Samedi 3 Mai 2025
©Emmanuel Perrin
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Date
03.05.2025
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On entend parler d’elle, puis on la croise au détour d’une vigne et on est happé par sa personnalité. Elle nous apprend qu’elle ne fait que du blanc. Pour une Italienne à Faugères, voilà qui surprend et donne bien envie d’en savoir plus
Sybil, comme son nom l’indique, nous vient d’Italie. Elle n’est pas issue d’une famille de vignerons, mais après une saison de vendanges chez Luc de Conti à La Tour des Gendres, dans le Bergeracois, son intérêt pour le vin ne la quitte plus. Elle entreprend des études d’œnologie à Turin, spécialisation en ampélographie. Puis trouve, diplôme en poche, un emploi de chercheuse au sein d’un laboratoire de sciences aromatiques. Dix années passent. Dix années qui au bout du compte la mettent au pied du mur. Que faire ? Rester et oublier le vin, mais aussi son envie de donner la vie ? « En Italie, soit tu travailles soit tu as un enfant, mais les deux, tu oublies. Et pour les vignes, c’est trop cher », raconte-t-elle.
Son choix, donc : partir et trouver son graal. En chemin, elle rencontre son compagnon, Alexandre Durand. À deux, c’est plus facile. Leur quête s’arrête à Faugères, où chacun va trouver les arpents tant désirés.
C’est sur la butte de Cabrerolles à 450 mètres d’altitude, que poussent, sur schistes, les vignes de Sibyl. L’emplacement, isolé, offre une vue circulaire sur presque tout Faugères. Ce qui l’intéresse en cet endroit, c’est la préservation du biotope, le sol vivant indispensable pour transmettre son identité au vin. Le vignoble tout fleuri au printemps accueille insectes et invertébrés, témoins d’une terre débordant de vie. « J’ai trouvé la fenêtre de mon bureau » : quelques mots qui en disent long sur son enthousiasme. Et de l’enthousiasme, il en faut. Alexandre et Sybil font vignes à part. Lui produit du vin rouge, les trois hectares de Sybil n’abritent que des cépages blancs. Une gageure au sein d’une appellation quasi exclusivement dédiée au rouge, le blanc n’y dépassant guère les 4 %. « J'ai su que j'allais y faire mon combat, je voulais montrer au monde que les blancs avaient largement leur place à Faugères, tout autant que les anciens cépages en voie de disparition. »
Depuis 2015, ses magnifiques petites vignes en gobelets bien ancrées dans la caillasse schisteuse ravissent Sybil. Elle leur trouve comme un air de ballerines virevoltant au vent sans aucun fil pour les contraindre. « On ne connaissait pas Faugères et encore moins son terroir et les vins tellement marqués par celui-ci. Après quelques dégustations, on a rapidement compris le lien fort qui les lie. » Sybil, qui voulait comprendre son sol, a fait appel à l’expert en la matière, Claude Bourguignon. Pour lui, ces schistes sont un grand terroir particulièrement voué aux vins blancs. Les racines en contact direct avec la roche (à peine 10 cm d’épaisseur de sol) y trouvent une source de minéraux et nutriments qui cheminent jusqu'en bouteille. Toute l’appellation Faugères repose sur des schistes gréseux du Viséen supérieur, premier tiers du Carbonifère, âgé d’environ 335 millions d’années. Colorée de gris à ocre, la roche offre une structure feuilletée qui permet le stockage d’argile nourricière, les remontées d’eau par capillarité et suffisamment d’espace pour l’incursion des racines et radicelles.
Rebelle et affirmée
C’est le livre « Femmes qui courent avec les loups », de Clarissa Pinkola Estés, qui a semé l’idée du nom du domaine : la Graine Sauvage. L’autrice surnomme ainsi ces femmes qui, bien que nées dans un environnement contraignant et inapproprié à leur épanouissement, luttent pour être libres. Rebelle et affirmée, voilà Sybil tout crachée. D’où le choix, alors que l’appellation oblige l'assemblage, de produire seulement deux cuvées en AOC Faugères contre trois monocépages en Vin de France. Pour elle, c’est en solitaire que le cépage retranscrit le mieux le millésime. Chaque année se transforme en théâtre d’essais qui finissent ou non en bouteille, comme In Utero en 2019 ou Léno Sole en 2022.
Sybil vinifie ses cuvées en essayant de ne laisser que l’empreinte la plus légère possible. Levures indigènes, pas d'intrants, ni de filtration, ni de sulfites ajoutés (depuis 2016) sont des incontournables, ainsi que le temps laissé à la stabilisation de vins qui parfois sortent à la vente après plusieurs années d'élevage en cuve ou en bouteille. « J'estime qu'il faut savoir attendre que l'énergie de la jeunesse s'estompe pour laisser la place à l'essentiel, le minéral », précise-t-elle. Une autre envie, encore, qui rappelle sa spécialisation : trouver le temps de replanter quelques cépages oubliés, comme le terret blanc, le picpoul, l'aramon blanc, le carignan blanc…
Sybil se sent épanouie à Faugères, au village comme au sein de l’appellation qui l’a bien accueillie. Elle y vit sa passion et s’y sent libre, sans fil, comme ses vignes.
Je te jure qu’il est urgent d’être heureuse 2021 | Faugères
Roussanne sans soufre ajouté. La robe jaune intense respire la mirabelle et le genêt, la poire au safran. La bouche à la fois vive et généreuse croque l’abricot et la figue blanche, la meringue à la rhubarbe, la pâte d’amande au citron. Ce qui fait un tout construit comme un patchwork aromatique où les papilles voyagent d’une saveur à l’autre avec comme fil conducteur la fraîcheur. C’est dynamique et gourmand, presque addictif.
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