Mardi 16 Décembre 2025
Vignes du Château la Bernarde ©C Goussard
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Date
16.12.2025
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Perché sur les hauteurs du Luc-en-Provence, au cœur du Var, le Château La Bernarde, intégré depuis dix aux ans Vignobles Austruy, a repris des couleurs après des années d’abandon. Cette terre de grands rouges a vu naître cette année un nouveau rosé de garde, à l'initiative d'un tandem improbable, le meilleur sommelier du monde 2000, Olivier Poussier, et le consultant anti-rosé, Stéphane Derenoncourt.
Le Château La Bernarde réaffirme une histoire viticole qui remonte au XVIIIᵉ siècle, à une époque où son terroir était déjà connu pour ses grands rouges. À la fin des années 80, la famille Meulnart, avait créé le Clos La Bernarde, produisant jusqu'à 200 000 bouteilles par an, et consolidé la réputation du lieu pour des vins au potentiel de garde exceptionnel. Elle le revend au début des années 2000 à un certain Gino Romano, promoteur immobilier italien vivant à Monaco, qui rêve d'en faire un haut lieu de mariages et séminaires avec une salle de spectacles. Celle-ci ne verra jamais le jour et le domaine est peu à peu abandonné. L'homme d'affaires américain Tom Bove qui a acquis La Mascaronne voisine (après la vente de Miraval, Lafoux, Aquino...) en devient propriétaire et revend en 2015 une partie du vignoble à Philippe Austruy, installé à Peyrassol depuis le début du siècle, et qui conserve le nom pour certaines cuvées. Le domaine s'étend alors sur 35 hectares, plantés principalement en syrah et cabernet-sauvignon, avec quelques parcelles de grenache et de cinsault. Le vignoble s'étage entre 380 et 450 mètres d’altitude sur des coteaux orientés sud et sud-ouest, argilo-calcaires sur les hauts, schistes en bas de pente « L’ensoleillement et les écarts thermiques entre le jour et la nuit favorisent un mûrissement lent et harmonieux des raisins qui conservent toujours une fraîcheur minérale et un bel équilibre entre acidité et maturité phénolique » précise Alban Cacaret, gérant de Peyrassol et vice-président des Vignobles Austruy. « Quand nous l'avons récupéré, il a fallu replanter de nombreuses parcelles, remettre en état les vieilles vignes et reconstruire la cave en piteux état. Nous avons d'abord sorti un rosé de négoce La Bernarde en attendant d'élaborer à nouveau un Château La Bernarde rouge en 2019 ».
Ainsi réhabilité, La Bernarde ouvre un nouveau chapitre, celui d’un rosé de caractère, au cœur du vignoble provençal. Dans le chai ressuscité s’élabore un vin qui ose la profondeur, la structure et la complexité. Cette ambition est née d’un duo aussi inattendu que passionné : Olivier Poussier, Meilleur Sommelier du Monde 2000 et Stéphane Derenoncourt, célèbre consultant des vignobles de Bordeaux et d'ailleurs, longtemps réfractaire au rosé. Alban Cacaret, artisan de terrain, a orchestré l’ensemble avec enthousiasme. « L’idée était de faire un rosé d'identité avec un peu de mâche et de caractère, qui exprime le fruit du raisin et pas de la levure » raconte Olivier Poussier. Pour convaincre Stéphane Derenoncourt qui participe déjà à l'élaboration des rouges du domaine, il propose de lui faire découvrir un univers qu’il n’a jamais voulu explorer en dégustant une sélection de grands rosés de Navarre, de Rioja, des Abruzzes, de Bandol... « Des vins complexes qui ont une capacité de vieillissement. Le but était aussi de convaincre Philippe Austruy de nous laisser tenter l'expérience sur une micro-parcelle, pour élaborer un rosé qui assume sa structure, son goût, sa personnalité »

La participation de Stéphane Derenoncourt à cette aventure tient presque du paradoxe. « Toute ma vie, j'ai détesté le rosé et expliqué à qui voulait l'entendre que ça n'était pas du vin », avoue le consultant bordelais. « Je ne comprenais pas cette folie ridicule pour des vins insipides et je considérais même le rosé comme les prémices de la fin d'une civilisation ». La dégustation avec Olivier Poussier, le fait changer d'avis et l’aventure commence comme un défi technique et personnel. Le tandem entreprend de sélectionner ensemble les parcelles mais la date de vendange approchant, Stéphane Derenoncourt doit gérer seul la récolte car Olivier Poussier est alors en vacances en Grèce : « J'avais la pression avec toutes les horreurs que j'avais racontées toute ma vie sur le rosé; Il y avait aussi la pression de Philippe qui est un grand ami mais qui m'attendait au tournant. J’ai fait le mec sûr de lui mais quand je suis arrivé dans les parcelles pour goûter les raisins, j'étais comme un gosse, en pleine découverte. Avec des maturités hybrides, ni celles de rouges ni celles des blancs, il fallait aller chercher quelque chose que je connaissais pas. J'ai passé beaucoup de temps, avec l'équipe, à goûter les baies pour faire un travail de cuisinier. Il faut reconnaître que j'avais été bien briefé par Olivier, qui avait établi un cahier des charges précis et ambitieux pour des rosés matures vinifiés en levures indigènes. C'était d'autant plus facile que le chai abandonné depuis des années n'était pas contaminé ».
L'assemblage est constitué d'une partie co-fermentée des trois cépages, le tibouren (19 %), le cinsault (18 %) et le rolle (18 %), associée au mourvèdre (45 %) vinifié seul pour porter la structure et l'aromatique. L'élevage s'est fait en cuves béton et en barriques. Le Rosé sera doté (comme le rouge) d'une nouvelle bouteille bordelaise avec une étiquette au paysage dessiné et portant la mitre de Saint Germain adoptée jadis par le domaine.
« Quand mon pote Philippe m'a envoyé un sms en me disant que le rosé était magnifique, c'était mieux qu'un diplôme d'œnologue », conclut Stéphane Derenoncourt. « Et on a eu la chance de tomber sur une belle année pour ce premier millésime 2024 ».
Le Rosé La Bernarde 2024 (2300 bouteilles)
Un vin orangé clair, précis et remarquablement équilibré sur des notes d’oranges, d'épices douces, brugnon, cédrat, bergamote, pot-pourri réhaussé d'un très léger boisé. Un toucher suave, une bouche ample, ronde et complexe, une finale saline pour ce rosé racé et profond qui pourra vieillir sept à huit ans. (35 €)

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