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Le viticulteur abusait du charbon dans son vin

Auteur

La
rédaction

Date

28.03.2013

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Un exploitant de Lussac (Gironde) a été condamné à 5 000 euros d’amende pour avoir utilisé trop de charbon œnologique. Rigoureusement encadrée, l’utilisation de ce produit est autorisée sous certaines conditions.

« Il y a deux mille ans, Jésus a changé l’eau en vin. Et il y a aussi eu un procès. » Une pointe d’ironie signée du président du tribunal correctionnel de Libourne, Pierre Petriat, qui, hier mardi, jugeait le propriétaire d’un château du Lussacais. Ce dernier étant accusé d’avoir, en 2007 et 2008, fait un usage illicite de charbon œnologique sur environ 230 hectolitres de vin dont 199 ont ensuite été vendus sous l’appellation d’origine contrôlée Lussac Saint-Émilion.

Durant ces deux années, particulièrement difficiles pour les viticulteurs, les mauvaises conditions météorologiques ont favorisé l’apparition de maladies pouvant altérer la qualité des vins. Dans ces conditions, la Brigade interrégionale des enquêtes en matière de vins (Biev, dépendant de la Direccte) a renforcé ses contrôles auprès des exploitants : « Nous avons mené des enquêtes sur l’utilisation de produits à effet décontaminant », précise à la barre Jean-Philippe Daugas, représentant de la Biev.

Un contrôle de l’exploitation

Les investigations poussent les inspecteurs à s’intéresser au château lussacais dont l’achat de charbon œnologique en grande quantité semble suspect. En effet, l’utilisation de ce produit, bien que licite pour la décontamination des cuves, est soumise à des règles strictes : 100 grammes pour un hectolitre, et ce uniquement pendant la fermentation. Or, ce charbon, vendu sous forme de poudre, a été acquis à partir du mois de mars. En dehors de la période de manipulation autorisée.

Le 26 mai 2009, les inspecteurs effectuent donc un contrôle sur l’exploitation. Sur les 19 kilos de charbons achetés, seuls quatre ont été inscrits dans les registres, conformément à ce que prévoit la réglementation. « Pour le reste, c’est mystère et boule de gomme », note le président.

De plus, alors que dans les cahiers de vendanges et de chais ainsi que dans les rapports de dégustation, « le goût terreux et cramé » de certaines cuves est mis en évidence à plusieurs reprises, une autre analyse, effectuée quelques mois plus tard, montre une diminution de ce mauvais goût : « C’est tout de même miraculeux », ironise Pierre Petriat en rappelant que le charbon œnologique, s’il ne présente pas de danger pour la santé, n’est pas censé être utilisé « pour rendre le vin meilleur ». Et d’ajouter : « Il faut quand même noter que le laboratoire qui effectue le dossier technique de suivi des vins est aussi celui qui vous vend le charbon œnologique. C’est légal mais ça en dit long sur la fiabilité… » Face à lui, le viticulteur se justifie : « J’ai utilisé une partie du charbon sur les moûts. Sur les conseils de mon œnologue, je me suis servi de l’autre partie au printemps, pour nettoyer mes cuves au moment des assemblages. C’est cela qui a permis la diminution du mauvais goût. »

Un produit 100 % végétal

Des explications « tardives » qui ne semblent pas convaincre la procureur de la République, Alexandra Moreau : « Je regrette que ces éléments n’aient pas été donnés avant pour que l’on puisse au moins les vérifier. »

Pour elle, s’il n’y a pas de « preuves matérielles » du délit, « le très large faisceau d’indices concordants » suffit à prouver que le viticulteur a bien mis en vente un produit « corrompu » car « modifié dans des conditions illégales ». « Il n’y a pas de dommage sanitaire mais ses actes sont préjudiciables à la réputation d’une appellation. Cela doit être pris en compte », estime la représentante du ministère public en requérant une peine d’un an de prison avec sursis et de 10 000 euros d’amende.

Mais pour maître Gaucher-Piolat, avocat de la défense, l’affaire est toute autre : « Mon client s’est battu pour sauver son exploitation. En redressement judiciaire, il a obtenu un plan de continuation. Il respecte le cahier des charges de l’AOC », lance-t-il. Rappelant que le charbon œnologique est « un produit 100 % végétal qui n’ajoute rien au vin et ne modifie pas sa substance physique », le conseil estime que « les textes du droit français ne sont pas clairs » sur son utilisation. « Et sans texte, il n’y a pas de délit », poursuit-il en plaidant la relaxe.

Après délibération, le tribunal a pourtant estimé que celui-ci existait. Il a condamné le viticulteur à une amende de 10 000 euros dont 5 000 euros avec sursis.

Mathilde Royer