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[Bordeaux] La complexité croissante du château d’Issan

Auteur

Jean-Michel
Brouard

Date

04.11.2021

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Tourné vers l’avenir, le célèbre cru margalais dont Jacky Lorenzetti et Emmanuel Cruse sont co-propriétaires dispose désormais d’une palette plus riche de cépages pour l’élaboration de son grand vin. Une évolution qui s’accompagne d’autres projets variés.

Les ambitions de Jacky Lorenzetti dans le vignoble bordelais sont grandes. Le récent rachat du château Lafon-Rochet à Saint-Estèphe est venu confirmer tout l’amour que ce dernier porte au monde du vin qu’il affectionne très sincèrement. « Il se déplace dans le vignoble toutes les 3 semaines, c’est un véritable passionné », confirme Emmanuel Cruse avec qui il est associé. C’est dans le même esprit que le duo a réussi à racheter l’an passé le château Pontac-Lynch. « Tous les voisins de ce cru bourgeois, qu’il s’agisse du château Margaux au nord, du château Palmer à l’est ou d’Issan au sud, lorgnaient sur ces 7 hectares dont l’encépagement se compose notamment de très vieilles vignes de petit verdot et de cabernet franc, respectivement plantées en 1948 et en 1958 », explique Emmanuel Cruse. « Il n’y a quasiment pas d’aussi vieux et qualitatifs petits verdots dans tout le Médoc » poursuit-il d’un ton enthousiaste. Très rapidement, il a donc été décidé de procéder à une sélection massale pour multiplier ce matériel végétal exceptionnel, dans un premier temps sur les petits verdots puis à partir de cette année sur les cabernets francs. Et bien sûr, l’intérêt était de pouvoir les intégrer à l’assemblage du 3ème cru classé, si tant est que la qualité soit là. Il se trouve que sur le millésime 2020, « toutes les planètes étaient alignées ». Les petits verdots ont montré tout leur potentiel, comme espéré. Pour ce qui était du cabernet franc, Emmanuel Cruse « en bon médocain traditionnel » n’en attendait pas grand-chose, convaincu que ce cépage « ne donnait des résultats intéressants que sur la rive droite ». La magie des dégustations à l’aveugle lui a montré le contraire. Et Eric Boissenot, l’œnologue conseil de la propriété n’a pu retenir un large sourire lorsqu’Emmanuel a découvert que la cuve délicieuse qu’il appréciait était justement du cabernet franc. Le malbec, là aussi, s’est avéré plus que surprenant et doté d’un potentiel tout à fait intéressant. De là à dire qu’il rentrera systématiquement dans l’assemblage, il y a un grand pas. Avec beaucoup de prudence et de sagesse, Eric a suggéré de ne pas l’arracher et d’observer son comportement sur les 4/5 millésimes à venir avant de prendre une décision. La vendange 2021 lui a ainsi encore réussi, tout comme le cabernet franc, les petits verdots étant pour leur part un cran en deçà en niveau de qualité.

ADN, étiquettes et recettes

« En aucun cas nous ne souhaitons trahir l’ADN d’Issan » répète Emmanuel. « Ces 3 cépages complémentaires viennent apporter un potentiel supplémentaire de complexité en écrivant une histoire qui n’était jusqu’ici pas la nôtre. Lorsque mon grand-père a repris la propriété après la seconde guerre mondiale, les 5 hectares de vignes en production étaient uniquement du cabernet sauvignon et du merlot. Toutes les replantations qui ont été réalisées dans les décennies suivantes ont donc conservé ce schéma binaire ». Sans dévoyer ce grand Margaux, les quelques pourcents (3% de cabernet franc, 2% de petit verdot et 1% de malbec) de ces nouveaux cépages sont venus lui apporter un surcroît d’âme.

En 2020, les rendements ont été relativement moyens avec seulement 38 hl/ha ce qui a permis d’isoler les lots correspondant à ces cépages. De là la volonté de créer un micro-cuvier permettant de les vinifier séparément. Un projet qui va voir le jour prochainement et qui sera utilisé dès cette nouvelle vendange compte tenu des rendements sensiblement identiques cette année. Plus généralement, pour accompagner toute la cohérence de gamme, les étiquettes ont été revues s’agissant des autres vins satellitaires, à savoir Blason d’Issan, le Haut-Médoc d’Issan et Moulin d’Issan. « Il devenait nécessaire d’homogénéiser l’ensemble de nos étiquettes par un code couleur identique, la légende du château présente désormais sur chacune d’elles. Mais attention, sans jamais tromper le consommateur. Il n’y a pas de confusion possible. Nous avons par exemple représenté le vrai moulin éponyme sur l’étiquette dédiée », précise Emmanuel. Et puis, comme un clin d’œil à Frédéric Braud, chef à demeure qui officie à Issan, ce dernier et Virginie, l’épouse d’Emmanuel, ont écrit un livre de recettes mettant en valeur des plats phare qui sont associés à des vins de la propriété. « Il me faudra du temps pour toutes les goûter mais ma femme veille à ma ligne », conclut un brin farceur Emmanuel.

Photo: Château d'Issan