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Vignes, où sont les femmes ?

Vendanges : Jean Collon ?, Fontés (Hérault, France) , 1880-1914. (Arch.dept.Hérault 30FI24 – Fonds Martial Aubrespy)

Auteur

Anne-Sophie
Thérond

Date

08.03.2017

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En ce mercredi 8 mars, Journée internationale de lutte pour les Droits des Femmes, le domaine départemental de Pierresvives à Montpellier se penche sur le rôle joué par les femmes dans l’histoire et le développement de la viticulture dans l’Hérault, en particulier, et en France en général.

En trois conférences le 8 mars et une présentation de documents d’archives pendant le mois de mars, dans les Ateliers de l’Histoire, les archives départementales de l’Hérault à Pierrevives sortent de l’ombre ces femmes qui ont construit, au coté des hommes, le plus grand vignoble du monde, en Languedoc.

« Après la crise du phylloxera à la fin du XIX° siècle, les grands propriétaires investissent massivement dans le vignoble. Le département de l’Hérault sera alors considéré comme le plus grand vignoble du monde. Toutes les tâches saisonnières, de la taille aux vendanges, exigent une main d’œuvre importante, et les femmes jouent un rôle crucial dans ce travail. Depuis une trentaine d’année, la filière viti-vinocole connaît une mutation profonde et de nouveaux modèles d’exploitation voient le jour. Les femmes apportent un regard neuf sur l’œnologie et la viticulture. »

Les femmes et le vin

Aujourd’hui, les représentations changent, car les faits changent. Les acheteurs sont d’abord… des acheteuses : 65% à 75% des vins sont achetés par des femmes. Le prix « Coup de cœur des femmes journalistes du vin », créé par les coopératives du Languedoc, a fêté ses 20 ans en 2016. Ce pionnier est suivi par d’autres, dont le concours des vins du magazine Elle à Table, 3ème édition en 2017, qui annonce « un label de confiance adressé aux consommatrices de vins, mais démarqué des déprimants « vin de femmes » prétendument réservés au beau sexe ». Avec un jury paritaire, et une présidente d’honneur, Virginie Morvan, chef sommelière du caviste Lavinia.

Car le palais et les papilles des femmes ont fait leurs preuves. Sommelières et œnologues ont fait leur place dans les endroits les plus prestigieux. Estelle Touzet, après les palaces parisiens du Bristol, Crillon, Meurice, est la sommelière du Ritz depuis la réouverture en 2016. Ludivine Griveau, ingénieur agro et œnologue est devenue en 2015 la première régisseuse du prestigieux domaine bourguignon des Hospices de Beaune.

L’association HEC au féminin, dans un magazine en 2016, mentionne 38% femmes en vinification, 34% de femmes dans la fabrication de vins effervescents et 41% de femmes dans le commerce de gros de vins et de spiritueux. Sa présidente interpelle sur « l’avenir du vin au féminin : le secteur des vins et spiritueux aurait-il besoin d’un supplément « dames » ?… Pour répondre aux nouveaux enjeux – mondialisation de la production, ouverture à de nouveaux modèles culturels autant qu’économiques, évolution des modèles de commercialisation (e-commerce, international) – les besoins du secteur vont vers des profils plus diversifiés. »

Femmes et vigne, la propriété et le pouvoir ?

Les femmes ont travaillé les vignes, comme la terre depuis l’invention de l’agriculture. Qui étaient-elles ? Avec quel statut, épouses, mères, associées, propriétaires ou salariées ? Et quel salaire ?
Nous ne savons presque rien sur hier, les études « de genre » commencent à se pencher sur la place des femmes dans l’économie en général. Pour la vigne en particulier, Jean-Louis Escudier, historien, chargé de recherche au CNRS, auteur de « Les femmes et la vigne. Une histoire économique et sociale (1850-2010) », publié en 2016, présentera en conférence ses recherches pionnières. Stéphane le Bras, pour la revue de l’association Mnémosyne, « Genre et Histoire », explique pourquoi : « cette démarche est d’autant plus remarquable que si les études de genre sont quasi absentes dans l’historiographie vitivinicole, cela s’explique en grande partie par l’absence ou la transparence des femmes dans les archives elles-mêmes. Ceux-ci procèdent de plusieurs mécanismes depuis le non-salariat ou le demi-salariat au XIXe siècle jusqu’à la perpétuation de pratiques quasi uniquement féminines (la cueillette des raisins) en passant par, à l’inverse, l’exclusion de la formation professionnelle ou des considérations métaphysiques et rituelles (l’interdiction d’entrer dans les chais). Dans tous les cas, au moins jusqu’aux Trente glorieuses, les femmes dans le secteur vitivinicole restent cantonnées à une position d’inférieure voire de soumission. »

Nous en savons assez peu encore aujourd’hui, sur la possession des terres, la direction des domaines, des coopératives et des entreprises de négoce. Marie-Ange Lasmenes, docteur en ethnologie, co-auteure d’une étude sur le patrimoine viticole en Cœur d’Hérault publiée en juin 2015, l’abordera en conférence sur le thème: « Paroles de femmes viticultrices. Un regard ethnographique ». Elle avance ce chiffre (Sources : SRISET DRAAF Occitanie). Le pourcentage de femmes chefs d’exploitation et premières coexploitantes en 2010 : France 27%, Occitanie 26%, Hérault 26%.

Et Geneviève Gavignaud-Fontaine, historienne, professeur émérite à l’Université de Montpellier, auteure de nombreux ouvrages sur l’histoire de la viticulture, mettra l’ensemble en perspective dans sa conférence sur « Le bon vin en Languedoc : 2000 ans d’histoire ».

À « Terre de Vins », au fil des numéros – pas seulement en mars – on rencontre des femmes vigneronnes, chefs d’entreprise vinicole, présidentes de coopérative. Entre autres…
En champagne, les fa’Bulleuses vigneronnes champenoises (n°44), vigneronnes du hors série champagne 2016.
En Corse, avec les battantes du Cap Corse, (hors série Sud octobre 2016)
En Languedoc, avec Diane Losfelt, du château de l’Engarran, en couverture du Top du Languedoc (n°39), En Pic Saint-Loup (hors série Sud octobre 2016), Bernadette Gazel, présidente de la cave coopérative de Saint-Saturnin (n°34)
En Bordelais… Vigneronne en Margaux (n°42)
En Alsace, autour de Strasbourg (n°41)
En Bourgogne, portrait de Lalou Bize-Leroy (n°40)
En Charente, avec Marion Babinot (n°39)

Il y en a bien d’autres. Si les femmes sont encore loin d’être la norme – en particulier dans les instances de décision – elles ne sont plus des exceptions, ou des anonymes, comme sur ces photos centenaires.

Ci-dessous – Vendanges : C. Paillasse , Fontés (Hérault, France), 1880-1914 (Arch.dept.Hérault 30FI22 – Fonds Martial Aubrespy)