Accueil Pas d’Yquem en 2012 : Sauternes accuse le coup…

Pas d’Yquem en 2012 : Sauternes accuse le coup…

Auteur

La
rédaction

Date

19.12.2012

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La décision du Château d’Yquem – annoncée par Pierre Lurton lors de « Bordeaux Tasting » – de ne pas sortir de vin pour le millésime 2012 a fait grand bruit dans le monde entier. Un choix lourd de conséquences pour tout le Sauternais, comme le révèlent d’autres grands acteurs de l’appellation.

De l’art de lâcher une bombe avec élégance… Il faut avoir toute la finesse et la décontraction de Pierre Lurton pour se risquer à cet exercice : c’est en effet entre deux plaisanteries et en pleine master-class de prestige à « Bordeaux Tasting » (l’événement organisé par le magazine « Terre de Vins » le week-end dernier à Bordeaux) que le directeur du Château d’Yquem a annoncé que le légendaire Premier Cru Classé Supérieur de Sauternes ne sortirait pas de vin en 2012 ! Une décision prise « en concertation avec Bernard Arnault » (propriétaire du groupe de luxe LVMH auquel appartient Yquem) et dictée par la qualité décevante du millésime.

25 millions d’euros

« On a ramassé au début des choses intéressantes, puis il y a eu ensuite beaucoup de pluie qui a fait déraper le millésime. Cela manquait d’ampleur, il n’y a jamais eu la bonne concentration », a expliqué Pierre Lurton. Avant d’ajouter : « Une marque comme Yquem doit savoir ne pas faire un millésime. […] Pour l’image d’un des plus grands vins blancs du monde, pour maintenir Yquem dans l’histoire, il était raisonnable de ne pas en faire » en 2012 – comme en 1952, en 1972 et en 1992, d’ailleurs… y aurait-il une malédiction des 20 ans ?

La perte relative à cette décision de ne pas sortir de vin est estimée à 25 millions d’euros : autant dire qu’il faut avoir les solides épaules d’Yquem et LVMH pour l’assumer ! Mais au-delà du cas d’Yquem, quelle signification va prendre cette annonce pour l’ensemble du millésime 2012 en Sauternais ? D’une part, toutes les propriétés ne peuvent pas se permettre de « sauter » un millésime, même si beaucoup reconnaissent le caractère compliqué de ce 2012. Mais surtout, la décision d’Yquem, abondamment relayée dans le monde entier, va forcément envoyer un signal négatif aux marchés et aux consommateurs, et avoir des répercussions sur les autres vins de l’appellation.

Les autres crus classés à l’heure des choix

Pour Pierre Montégut, directeur technique du Château Suduiraut, Premier Grand Cru Classé voisin d’Yquem, « il est évident qu’avec cet effet d’annonce, beaucoup de gens risquent d’enterrer ce millésime. Ce qui est un peu dommage car il y aura de jolis vins. Qui ne correspondent peut-être pas aux standards de qualité d’Yquem, et à ses prix élevés, mais sincèrement j’ai connu des millésimes encore plus compliqués. Alors bien sûr 2012 à Sauternes a été une année difficile, avec des rendements bas, mais à Suduiraut nous avons tout de même obtenu des lots de belle qualité, récoltés avant les pluies d’octobre, avec du fruit, de la fraîcheur, de l’acidité. Nous attendons de voir comment ces derniers évoluent avant de prendre notre décision quant à la sortie ou non de notre grand vin (NDLR : le Château Suduiraut produit deux autres liquoreux, le Castelnau de Suduiraut et Lions de Suduiraut). » Il faudra donc attendre quelques semaines pour en savoir plus mais d’autres crus classés seraient dans cette réflexion…

En ce qui le concerne, Xavier Planty, directeur et co-propriétaire du Château Guiraud (autre Premier Grand Cru Classé), se veut optimiste : « notre vocation est de faire le meilleur vin possible en fonction du millésime, et en respectant une éthique de production stricte (NDLR : Château Guiraud est certifié bio depuis 2011). Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’actuellement j’ai du grand Guiraud 2012 dans mon chai. Nous en saurons plus d’ici février, mais croyez-moi il n’y aura pas d’effet d’annonce ». Une petite pique envoyée à la « grosse opération de communication d’Yquem. Chapeau bas ! », salue Xavier Planty avant d’enfiler sa casquette de président des vignerons de Sauternes et Barsac : « bien sûr que cette annonce va avoir des effets catastrophique, notamment pour les plus petits, cela va incroyablement affecter le marché du vrac. Et c’est d’autant plus injuste qu’à Barsac le millésime s’annonce bien : les vendanges ont eu lieu plus tôt qu’à Sauternes, il y a de très belles choses. En fait au-delà de la question de la qualité du millésime et de la préservation du prestige d’Yquem (la rareté entretient l’image luxueuse), l’autre enjeu qui sous-tend cette décision est celui des stocks ».

Effet d’aubaine ?

Il poursuit : « on voit bien que dans le cas d’Yquem comme dans celui de Rieussec (NDLR : appartenant aux Domaines Baron de Rothschild, propriétaires de Lafite-Rothschild), même sur des millésimes délicieux comme 2011, on a des marques qui font face à un marché ralenti et marquent le pas. Cette situation commerciale n’est pas anodine : le fait de ne pas sortir de millésime 2012 permet de libérer du stock, et de soulager le négoce ».

Ainsi, la décision de ne pas sortir de vin en 2012 serait-elle plus une « position stratégique » que la simple conséquence d’un millésime médiocre ? Jean-Pierre Rousseau, directeur général de la maison de négoce Diva, nuance : « je pense sincèrement qu’il n’y a pas d’opportunisme de la part d’Yquem : ce millésime a vraiment été difficile, et sans aller jusqu’à dire qu’il est catastrophique, pour un château de cette envergure, la réflexion de ne pas sortir de vin pour rester fidèle à certains standards de qualité est lourde de conséquences. C’est une décision courageuse. Après, bien sûr, la question des stocks est réelle, il ne faut pas la nier : cette décision va leur permettre de libérer du stock. Disons qu’il y a un effet d’aubaine lié à la déception de ce millésime – si l’on peut parler d’effet d’aubaine compte tenu des sommes qui sont en jeu… » Mais comme l’a rappelé Pierre Lurton : “On ne raisonne pas en chiffre d’affaires mais sur le long terme puisqu’on a des millésimes qui nous permettent de lisser le compte de résultat”. Pas d’inquiétude pour le Château d’Yquem, donc. Pour les autres, en revanche…

Mathieu Doumenge

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