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[Champagne Tasting] Ce que l’on retiendra des cinq master classes

Auteur

Yves
Tesson

Date

15.05.2023

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Au-delà des champagnes d’exception qui ont été dégustés en master class à Champagne Tasting ce 13 mai, on appréciera la profondeur des échanges. Au cœur des préoccupations cette année : l’impact du réchauffement climatique sur l’évolution stylistique du champagne. A travers la dégustation des millésimes les plus chauds que l’appellation a connus, les participants ont pu se faire une idée de leur qualité et de leur capacité à vieillir. De quoi se rassurer sur le potentiel de la dernière vendange 2022 particulièrement solaire !

©A. Viller

Chez Veuve Clicquot, on cultive avec une rare virtuosité l’art du vieillissement, que ce soit dans les vins de réserve du Brut sans année qui ont, excusez du peu, cinq ans d’âge moyen, dans les millésimes, ou dans la Grande Dame. En 2014, la Maison a même expérimenté l’immersion de bouteilles dans la mer Baltique pour bénéficier d’une oxygénation encore plus ténue… Il est vrai aussi qu’avec le pinot noir, cépage iconique de la marque jaune qui constitue la majorité de l’assemblage de son millésime, elle bénéficie d’un atout de taille. Comme l’a souligné Bruno Dagnée, œnologue de la Maison, lors de la master class, deux éléments sont fondamentaux dans le vieillissement, la structure et l’acidité, des qualités qui font la spécificité du pinot noir, cépage par excellence des champagnes de garde. La dégustation de « Cave privée 1990 », nous en a donné la preuve éclatante. Dégorgé en 2008 et servi en magnum, on a pu apprécier la crémosité de sa bulle, ses savoureuses notes de rancio, et le caractère toasté qui signe toutes les cuvées de la Maison Veuve Clicquot. Pour Mathieu Doumenge, « on a la preuve, si on en doutait encore, que le champagne est un véritable vin. Cave privée 1990 est un champagne taillé pour la table ! Nous avons beaucoup parlé accords avec Bruno. Si cette cuvée peut se suffire à elle-même, elle serait également magnifique sur un vieux comté, idéal pour mettre en valeur cette salinité qui ponctue la fin de bouche. Le rosé 1989 a été mon coup de cœur, avec une robe légèrement tuilée et des notes de rose fanée et d’épices qui suggèrent eux aussi plein d’accords, on pense à la cuisine asiatique, au gibier, personnellement, j’imaginerais bien une bécasse ! Là-encore, l’effervescence, malgré le temps, est toujours présente et constitue un soutien discret qui énergise le vin tout au long de sa dégustation ».

©A. Viller

Alice Tétienne, cheffe de caves de la Maison Henriot, nous a présenté la cuvée Héméra. Outre 2005, 2006 et 2008, nous avons eu le privilège de déguster un millésime très ancien : 1964. La fraîcheur éblouissante, les doux accents d’orange confite mais aussi l’effervescence encore étonnamment vive alors qu’il ne s’agit pas d’un magnum, nous ont conquis. « Il y a une tradition quand on devient chef de caves, c’est de déguster tout ce qu’il y a en cave, de manière à connaître l’histoire, à appréhender le style de la maison. Lorsque je suis arrivée en 2020, j’ai eu la chance extraordinaire de faire cet exercice avec la famille Henriot et de pouvoir déguster toutes les années depuis 1921 à aujourd’hui. Il y a eu de grands moments d’émotion et certains vins que nous avons trouvé remarquables. La chance de la Maison Henriot est d’avoir conservé sa cave relativement intacte pendant tout ce temps, ce qui signifie que nous avons beaucoup de flacons sur certains millésimes. L’idée nous est donc venue de partager ces cuvées « Mémoire » avec le public en en commercialisant une part. Un autre atout était d’avoir des bouteilles qui n’avaient pas été dégorgées, les lies ralentissant le vieillissement pour le rendre plus noble. De plus, le fait de devoir les dégorger avant de les proposer à nos clients nous a donné l’opportunité de déguster et vérifier chaque flacon, ce qui constitue une vraie garantie pour l’acheteur. Nous avons voulu leur donner un habillage particulier pour marquer cette différence : une bouteille qui a vieilli dans nos caves pendant plusieurs décennies et qui a été validée par le chef de caves au moment du dégorgement, ce n’est pas la même expérience qu’une bouteille du même millésime qui a été mise sur le marché il y a quarante ans ! »

©A. Viller

Avec Benoît Gouez, le chef de caves de la Maison Moët & Chandon, nous nous sommes interrogés sur l’impact du réchauffement climatique sur la qualité des champagnes, en examinant trois millésimes solaires, 2015, 2006 et 1999. « Au XXe siècle, on a débuté les vendanges une seule fois au mois d’août en 1976. Depuis 2003, c’est arrivé huit fois ! » L’une des grandes questions qui se pose réside dans la diminution de l’acidité : celle-ci est-elle susceptible de diminuer la fraîcheur des vins ? « Je ne suis pas un obsédé de l’acidité. Je ne pense pas que l’on puisse résumer une personne à sa taille ou à son poids, de la même manière, on ne peut pas résumer un champagne à son acidité et à son dosage. Certes, on observe qu’en moyenne décennale, depuis 1988, il y a une inflexion, les vendanges sont plus mûres, ce qui signifie plus de sucre, d’arômes, de structure, moins d’acidité, mais tout en restant dans des équilibres analytiques confortables. Les vignerons du Sud de la France envient quand même nos PH ! Ce qui fait la fraîcheur, ce n’est pas seulement l’acidité. Lorsque vous dégustez par exemple ce 2015, prêtez attention aux beaux amers de la finale. L’intérêt de ces millésimes est de pouvoir jouer non seulement sur les acidités, mais aussi sur l’amertume qui résulte du surcroît de maturité phénolique. On a davantage d’extraction à la vendange même si on continue à presser de manière très délicate. Dans ces amers, certains sont grossiers, il faut les écarter, mais d’autres sont nobles, salivants et peuvent être combinés à l’acidité résiduelle pour donner cette impression de fraîcheur. »

©A. Viller

La question du réchauffement climatique est décidément au cœur des préoccupations des Champenois, puisque dans la master class consacrée au champagne Ruinart et animée par Louise Bryden, œnologue de la Maison, on s’est intéressé à son impact sur le chardonnay, ce cépage au cœur de l’identité de la marque. On a ainsi pu découvrir comment une maison innovait et prenait des risques, quitte à ne pas sortir la cuvée sur laquelle elle a travaillé avec la vendange 2017... Le commentaire de l'un des auditeurs, chef d'entreprise, résume le niveau : « un moment hors du temps grâce à l'intervention d'une jeune femme exceptionnelle et d'une dégustation cinq étoiles! »
Cette master class de prestige a été l'occasion, pour les amateurs de champagne, de découvrir en avant première l'une des nouvelles cuvées qui sortira en juin.

©A. Viller

Accorder caviar et blanc de blancs, cela peut sembler aller de soi. Mais c’est méconnaître la diversité des chardonnays champenois et celle des caviars. Le chardonnay peut prendre des accents pâtissiers, beurrés, avoir un caractère exubérant sur des notes de fruits exotiques, développer une certaine richesse... Ce sera délicieux, mais pas forcément en phase avec le caractère salin, iodé et fumé des précieux œufs d’esturgeon. Aussi, le chef de caves de la Maison Lombard, Laurent Vaillant, nous a présenté trois chardonnays, tous issus des sols crayeux de la Côte des blancs, Le Brut Nature Cramant Grand Cru, le Brut Nature Cramant Grand Cu lieu-dit « Les Bauves », et le Brut Nature Le Mesnil-sur-Oger Grand Cru. Chacun a une expression différente, mais avec en commun beaucoup de minéralité, de verticalité, de pureté, de salinité, une fraîcheur bien tranchée et de jolies notes d’agrumes. Pour les accompagner, Tigrane Pétrossian de la Maison Prunier, a choisi le Caviar Tradition issu d’esturgeons Baeri et un caviar Osciètre « plus crémeux, finement iodé, tout à fait en connivence que ce soit en texture et en goût ».