Accueil [Des Paroles et du Vin] Bordeaux face au développement durable

[Des Paroles et du Vin] Bordeaux face au développement durable

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

16.06.2017

Partager

Hier jeudi 15 juin se tenait la cinquième édition de « Des Paroles et du Vin », les petits déjeuners / débats de la filière viti-vinicole organisés par « Terre de Vins » à la Cité du Vin. La thématique du développement durable était au cœur des discussions.

Dans un vignoble bordelais souvent pointé du doigt sur la question des produits phytosanitaires et qui pourtant à annoncé récemment, par le biais de son interprofession, son intention de sortir « totalement de l’usage des pesticides », le sujet du développement durable est plus que jamais central. Il était donc normal de s’en emparer pour cette cinquième édition de « Des Paroles et du Vin », qui se tenait ce jeudi 15 juin à la Cité du Vin. Animé par Rodolphe Wartel (« Terre de Vins ») et Bruno Beziat (« Sud-Ouest »), le débat réunissait les intervenants suivants :

– Stéphanie Barousse, Directrice Générale du Château la Dauphine (Fronsac)
– Jeanne Chaumont, Animatrice du Système de Management Environnemental (SME) au Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux
– Myriam Jean, Responsable Commerciale CEMIR (Groupe Soufflet)
– Anne Le Naour, Directrice Générale adjointe de CA Grands Crus
– Bernard Gorioux, Membre de la Chambre d’agriculture de la Gironde et Président de la Commission Agriculture Bio et nouvelles pratiques culturales

Pour Jeanne Chaumont, « Bordeaux fait office de précurseur en matière de SME. 27 entreprises étaient concernées en 2010, plus de 700 aujourd’hui, du vignoble de 5 ha à la grosse structure de 1000 ha, en passant par la coopérative, le négoce, le grand cru classé. On mesure un intérêt croissant pour cette approche globale qui ne concerne pas que la conduite de la vigne mais l’intégralité des activités de l’entreprise, jusqu’à la consommation d’énergie, le traitement des eaux, les ressources humaines… Le SME est l’aboutissement de vingt ans de recherche, et son « graal » est l’obtention de la certification ISO 1400. L’avantage est que cette certification est compatible avec d’autres pratiques culturales comme le bio ou la biodynamie, elle est en fait complémentaire : il s’agit d’opérer un diagnostic puis une feuille de route pour toutes les bonnes pratiques durables au sein de l’exploitation ». Aujourd’hui, sur un peu moins de 120 000 hectares de vignes en Bordelais, 15% est en SME.

Anne Le Naour, qui au sein de CA Grands Crus gère cinq châteaux et 80 salariés, souligne l’importance de sensibiliser tous les intervenants aux questions de développement durable. « Il a fallu se structurer, et prendre le temps de bien le faire. 100% de nos salariés ont été formés aux bonnes pratiques, avec beaucoup de formations internes. Il fallait aussi faire un travail d’explication auprès des riverains. L’important est de faire prendre conscience de valeurs comme le mieux vivre ensemble, la préservation de l’environnement, la responsabilité sociétale… C’est une préoccupation qui est plutôt générationnelle, mais en fédérant tout le monde, on y arrive, et l’obtention de la certification ISO 14001 est une belle reconnaissance collective du travail accompli ».

Bernard Gorioux tient un discours un peu plus mesuré : « on ne fait pas changer les mentalités du jour au lendemain, et malgré les effets d’annonce de l’interprofession sur la sortie des pesticides, le chemin sera long, et coûteux. Il va falloir beaucoup d’accompagnement, de réunions, de formations, d’aide pour surmonter les freins qui sont réels. Mais cela ne veut pas dure que c’est infranchissable ! De nombreuses pistes sont à explorer : SME, bio, cépages résistants, toutes les bonnes pratiques en général (optimisation des chais, énergie, consommation d’eau) sont vertueuses.

Spécialisée dans le conseil et régie d’exploitations viticoles (140 l’année dernière, en Champagne, Bourgogne, Rhône, Languedoc…), Myriam Jean débute à peine son exploration de la région bordelaise. « Les retours d’expériences des différents vignobles sont extrêmement précieux, cela nous permet de bien conduire nos audits pour aider les viticulteurs à définir leurs objectifs (bio, Terra Vitis, HVE…) et les accompagner dans leur stratégie de commercialisation. Notre but est réellement de nous adapter à chaque structure, pas de rester un vendeur de produits phytosanitaires – d’ailleurs nous pensons que l’avenir est à la réduction des intrants. Nous sommes dans une approche technique, concrète, parcellaire, et l’on voit de plus en plus de vignerons s’y rallier, notamment à Bordeaux où les choses bougent très vite ».

Les choses bougent vite, parfois par nécessité ou par prise de conscience « frontale », comme au château La Dauphine : « nous avons été directement confrontés à la question de la santé des ouvriers de la vigne, mais aussi des riverains, écoles, maisons de retraite », explique Stéphanie Barousse. « Nous sommes passés progressivement en bio, d’abord 10 hectares, puis 20, jusqu’à obtenir la certification globale de nos 53 hectares de vigne en 2015. Parallèlement, nous avons entamé des démarches en biodynamie à partir de 2014, pour disposer de plus d’outils, notamment dans l’utilisation du cuivre, du soufre, des levures… » Mobiliser les équipes, notamment avec l’appui d’Alain Moueix du château Fonroque (cru classé de Saint-Emilion), n’a apparemment pas été un souci. C’est un niveau des rendements que le passage au bio s’est avéré délicat, concède Stéphanie Barousse : « on a fait 19 hl/ha en 2013, 39 en 2014, alors qu’on vise plus de 42 en temps normal. Il fallait que la vigne comme les hommes prennent leurs marques, mais cela ressent aujourd’hui dans la qualité du vin. Cela demande de l’anticipation, du temps, de la mobilisation humaine, mais on voit les sols revivre, et même nos visiteurs sont passionnés par le sujet ».

Le mot de la fin à Allan Sichel, président du CIVB : « le développement durable est devenu un enjeu majeur pour le vignoble bordelais. Nous pouvons déjà nous réjouir de la réussite du SME, qui est une mécanique vertueuse, mais cela n’est pas du tout incompatible avec l’essor du bio, de la biodynamie… Il faut souligner qu’on ne peut pas avoir un solution unique imposée à toute une filière. Il faut du partage, de l’échange, de l’expérimentation, de la comparaison, soit une approche multifacettes pour pouvoir sortir des produits phytosanitaires chimiques. Les cépages résistants font partie de la réflexion. Mais au-delà de toutes ces réflexions, il y a le faire-savoir, c’est pourquoi nous avons lancé le Plan Climat 2020 et le Plan Ambition 2025, dont les stratégie seront définies à la fin de l’année ».

Photos Jean-Bernard Nadeau.
Rendez-vous le 9 novembre pour la prochaine édition de « Des Paroles et du Vin ».