de Montpellier pour y créer leur domaine. L’aventure commencera sur 9 hectares en fermage (aujourd’hui 11, dont 5 en propriété) et dans les bibliothèques régionales, à solder les jours pluvieux, inemployés à la vigne, par des lectures érudites.

Un vigneron archéologue

« Notre implantation ici ne doit rien au hasard, aime rappeler François Henry, dixième génération de vignerons à Tressan puis Montagnac à l’ouest du département. J’ai toujours aimé l’histoire, les belles histoires, surtout quand elles sont vraies et régionales parce qu’elles racontent nos racines. » Gamin déjà, sur l’exploitation viticole de son père, le petit François s’essayait à l’archéologie tous les jeudis, ses trouvailles ayant permis l’authentification par l’abbé Giry, conservateur du site archéologique d’Ensérune, d’un cimetière wisigoth du IVe siècle. Jeune vigneron, c’est la cuvée « Thomas Jefferson », produite en 1981 par la cave de Saint-Georges-d’Orques, qui pique sa curiosité. « Grand amateur d’agronomie et de vins fins, fine fourchette, Thomas Jefferson, alors ambassadeur en France, découvrait à la fin du XVIIIe siècle, lors d’un voyage en Languedoc, les vins de Saint-Georges-d’Orques qu’il adorait. Devenu président des États-Unis, il détaxa ces vins pour en favoriser l’importation », retrace-t-il. Dans les pas de Thomas Jefferson, François et Laurence Henry affinent dès lors leurs recherches historiques. « Ça devait être une fibre enfouie en moi car une fois mis le pied à l’étrier, je ne me suis plus arrêté », admet François Henry. Le couple de vignerons exhume les vieux livres d’histoire du Languedoc, à la bibliothèque de Montpellier, aux archives départementales de l’Hérault. La découverte, en 1992, de deux opuscules du XIXe siècle leur ouvre des pans entiers de l’histoire de Saint-Georges-d’Orques. « Nous avions la confirmation qu’à la fin du règne de Louis XIV, ces vins étaient connus dans toute l’Europe et bénéficiaient d’une marque à feu pour lutter contre les contrefaçons avérées », précise-t-il, intarissable.

Terra incognita

Le secret des grands vins de Saint-Georges-d’Orques les saisit au détour d’une page, quand ils découvrent l’encépagement historique. « Ça a été un choc, il n’y avait que des inconnus ! Un cépage dominant l’œillade noir, complété avec de l’œillade gris, du morrastel noir à jus blanc, du ribeyrenc, de l’aspiran gris, du terret noir et gris et d’autres cépages anecdotiques comme le fouiral, ou le calitor. » Dès lors, avec l’aide des chercheurs de l’Institut national de recherche agronomique (INRA) de Montpellier, Laurence et François Henry collectent de vieilles sélections massales pour recréer ce vin historique. Il leur faudra cinq ans, de 1992 à 1998, pour amasser ce précieux matériel végétal. L’hiver 98, le domaine bascule dans une autre dimension et prend rendez-vous avec l’histoire. « Nous avons complanté, sur une parcelle de 75 ares nommée Le Mailhol (le jeune plantier en occitan, NDLR), ces greffons en organisant la foule : les œillades ensemble, puis les terret, etc. Là a commencé notre deuxième vie de vignerons, car il a fallu tout réapprendre », témoigne François Henry. Face cette vigne hétérogène, la première récolte en 2000 mêle les morrastel presque confits dont une grande partie est passerillée, à des ribeyrenc ou des terret aux jus déliés, à peine mûrs. À la vigne et à la cave, le couple de vignerons procède par tâtonnements : « En 2001, nous sommes partis sur des choix agronomiques trop modernes, avec deux vendanges en vert. La vigne n’a pas aimé. En 2002, nous avons rectifié le tir en étant moins interventionnistes sur le plan viticole, mais nous avions trop trié les baies ce qui a réduit à néant les écarts de maturité », expliquent-ils. Le premier millésime commercialisé, le 2003, le sera en 2005. Vin anti-mode, bombe aromatique à la palette très étalée, « tout fleur et tout fruit en même temps » avec des arômes de fruits confits, de la fraîcheur et de la tonicité, Le Mailhol (37 € prix caveau) s’impose très vite sur les tables gastronomiques : le Pavillon Ledoyen à Paris (trois macarons Michelin), Troisgros à Roanne (***), l’Auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse (***), etc. « C’est le vin dont nous sommes le plus fiers, claironne le duo Henry réputé produire des vins d’excellence, dont l’emblématique cuvée « Le Saint-Georges d’Orques ». Il nous rend fiers, poursuit François Henry, parce qu’il est la signature liquide d’un lieu, il interroge sur la typicité d’un terroir, de ce qu’a été une région, un style et de ce qu’il pourrait être à nouveau. »

« Terre de Vins » aime :
Dans les deux bars à vins Trinque Fougasse de Montpellier, on peut déguster Le Mailhol, sur les conseils de Pauline la sommelière maison, accompagné de la « planche canard », une déclinaison savoureuse avec magret fumé, séché ou rôti, tartare, foie gras et confiture d’oignon.

Article publié dans « Terre de Vins » n°48, actuellement dans les kiosques. Photographies Emmanuel Perrin.