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Eulalie donne le « la »

Auteur

La
rédaction

Date

22.11.2012

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Saint Chinian est une appellation chère au cœur des Languedociens. Un morceau de patrimoine au-delà des modes. Dans l’arrière pays, certes, mais méritant bien le devant de la scène. Tant pour sa constance que pour son caractère.

Quittons Béziers pour filer vers le nord, direction les massifs du Caroux et de l’Espinouse, sur la route de Saint-Pons-de-Thomières. En moins de trente minutes on quitte la plaine pour grimper à l’assaut d’une nature de plus en plus sauvage. La garrigue méditerranéenne piquée de chênes, gagne en hauteur, en fraicheur. Passons le col de Fontjun, Saint-Chinian et son appellation éponyme se dessinent. Sur vingt villages, une centaine de caves particulières et huit coopératives défendent les couleurs de la quatrième appellation du Languedoc.

2012 sonne son trentième anniversaire comme pour Faugères, sa voisine. Avec elle, elle partage un caractère géologique spécifique : une très forte proportion de sols de schistes marquant les vins d’une palette aromatique particulière. Les vignerons cultivent cet effet terroir et le revendiquent, comme au domaine la Croix Sainte Eulalie, sans esbroufe mais avec une grande constance et tout autant de détermination.

Au plus près du schiste

Combejean se cache à la sortie de Saint-Chinian. Tout juste quelques maisons, un hameau de poche séparé du cours d’eau le Vernazobres par des carrés potagers dont s’occupent les vaillantes grands-mères du village. « Devant nous ça monte à pic, c’est le plateau calcaire de Pierrerue, derrière, un relief tout en courbes douces : les schistes affleurent partout, entrecoupés de veines de grès, cela va du rose clair à l’ocre brulé, le Saint-Chinian c’est tout ça ». Agnès Gleizes campe en même temps l’appellation et la Croix Sainte Eulalie, domaine créé par ses parents en 1971, dont elle s’occupe avec son compagnon Philippe Girardi. C’est la continuité d’une belle histoire. Les parents d’Agnès, tous deux de familles vigneronnes, ont démarré sans terres ni trésor mais grâce aux usages bienveillants mis en pratique par les autres viticulteurs du cru. En payant leurs vignes avec leurs récoltes, petit à petit, campagne après campagne. Leur fille les rejoint en 2000, « on s’était mis à la bouteille mais pas vraiment à la vente ». Agnès enchaîne donc les salons et visite les cavistes en expliquant les vins de Saint-Chinian. Une mission commerciale indispensable à l’époque et poursuivie comme une croisade encore aujourd’hui.

Même si elle pilote depuis 2003 entièrement l’exploitation, même si pour encore plus de qualité elle a ramené la surface cultivée de 47 à 32 hectares, elle explique inlassablement, à la veille des trente ans du cru, ce qui fait la complexité et la singularité de ses vins. « Les sols de schistes emmagasinent beaucoup de chaleur le jour, surtout ici où la météo est toujours clémente, ils la restituent la nuit. Les vieux carignans qui peuvent être durs, rustiques même sur sols calcaires, gagnent en rondeur, en saveurs épicées, ils mûrissent mieux, en profondeur. La syrah reste puissante avec plus de couleur et de tenue mais aussi des tanins plus souples que sur les calcaires. Et sur les grès, c’est tout en finesse et en longueur, les jus sont plus volumineux, les tanins plus veloutés, la syrah se fait voluptueuse.

Toutes les nuances du terroir

Même la végétation est différente : côté schistes c’est le royaume de l’arbousier, il n’y en a pas sur les sols calcaires, on retrouve par contre les cistes cotonneux, du thym, du romarin… Ça aussi, on le sent dans nos vins ». On peut ajouter aussi les pinèdes : elles s’insèrent entre les parcelles et apportent un contraste bien particulier au vignoble en tachant d’un vert tendre et brillant les sols schisteux égrenant tous les rouges. Mais alors que se passe t-il sur les argilo-calcaires ? « Le grenache y trouve son compte, sa couleur, sa puissance, la fermeté de ses tanins. C’est le terroir de prédilection de ce vieux languedocien. »

La cuvée Baptiste (9, 50 euros) conjugue les trois types de sols et les quatre cépages pivots de l’AOP saint-chinian. On y sent d’emblée le cuir et les épices des syrah et des mourvèdre sur schistes, puis l’extrait de violette du même cépage, exalté cette fois par les sols argilo-calcaires. Le palais monte le volume et prend l’accent du sud : tiens, voilà les grenaches ! Enfin, saveurs fruitées, compotées, puis notes fines de sous-bois et de cacao, dénoncent les vieux carignans qui ont pris tout leur temps pour mûrir, lentement mais surement, choyés par les schistes.

Si on veut goûter uniquement aux schistes, il faut se consacrer à la cuvée Espérento (7 euros). Dans l’esprit de nos vignerons, c’est le vin qui se rapproche le plus d’un Saint-Chinian traditionnel, sans concession à la tendance actuelle de recherche du fruit à tout prix. 60% de syrah, puis du grenache et du carignan exclusivement issus de sols schisteux. Le nez a ce caractère balsamique rappelant le souffle chaud du vent traversant une pinède que le soleil rend odorante, la senteur des aiguilles de pins roussies. Les effluves floraux arrivent ensuite, mais la violette est discrète, secondaire dans cette palette. La bouche qu’on attendait confiturée surprend surtout par sa minéralité, ses saveurs de raisins puis de cacao. La différence la plus notable tient à la texture très fine, au grain de tanins soyeux et aérien. On est loin du profil trapu et chaleureux du vin sudiste, le caractère est plus terrien, plus racé, plus austère aussi.

Envie de connaître le terroir de l’intérieur ? Rien de plus facile car ici on pratique l’oenotourisme avec les pieds et en toute simplicité. Le père d’Agnès, Michel Gleizes, qui lorsqu’on le cherche ne peut pas être ailleurs que dans les vignes et surtout dans celles où le portable ne passe pas, embarque avec lui les explorateurs de terroir. Il suffit de prendre rendez-vous. Petite randonnée d’initiés dans la foulée tranquille de celui connaît chaque recoin de ce vignoble bien mieux que quiconque : on observera faune, flore, cépages et sols avec l’œil de l’homme du cru, du viticulteur avisé. La boucle sera bouclée à la cave, où Philippe Girardi prend le relais pour expliquer le comportement en odeurs et en saveurs de chaque couple cépage-sol. Saint-Chinian par le menu, c’est absolument grand.

Par Sylvie Tonnaire, photo Luc Jennepin.

Domaine de La Croix Sainte-Eulalie
Avenue de Saint-Chinian, Hameau de Combejean
34360 Pierrerue
04 67 38 08 51