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Houellebecq et le vin

Photo: Philippe Matsas pour Flammarion

Auteur

Yves
Tesson

Date

06.01.2022

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Lors d’une conférence donnée en 2019 à la Cité du vin, l’universitaire Stéphanie Dutton avait proposé une lecture très intéressante de l’œuvre de Houellebecq à travers son rapport au vin. Dans son dernier roman « Anéantir », l’esprit caustique de l’auteur est encore à l’œuvre et le monde de Bacchus n’est pas épargné.

Michel Houellebecq n’a rien perdu de son mordant, et son nouveau livre Anéantir offre quelques passages d’anthologie sur le vin. Le plus saignant se situe au moment où le héros Paul invite sa sœur au restaurant alors que leur père est à l’hôpital. Il opte « sans hésiter pour une des bouteilles les plus chères de la carte, un Corton-Charlemagne. Ce vin était marqué par « des tonalités beurrées et des arômes d’agrumes, d’ananas, de tilleul, de pomme au four, de fougère, de cannelle, de silex, de genévrier et de miel. » C’était vraiment n’importe quoi, ce vin. » La description œnologique fait sourire, elle est pourtant à peine caricaturale et ressemble furieusement à celle que l’on retrouve sur les contre-étiquettes ou dans les magazines spécialisés. Ce qui est amusant, c’est que Paul, fidèle au principe du « si c’est écrit, c’est que c’est vrai », ne remet pas en cause la description. On pourrait pourtant légitimement se demander comment on peut retrouver un tel nombre de saveurs dans un vin. Prenant la description au pied de la lettre, il en déduit que la composition aromatique du vin est franchement bigarrée. On se demande effectivement comment un tel cocktail, s’il existait vraiment, pourrait être harmonieux. A force de vouloir en mettre plein la vue du consommateur, le vigneron pourrait bien l’effrayer ! L’auteur rejette-t-il pour autant la quête de subtilité des amateurs de grands vins ? La suite démontrerait plutôt le contraire, lorsque Paul s’agace de la philosophie d’un bonheur bon marché, d’une superficialité revendiquée, excluant toute sophistication. Dans le roman, cette conception est promue par David Servan Schreiber, auteur d’un livre intitulé « La mort est un nouveau soleil » qui souligne l’importance des « fous rires » entre amis et des « bons vins de pays ». Le gourmet serait ainsi trop intellectuel et exigeant pour accéder à la béatitude.  Le bon vin de pays est un vin d’imbécile heureux !

Dernier élément capital relatif au vin dans le récit, la découverte de la cave du père de Paul. Avec un rapprochement très intéressant entre le caractère enfoui du lieu, et la personnalité elle-même cachée du paternel, par ailleurs agent secret. « Du point de vue du vin, c’était le grand luxe. Sur un côté de la cuisine, quelques marches conduisaient à une cave creusée en sous-sol. Paul n’y était jamais descendu (…) En allumant les rampes lumineuses qui éclairaient les rayonnages, il fut ébloui : des centaines de bouteilles rangées à l’oblique attendaient là (…) Encore un hobby de son père (…) dont il ignorait tout. (…) Cette cave (…) ne paraissait pas du tout correspondre au traitement d’un retraité de la DGSI (…). Ou bien peut-être pas, il y avait peut-être des secrets d’Etat dont il était le dépositaire, ça pouvait justifier un supplément. Il y avait des sommes du genre fonds spéciaux dont le circuit dans l’appareil d’Etat demeurait une énigme ».

Le vin dans l’œuvre de Houellebecq, reflet du délitement social, succédané à la vie sexuelle

Houellebecq étoffe ainsi un peu plus son analyse sociologique de l’univers du vin, qu’il avait déjà poussée loin dans le reste de son œuvre. Jacqueline Dutton, professeur à l’université de Melbourne en a livré une analyse brillante. Elle souligne comment très souvent chez Houellebecq, le mauvais usage du vin reflète le délitement des relations. La description du pot de départ du scientifique au CNRS Michel Djerzinski dans les Particules élémentaires met en scène à merveille le caractère glauque de cette sociabilité convenue à laquelle plus personne ne croit. Obligé d’organiser cet événement lui-même, il a coincé quatre bouteilles de champagne dans un réfrigérateur du laboratoire entre les produits chimiques et les bacs de congélation d’embryons. On n’en précise même pas la marque, le champagne est ici un produit générique, dont le goût importe peu, son unique fonction est de donner aux convives une impression de fête. Reflet de la radinerie de la fonction publique, il est d’ailleurs en quantité insuffisante pour les quinze convives et la fête ne dure guère.

Michel Djerzinski dans ce même roman médite sur son frère qui se plaint de l’échec de sa relation avec son ex épouse tout en enchaînant les verres de « Vieux pape », un vin de table sans prétention. La conclusion de Michel est implacable, si celui-ci est malheureux, c’est qu’il n’a pas su accepter le déclin du désir sexuel qui apparaît à partir d’un certain âge : il aurait dû remplacer cette quête comme la plupart des hommes par la constitution d’une cave. Jacqueline Dutton fait ici un rapprochement judicieux avec un passage de Soumission, lorsque le héros plongé dans en Ménage de Huysmans lit cette citation qui décrit l’évolution d’un couple dont l’attrait physique s’amenuise « La gourmandise s’était introduite chez eux comme un nouvel intérêt, amené par l’incuriosité grandissante de leurs sens, comme une passion de prêtres qui, privés de joies charnelles, hennissent devant des mets délicats et de vieux vins »

Retrouvez le podcast de la conférence de Jacqueline Dutton à la Cité du vin sur ce lien :https://www.laciteduvin.com/fr/cite-en-ligne/le-vin-dans-l-oeuvre-de-michel-houellebecq