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Bocuse d’or France : en cuisine avec le vainqueur Laurent Lemal

Auteur

Anne-Sophie
Thérond

Date

23.09.2015

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Laurent Lemal, chef étoilé du restaurant La Coopérative, à Bélesta près de Perpignan, vient d’être sacré vainqueur du Bocuse d’or France, ce qui lui permet de représenter notre pays dans la finale de ce prestigieux concours de cuisine qui, depuis 1987, distingue des talents venus du monde entier. Une belle reconnaissance pour ce chef qui nous avait ouvert les portes de ses cours de cuisines il y a deux ans.

Ce sujet a été publié dans le cahier « Sud » de « Terre de Vins » n°24 (juillet-août 2013). Textes d’Anne-Sophie Thérond, photos de Jean-Marie Goyhenex.

Bélesta se gagne en grimpant vaillamment entre des vignes aux ceps noirs et noueux. Le Canigou, la montagne sacrée des Pyrénées-Orientales se dresse à l’horizon. Le château veille sur le village, l’imposante cave coopérative à ses pieds. Depuis deux ans, elle s’est métamorphosée en boutique-hôtel, cave et restaurant. Deux architectes, Karin Pühringer et Luc Richard, ont ressuscité ce bâtiment, relié vin et tourisme. Riberach est un hôtel-cave où l’on voit le raisin rentrer à l’automne, où l’on peut suivre sa transformation jusqu’au vin servi au restaurant. Les anciennes cuves sont devenues des chambres cosy avec vue sur vigne. Le style épuré contemporain souligne les éléments iconiques du passé vigneron. Le tout mené avec une conscience écologique allant des vignes conduites en bio aux réaménagements de l’hôtel excluant toute énergie fossile.

En cuisine, le chef Laurent Lemal arrive avec sa femme Julie, pâtissière, pour l’ouverture de la Coopérative, le restaurant de Riberach. Lui est né dans le Nord, a appris à Paris, à brillé en Provence ou bien sur les sommets enneigés puis s’est approprié ce coin de Roussillon. La rencontre avec les producteurs côté mer comme côté montagne, est devenu un rituel, il va lui même s’approvisionner en fromage et charcuterie dans la vallée de la Rioja. « Pas de recette sans ingrédients » annonce-il sur la carte dans la page dédiée à ses artisans des saveurs. Son goût pour le terroir se combine aux touches subtiles de produits japonais, chinés d’un clic de souris. Trente-trois ans dont dix-sept de métier, la maitrise acquise donne toute liberté à sa créativité. Il griffe la carte blanche de ce restaurant, architecture des assiettes en couleur et en volume et insiste tout autant sur le goût ; l’équilibre et l’acidité, exigeant et perfectionniste jusqu’au plus petit détail. Le devinerait-on derrière son sourire serein et sa bouille ronde, l’humour qui pointe dans les noms ses plats, « Œufs et truffes, qui s’embrouille et qui se débrouille » pour le Nouvel an, « rhubarbe attitude », dessert de printemps…

Il propose depuis deux ans sa cuisine gastronomique (depuis 2011, NDLR) dans l’ancienne salle du pressoir devenue restaurant. Il démarre au printemps 2013 ses cours de cuisine, donne rendez-vous un samedi matin par mois: démonstration de cuisine, dégustation de crus en présence du vigneron concerné et synthèse : soit un déjeuner tout en accord mets et vins.

Le chef a la « green attitude »

Pour son premier thème « cuisinez green », il a inventé 6 recettes déclinant les légumes primeurs, présentées dans un livret noué de raphia naturel. « Un menu en petites touches sympathiques, facile à reproduire chez soi » annonce le chef en veste blanche. Laurent Lemal guide ses six stagiaires de la bibliothèque-bar jusqu’à une petite cuisine sobre et simple, spécialement aménagée. Il s’installe dernière la banque, face aux stagiaires.

Comme les timides se dépassent sur les planches, il se révèle disert et pédagogue. « J’ai imaginé un cours avec tout ce que j’aimerai découvrir, les bases, les trucs et les idées sympas. J’aime bien le côté gourmand, je suis un adepte du snacking ! ».
Il a volontairement limités les outils « en cuisine et pâtisserie, un fouet et une maryse, ça suffit ! ». Avant tout, il conseille de préparer et peser tous les ingrédients en amont. Cette anticipation lui permet de cuisiner en direct les six recettes en deux heures. Colette et Christine, deux sœurs passionnées de cuisine, Nicolas et Muriel, toulousains en week-end gourmet, Denis, familier de la Coopérative, Jean-Michel, le vigneron de la maison et Wilfried, le vigneron invité regardent, notent, posent des questions, photographient ! Ni tablier ni couteau imposé, mais les volontaires peuvent seconder le chef lors des étapes de découpe ou de dressage.
Laurent Lemal jongle entre les recettes, « d’abord la pâte levée », détaille les difficultés, « l’important avec l’agar-agar, pour la tarte de petits pois, est de commencer à froid », partage ses astuces « on met nos bases de pâte dans des poches à douille sous vide au frigo ».

Les calçots (les oignons nouveaux catalans), petits pois, asperges, févettes et herbes, combinés aux produits de artisans locaux, deviennent risotto de coquillette aux petits pois -Tomme du Mas Py, pickles d’asperges blanche – ventrêche de thon confite – Jambon de chez Xifre, gressins au sésame noir – Crème de boudin noir aux févettes et calçot, financiers aux asperges et amandes du Roussillon, gaufres d’asperge – Émulsion de fromage blanc de Sophie Sola, tarte fine de petits pois « sans pâte », sardines marinées – Herbes folles. Tout se picore debout autour du comptoir, avant d’enchainer sur la deuxième dégustation, le vin.

Riberach reçoit sur son terrain !

Luc Richard et sa fine équipe de vignerons et œnologues – Jean-Michel Mailloles, Patrick Rodrigues, Moritz Herzog, Guilhem Soulignac – transforment les 10 hectares de vignes bio du domaine Richerach en cuvées rouges et blanches nommées Thèse, Anthithèse Synthèse et quelques Hypothèses. Leur Synthèse de carignan gris, structuré comme un blanc, sapide et salin, équilibré et frais comme un rosé, semble fait pour ces recettes « green ».

Comme la cave de Riberach entretient des relations complices avec les vignerons voisins qui travaillent dans la même démarche, elle les distribue à boutique, les propose à la carte du restaurant, organise avec eux des manifestations et les met à l’honneur dans ce cours de cuisine.

Wilfried Valat, du domaine la Nouvelle Don(n)e, sur le terroir de Calce, est le premier invité. « Avec Riberach, pour le vin comme la cuisine, on partage le même esprit : l’élément central est l’acidité. » explique le jeune vigneron œnologue. En 2007, il sauvait de l’arrachage 5 hectares de vieilles vignes pentues, au Col de la Done. Il les travaille « à la bourguignonne », soigne ses vignes en bio, vinifie d’une main légère, cisèle des micro-cuvées, s’amuse sur les noms et les étiquettes… de l’artisanat de luxe !

Il présente ses deux blancs, Néo-Nervis en maccabeu, Mustango, grenache passé en barriques d’acacia, et ses deux rouges, Cashmere et Vertigo, où le carignan don(n)e tout son potentiel. À table, libre à chacun de les accorder avec les quatre plats qui composent le déjeuner. Laurent Lemal vient en personne porter le dessert très vert, un biscuit fondant de pistache, minutieusement orné de framboises et de micro pousses de coriandre. Wilfried Valat sort sa dernière cuvée, un pétillant naturel de carignan, un Babylon Babies tout rose. « Quand on fait un plat, on imagine toujours le vin qui va avec » conclue le chef dans un regard complice au vigneron.

La recette
Risotto de coquillettes aux petits pois – Tomme de chèvre du Mas Py

Pour 4 personnes
100g de coquillettes
1 pièce de blanc de calçot (ou oignon doux)
10 cl de vin blanc
30 cl de bouillon de bœuf
100 g de petits pois écossés
40 g de tomme de chèvre du Mas Py
20 g de crème épaisse
1 trait de vinaigre de Banyuls

Tailler fin le blanc de calçot
Dans un peu d’huile d’olive, faire revenir le blanc de calçot et les coquillettes quelques secondes
Déglacer avec le vin blanc, laisser à feu vif jusqu’à ce que le vin soit complètement évaporé
Ajouter le bouillon froid (ou chaud) en plusieurs fois, afin de toujours avoir les coquillettes immergées de bouillon, en continuant à tourner le temps de cuisson indiqué sur le paquet de pâtes (soit 8 mn pour des coquillettes classiques). Cuire à feu très vif pour que les coquillettes s’imprègnent bien de bouillon

Au bout 8 minutes, le jus de cuisson doit presque être complètement évaporé
Ajouter la tome du Mas PY finement râpée (à défaut, une autre tomme de chèvre affinée, ou du parmesan) et la crème, mélanger
Hors du feu, ajouter les petits pois écossés et un trait de vinaigre de Banyuls pour l’acidité
Goûter et rectifier l’assaisonnement si nécessaire avant de servir immédiatement.