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Souvenirs de vignerons au Château Haut-Brion

Auteur

La
rédaction

Date

31.10.2012

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Témoignage. Avec son mari, Janine Saramona a vécu et travaillé dans les célèbres vignes du Château Haut-Brion, Premier Grand Cru Classé 1855. Elle se remémore ces « trente glorieuses », nostalgique des vendanges d’antan…

C’est tellement tentant de parler des vendanges d’antan. Hélas pour l’image : « Les vendanges se faisaient à peu près comme aujourd’hui », tempère Janine Sarramona, entrée au Château Haut-Brion, le 1er décembre 1956 : « J’avais 25 ans. » Entrée, plus qu’embauchée. « Car on habitait sur place et généralement en couple. Lucien, mon mari, était au tracteur. Moi, je faisais les travaux de la vigne et au début, aussi les vendanges. On avait trois pièces dans un vieux château qui s’appelait Bahans. Ce n’était pas fonctionnel. On se chauffait avec la cheminée, un poêle et la cuisinière. On y faisait brûler les vieux piquets et les pieds de vigne qui avaient été arrachés. On avait aussi droit à 5 mètres cubes de chêne par couple. »

Du Haut-Brion à table

Le château Bahans sera ensuite démoli et les Sarramona « émigrent » rue Gabriel-Fauré, dans un autre bâtiment, propriété du Haut-Brion. Le chauffage est au fuel.
« On était plutôt bien lotis. En plus d’un salaire correct, on était logés, chauffés et on avait droit à 50 ou 55 litres de vin par mois qui provenaient des fonds de barrique. On vendangeait aussi pour notre propre compte un carré de vigne que le château nous vinifiait. »

Du Haut-Brion à table, pas mal ! Même s’il ne bénéficiait pas de tous les petits soins qui font le premier grand cru dorénavant réservé aux clients très fortunés.

Esprit de famille

La perte de ce privilège fut dure à… avaler : « L’État a interdit ces pratiques. Il envoyait des citernes récupérer les surplus. Cela nous faisait mal au ventre de voir notre travail réquisitionné. Maintenant, pour rester dans les quotas, on fait des vendanges vertes en début d’été. »

Comme les autres, Janine était payée à la journée ou à la pièce. À la différence d’aujourd’hui, la formule n’avait rien de précaire : « On était au château à demeure, du 1er janvier au 31 décembre. Le travail de la vigne était à la pièce. En gros, un couple s’occupait de 30 000 pieds. À la journée, on entretenait le parc, les allées, on faisait le ménage au château. » C’était en plus du personnel attitré pour ces tâches… de père en fils ou de mère en fille : « Le jardinier, M. Richard, s’occupait du parc, son fils, des fruits et légumes du jardin. »

L’organisation était la même au sommet. « J’ai bien connu le grand-père Delmas, son fils Jean-Bernard, qui avait presque mon âge et qui est le père de Jean-Philippe, l’actuel directeur. Quand il fallait travailler la nuit, je revois encore papy Delmas débarquer avec une entrecôte, du pain et du fromage. Il passait la nuit avec les ouvriers et il mettait la main à la pâte. »

Savoir-faire médocain

Planter les piquets, chausser la vigne (pour éviter le gel), attacher les pieds, couvrir le fumier, tirer cavaillon (rouvrir la terre et enlever les mauvaises herbes), participer à la mise en bouteille… « C’est une vieille qui m’a appris, elle avait plus de 50 ans ! », dit Janine, qui a maintenant passé les 80. « Elle s’appelait Valentine. Elle avait des sabots de bois. Une Médocaine, comme le directeur. »

Il y a deux choses sur lesquelles Janine cale : « Lucien disait : « Qui ne sait pas tailler, ne sait pas épamprer » (enlever le surplus de branches). Je ne savais faire ni l’un ni l’autre. Ce n’était pas mon travail. » Elle a aussi été rapidement dispensée de vendanges, mais les bras ne manquaient pas : « Des retraités, des policiers ou des gendarmes, des employés municipaux qui prenaient leurs vacances spécialement et des étudiants. »

Le mari de Janine conduisait un des deux tracteurs de la propriété : « Il était haut et il s’est renversé quelquefois. Quand il ne pouvait pas passer, il y avait un cheval. » Dans les années 90, Lucien Sarramona, à peine à la retraite, a été balayé par un cancer du poumon. Janine vit dans la maison que le couple a pu acheter avec ses économies, avenue de Candau. De sa fenêtre, elle a vue sur les vignes et elle n’est pas la seule. « Dans le quartier, on est beaucoup d’anciens du Haut-Brion. »

Willy Dallay