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Bordeaux rive droite, les vendanges avec le sourire

Ci-dessus : Pierre, Camille et Axelle Courdurié, Château Croix de Labrie.

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

08.10.2019

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Sur la rive droite du vignoble bordelais, certains ont déjà donné les derniers coups de sécateurs, d’autres sont encore « le nez dans les cabernets », quelques rares sont sur le point de démarrer. Tour d’horizon des vendanges 2019 au pays du merlot roi.

S’il est bien une partie du vignoble bordelais qui est secouée depuis quelques millésimes par une révolution en profondeur sur l’approche des maturités, la prise de décision dans les dates de vendanges, l’adaptation au changement climatique et, plus largement, par une remise en question drastique portant sur le style des vins, c’est bien la rive droite. Au pays du merlot et des « vins de garage » à la success story fugurante là où l’on n’hésitait pas il y a quelques années encore à pousser les maturités et les concentrations, on lève désormais le pied à tous les niveaux, avec sur toutes les lèvres, la vénérée « fraîcheur » pour maître-mot. Pas si simple, lorsqu’on sait la propension du merlot à souffrir des grosses chaleurs et à monter facilement en alcool. Cabernet franc et malbec, que l’on n’a plus de difficulté à ramasser parfaitement mûrs, viennent de plus en plus en renfort dans les encépagements – lorsque les terroirs le permettent – et les assemblages. Ce qui se passe au-delà de la Dordogne, autour de Saint-Émilion, Pomerol et leurs satellites, est tout simplement passionnant. Comme toute révolution, elle ne se fait pas sans quelques heurts ; et l’on assiste parfois, à fleurets mouchetés, à une vraie confrontation philosophique entre « anciens et modernes » dans laquelle il serait bon de ne pas prendre trop hâtivement position. Vendanger tôt ou vendanger tard, l’important est de vendanger juste. Goûtons d’abord les vins et prenons-les pour ce qu’ils sont. À l’heure des vendanges, en tout cas, alors que certains ont déjà presque tout mis en cuve, que d’autres ont patiemment attendu que leurs cabernets soient prêts et que quelques rares commencent tout juste à récolter, le consensus est de mise : le millésime 2019 donne le sourire.

Croix de Labrie, vendanges en famille
Au château Croix de Labrie, propriété de poche (5,79 hectares à Saint-Christophe-des-Bardes) en appellation Saint-Émilion Grand Cru, Axelle et Pierre Courdurié surfent sur la vague du succès. La reconnaissance galopante de leur vin sur la scène internationale – et cela inclut aussi leurs excellents vins de négoce, la gamme « Camille » qui porte le prénom de leur fille – est le fruit de plusieurs années de travail exigeant. Après un millésime 2018 aux rendements réduits, 2019 renoue avec de jolis volumes. On part sur 35 hl/ha. Mais surtout, la qualité s’annonce très belle : « les couleurs sont splendides, on a un superbe éclat de fruit, cela s’annonce très aromatique, ça explose de framboise », s’enthousiasme le couple de vignerons. Ici, les premiers coups de sécateurs ont été donnés le 23 septembre « sur les calcaires, pour garder du croquant et éviter de monter trop haut en alcool. C’est l’enjeu de ce millésime, avec les chaleurs de l’été, il fallait vraiment surveiller les degrés et les sucres. Les petites pluies de septembre ont fait du bien ». Le gros des merlots a été fini en milieu de semaine dernière, et les cabernets sont entamés ces jours-ci. Croix de Labrie, qui a augmenté sa superficie d’un peu plus de 3 hectares l’an dernier, est en cours de conversion à l’agriculture biologique.
Et sinon, quoi de neuf ? Des chambres d’hôtes et une mise en place de la génodique, une « thérapie par le son » au cœur des vignes.

Grand Pontet, les deux tours
Au château Grand Pontet, on ne fait pas les choses à moitié. La famille Pourquet-Bécot mène de front les vendanges, qui ont commencé le 25 septembre, et la fin imminente des grands travaux qui depuis le printemps dernier ont porté aussi bien sur la rénovation du cuvier et des chais d’élevage, que sur la construction d’une tour destinée à accueillir la partie réceptive. Marie Pourquet (qui a signé ici son premier millésime en 2012) et sa mère Sylvie gardent le sourire en slalomant entre ouvriers et vendangeurs. Il faut dire qu’ici aussi, le millésime s’annonce beau, comme le confirme le directeur technique Pascal Lucin : « contrairement à 2017 et 2018, on n’a pas eu cette année d’incident majeur comme le gel ou le mildiou. Globalement tout s’est bien déroulé, le coup de froid d’avril a juste donné une grosse frayeur et la floraison s’est faite sans souci. Pour autant, il y a eu des facteurs de risque pendant tout le cycle, notamment avec les fortes chaleurs estivales. Mais nous avons la chance d’avoir des terroirs très calcaires, avec des pH bas, qui équilibrent les degrés d’alcool. Le travail sur la fraîcheur et sur les acidités va être le principal enjeu des années à venir, c’est aussi pour ça que nous avons planté du malbec, qui entre dans 6% de l’encépagement. On constate des vendanges de plus en plis précoces, des cycles végétatifs plus courts, il faut donc être très vigilants pour avoir les bonnes maturités ». Les derniers cabernets devraient être rentrés ce jeudi à Grand Pontet, où 2019 s’annonce déjà sur un profil similaire à 2018, « fruit frais et tanins soyeux ». Les volumes en plus (50 hl/ha).
Et sinon, quoi de neuf ? La nouvelle tour, qui fait face à celle bâtie par le grand-père Claude Pourquet, accueillera à l’étage une salle de dégustation panoramique offrant une vue imprenable sur le vignoble, et une œnothèque compilant de vieux millésimes.

Dassault, nouvelle équipe et grandes ambitions
Château Dassault, propriété achetée par Marcel Dassault en 1955 et classée depuis 1969, s’étend sur 24 hectares. Les achats successifs des châteaux La Fleur en 2002, Faurie de Souchard (grand cru classé) en 2013 et Trimoulet en 2016 ont porté le potentiel exploitable de Dassault Wine Estates à 70 hectares au total. Une superficie qui nécessite une vision d’ensemble très ambitieuse. C’est ainsi que l’équipe, remodelée en fin d’année dernière – suite au départ à la retraite de Laurence Brun – autour du directeur général Romain Depons et de la directrice commerciale Valérie Befve, s’est lancée dans un grand plan décennal de restructuration du vignoble et des investissements très conséquents. « La famille Dassault et l’intégralité du groupe, qui garde des attaches fortes en Gironde, sont mobilisés derrières les propriétés Dassault Wine Estates », souligne Romain Depons. « C’est une belle histoire qui est toujours en construction et nous ne manquons pas d’ambition ». Concernant les vendanges, les premiers coups de sécateurs ont été donnés le 20 septembre, « dans des jeunes parcelles de Faurie et Dassault ». Initialement impacté par le gel printanier (« on estime des pertes entre 5 et 10% ») et un peu de millerandage, le millésime s’annonce réduit en volume mais réjouissant sur le plan qualitatif : « la sécheresse de l’été n’a pas été facile à négocier mais on a eu des pluies au bon moment, qui ont permis d’éviter les blocages. Ce que l’on rentre nous rappelle le profil de 2018, peut-être avec davantage de fruits noirs ». Avec trois semaines de récolte prévues, les derniers raisins devraient être rentrés cette semaine.
Et sinon, quoi de neuf ? Des investissements importants… dont nous reparlerons.


Ci-dessus : Marie-Laure Latorre et Olivier Decelle, Château Jean Faure.

Jean Faure, du sang neuf
Avec son terroir atypique, argilo-silicieux et son encépagement fort en cabernet franc (65%), autant de caractéristiques qui le font davantage regarder vers Pomerol et Cheval Blanc que vers l’olympe calcaire de Saint-Émilion, le château Jean Faure, acquis en 2004 par Anne et Olivier Decelle, cultive sa différence. Le passage au bio – certifié en 2017 – et le travail depuis deux ans en biodynamie finissent de signer la singularité de ce grand cru classé. Arrivée il y a deux ans après un parcours très riche et éclectique, la directrice générale Marie-Laure Latorre accompagne ce cheminement : « à Jean Faure, on se donne les moyens de faire ce que l’on veut, pour progresser sans cesse et mieux connaître nos terroirs ». Ici, les vendanges ont commencé le 16 septembre, et dès le 22 les merlots étaient finis. Les cabernets ont commencé à être rentrés le 30 septembre. « On a de beaux raisins mûrs, de bonnes acidités, de bons équilibres, c’est ce que l’on recherche », souligne Olivier Decelle qui constate que « le passage au bio a fait gagner de la précocité, et de l’acidité dans les vins. Il a fallu quatre ans pour sentir la bascule que l’on voulait atteindre entre le travail à la vigne et le résultat dans la bouteille ». Une verticale 2014-2018 confirme l’affirmation de cette continuité de style.
Et sinon, quoi de neuf ? Camille Poupon (anciennement vignobles Fayat) vient de rejoindre les vignobles Decelle (Jean Faure, Mas Amiel, Decelle-Villa, Boisseyt) en qualité de directrice du marketing stratégique.

Lescaneaut, à fond le bio
Propriété familiale (depuis six générations) de 9 hectares en appellation Castillon-Côtes-de-Bordeaux, Château Lescaneaut est labellisé bio depuis 2009. Malika Faytout Boueix et son mari Pascal, architecte de métier, conduisent le domaine à quatre mains et chouchoutent leurs vignes partagées entre sols de grave et argilo-calcaires en coteaux. Le merlot (75%) laisse un peu de place aux cabernets, sauvignon (15%) et franc (10%). Après un millésime 2018 marqué par la pression mildiou, 2019 s’est avéré plus tranquille, même si le coup de froid printanier a impacté certains merlots. « On attend quelques parcelles pour qu’elles soient à bonne maturité mais globalement c’est un millésime assez précoce, où il fallait faire attention aux chaleurs estivales et aux montées en degrés », soulignent Malika et Pascal. « On veut garder la main sur les maturités, et faire attention à ne pas trop travailler la matière : extraction douce, surveillance des températures, on veut préserver le style de nos vins, sur la fraîcheur et le fruit ».
Et sinon, quoi de neuf ? En 2017, Lescaneaut a lancé une intéressante cuvée sans soufre, ce qui est dans la suite logique du travail de Malika et Pascal, qui sulfitent très peu leur cuvée classique.

Destieux, rien ne sert de courir
Au château Destieux, grand cru classé de 8 hectares (Saint-Hippolyte), le coup d’envoi des vendanges a été donné… aujourd’hui. On voit bien qu’en matière de dates de récoltes, il y a encore plusieurs écoles à Saint-Émilion. Celles de Destieux sont d’abord dictées par son terroir, argilo-calcaire, et par la philosophie singulière de son propriétaire. Christian Dauriac, qui a fait carrière dans le milieu médical et a fait l’acquisition du château en 1971, revendique le fait d’être à rebours des modes. Cela passe par les vendanges, mais aussi par la politique de commercialisation des vins, avec peu de mises en marché en primeurs et un gros travail sur les livrables – ce qui s’accompagne forcément d’un stock impressionnant à la propriété. Et cela tombe bien, ladite propriété a fait récemment l’objet de grands travaux pour rénover l’outil technique (cuvier, chai), le stockage et ouvrir un grand espace réceptif, lumineux, contemporain et grand ouvert sur le vignoble. Impressionnant mais pas spectaculaire pour autant : on cultive ici une certaine discrétion, à l’image de l’histoire d’amitié et de fidélité qui unit Christian Dauriac à l’œnologue Michel Rolland depuis 44 millésimes.
Et sinon, quoi de neuf ? Également propriétaire des château Montlisse (Saint-Émilion Grand Cru) et La Clémence (Pomerol), Christian Dauriac conseille aussi un domaine en Afrique du Sud, Marianne Wine Estate. En ce moment, c’est la saison de la taille, supervisée à distance par iPhone interposé, avec l’œil avisé de l’expert Michel Duclos.

Ci-dessous : vue des vignes du château Destieux.