Accueil Actualités Soutenons nos vignerons, la juste part

Soutenons nos vignerons, la juste part

bib soutenons nos vignerons

Edwige Bourchet et Étienne Laris. ©Mathias Leclerc

Auteur

Thomas
Galichon

Date

06.11.2025

Partager

Dans les rayons de la grande distribution, l'offre de vin est tellement pléthorique qu'on s'y perd. Des cubes colorés rompent cependant la monotonie. Trois mots sobres y sont inscrits : "Soutenons nos vignerons". Ce message sans détours est porteur d’une idée essentielle : redonner au vin sa valeur réelle, en replaçant le vigneron au centre de l’équation.

Lancée au début de l’année 2025 par les Grands Chais de France (GCF), la démarche rassemble cinq appellations — Bordeaux, Bergerac, Buzet, Corbières et Côtes-du-Rhône — autour d’un principe simple et audacieux : assurer au producteur une rémunération équitable. Chaque Bag-in-Box de 3 litres, vendu 11,95 €, garantit que 48 % du prix de vente revient directement au vigneron. Une promesse claire dans un marché où la transparence demeure rare.

« La démarche est très bien accueillie par le public, observe Yannick Deroulède, directeur commercial France de GCF. Elle répond à une attente forte : consommer responsable, soutenir le monde agricole, privilégier le made in France et comprendre où va l’argent du vin que l’on achète. »

Son collègue Olivier Fargeot, directeur commercial Grands Comptes, complète : « Nous voulons montrer que l’éthique n’est pas l’ennemie de l’économie. Concilier les deux, c’est rendre l’achat responsable non pas vertueux, mais évident. »

Un souffle venu du terrain

À Vaison-la-Romaine, dans le Vaucluse, Edwige Bourchet, directrice de la cave coopérative, voit déjà les effets de cette initiative. La structure, fondée il y a plus d’un siècle, regroupe 160 familles de vignerons sur 950 hectares. « C’est un partenariat solide et concret, confie-t-elle. Grâce à cette valorisation d’environ 20 % au-dessus du marché, je peux mieux rémunérer mes vignerons. »

Le modèle de la cave de Vaison-la-Romaine repose sur un équilibre fragile : 80 % des volumes sont vendus en vrac, 20 % seulement en bouteilles. Dans ce contexte, chaque euro réinjecté a un effet direct sur le revenu des producteurs.

Ce qui séduit Edwige Bourchet, au-delà des chiffres, c’est l’esprit du projet : « La transparence, la volonté de partager la valeur entre producteur, négociant et distributeur. C’est assez inédit dans notre région. On parle souvent de familles distinctes — celle des producteurs, celle des négociants. Moi, je crois qu’il n’existe qu’une seule famille viticole. Il serait temps qu’on s’en souvienne. »

Un vrai soutien dans les Corbières

Du Vaucluse aux Corbières, le même mot revient sur toutes les lèvres : soutien. À Tuchan, Étienne Laris, président du Mont Tauch, en mesure chaque jour la portée. La cave regroupe près de 180 adhérents et produit environ 50 000 hectolitres par an. Après les crises des années 2000, elle avait réduit ses effectifs et perdu des marchés. En 2017, son partenariat avec les Grands Chais de France a changé bon nombre de perspectives.

« Ce n’est pas encore parfait, reconnaît Laris, mais nous revenons à des niveaux normaux. Cela permet de pérenniser les exploitations, d’envisager de nouvelles installations et de redonner un peu d’espoir dans une région où la vigne fait vivre tout le monde. » Ici, la vigne n’est pas un simple pan d’économie, c’est une condition d’existence. « Nous sommes au fin fond des Corbières, sans la vigne, il n’y aurait rien : ni commerces, ni emplois. Savoir qu’on peut travailler en étant respecté, c’est essentiel. »

Transparence et pédagogie

Chez les Grands Chais, on sait que la promesse d’un prix juste ne suffit pas : encore faut-il la rendre lisible. « Nous avons repensé les packagings pour offrir un maximum d’informations au consommateur, explique Deroulède. Le format BIB nous aide : il offre plus d’espace pour raconter la démarche. » Dans les linéaires, le dispositif se double d’un effort de visibilité : affiches, totems, animations, supports de vente. Fargeot y voit un signe des temps : « Le besoin de transparence s’annonce comme la nouvelle lame de fond de la consommation : comprendre l’origine, la composition, l’équité de la rémunération. »

Les premiers résultats leur donnent raison. Selon Circana, les Bag-in-Box Soutenons nos vignerons figurent déjà parmi les leaders de leur catégorie, avec une première place pour le Corbières et une seconde pour le Bordeaux après six mois de présence seulement.

Entre espoir et prudence

Edwige Bourchet garde la tête froide : « Ce n’est pas une opération destinée à durer telle quelle. Mon souhait, c’est qu’un jour, on n’ait plus besoin de soutenir les vignerons, mais simplement de leur permettre de vivre de leur travail. » Même lucidité chez Étienne Laris : « Peut-être que cela ne durera pas indéfiniment, mais si cela permet de relancer une dynamique, de redonner de la dignité et de la valeur à nos appellations, ce sera déjà une réussite. »

Tous deux savent qu’une démarche, si vertueuse soit-elle, ne transforme pas une filière. Mais elle peut infléchir les mentalités, rappeler qu’au-delà des marchés et des marges, il y a des hommes, des paysages et des métiers à préserver.

Le vin comme lien retrouvé

« Le consommateur a besoin de repères », résume Deroulède. Et le vin, plus qu’un autre produit, peut les lui offrir : un terroir, un climat, une main. C’est sans doute là que Soutenons nos vignerons prend tout son sens — non comme une opération commerciale, mais comme un rappel à l’essentiel : rendre au vin son humanité.

« Ce projet rappelle qu’on avance mieux ensemble », glisse Edwige Bourchet. Tandis qu’Étienne Laris conclut simplement : « Je crois à ce modèle. S’il permet de remettre un peu de dignité et de valeur dans nos appellations, ce sera déjà beaucoup. »