Lundi 2 Décembre 2024
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26.05.2023
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On voit de plus en plus apparaître sur les bouteilles la mention très alléchante « Zéro Résidus de Pesticides ». Que signifie cette dénomination ? Est-elle réellement bénéfique pour le consommateur ? L’association TOWA (Transparency for Organic World Association), qui milite pour la transparence dans le secteur de l’alimentation - dont le vin -, s’est notamment penchée sur ce label. Olivier Paul-Morandini, vigneron toscan et dirigeant de TOWA, n’est pas convaincu par le Zéro Résidus Pesticides, loin de là même… Explications.
TOWA a travaillé sur le label « Zéro Résidus de Pesticides », que garantit cette dénomination sur les étiquettes, en somme est-elle fiable pour le consommateur ?
Fiable, pas vraiment… Car ce type de zéro n’est pas un zéro, c’est une valeur que l’on appelle zéro, généralement équivalente à 0,01 mg/l., un curseur environ 10 000 fois supérieur au zéro technique utilisé pour l’eau. 0,01 mg/l. paraît être faible mais suffisamment élevé pour provoquer des effets toxiques, c’est le cas des résidus de pesticides dans le vin qui contiennent des substances cancérigènes-mutagènes-reprotoxiques à effets perturbateurs endocriniens (C.M.R/PE) et je laisse le soin aux consommateurs de s’en remettre aux opinions des toxicologues, endocrinologues, biologistes, etc.
Alors pourquoi avoir créé ce label ?
C’est une démarche positive si et seulement si elle diminue significativement le traitement par pesticides et donc l’exposition des travailleurs agricoles, des riverains, des consommateurs. Au contraire, ce système permet de cacher des doses de résidus inférieures au seuil appelé zéro. Ainsi, ça permet de continuer à épandre des pesticides sur les vignes en diversifiant les molécules et en les dosant de sorte qu’elles ne se trouvent pas au-delà du seuil. Alors, le rapport du labo pourra mentionner l’absence de résidus au-delà de la « limite de communication ». Il faut savoir que les molécules CMR-PE sont souvent moins traçantes, c'est-à-dire qu’on les détecte plus rarement dans les vins. Malgré leur toxicité connue, ce sont des molécules qui présentent, pour celui qui souhaite les cacher, l’avantage d’être presque invisibles en analyse. Zéro Résidus de Pesticides fait partie des slogans qui maquillent la réalité, au mépris des avis des toxicologues.
Pour entrer en concurrence avec les labellisés bio… ?
Oui, il répond à une arrivée massive de vins qui veulent prétendre à de l’assimilé bio et ces vins passent par des marques plutôt que des processus de certifications bio qui interdisent l’utilisation de pesticides de synthèse.
Mais qu’en est-il, en amont, de l’éthique des laboratoires ?
Beaucoup de laboratoires se sont soumis à ce zéro recalculé et ont aussi remonté leurs seuils, leurs « limite de communication », ce qui ne permet plus aux producteurs de faire analyser leurs vins afin de traquer des doses de pesticides inférieures à ce zéro. Ce qui autrefois était possible. Le groupe d’Emmanuel Macron au Parlement qui a découvert cette opération de blanchiment se garde bien de le révéler. La règlementation européenne relative aux pesticides impose pourtant de tenir compte des connaissances scientifiques et techniques. Et il est démontré que pour certaines substances, la dose ne fait pas le poison. Des petites doses engendrent parfois des effets plus toxiques que des doses plus élevées. Oui, je sais, c’est bizarre. L’utilisation de ce zéro est contraire : elle rend « invisible » les petites doses toxiques et jette le Plan Cancer par terre !
À partir de ce constat, que demandez-vous ?
Dans l’intérêt du consommateur, nous demandons plusieurs choses. Premièrement et dans l'immédiat que ce type d’allégations soient reformulées ou soient directement accompagnées d’explications : dire que ce n’est pas zéro mais un seuil (exemple : 0,01 mg/L) et que les analyses ne concernent qu’une fraction des molécules de pesticides potentiellement présentes. Parfois, ces analyses ne portent même pas sur le glyphosate car elles nécessitent une méthode d’analyse particulière donc un surcoût… Deuxièmement, que le « zéro » soit recalculé, cette fois sur base des connaissances toxicologiques et des performances analytiques permises par notre époque, en donc recalculé par des professionnels de la santé.
Cela rejoint votre combat contre l’opacité des étiquettes de vin au niveau européen…
De fait, ce travail vise le « off-label » qui signifie « hors de l’étiquette » au contraire du « on-label » qui désigne ce qui est écrit sur l’étiquette de la bouteille. Cela fait plus de 40 ans que des grandes filières d'alcools - dont le vin - s’organisent pour échapper aux règlementations d’étiquetage des ingrédients tels que le sucre, les additifs, etc. La Commission européenne veut mettre un terme à cette exception. Mais pas tout à fait car elle a accepté que ces secteurs proposent eux-mêmes une « auto-régulation ». Il en ressort une poursuite du régime d’exception afin de ne pas être obligé de noter les additifs, ajouts de sucre etc. sur l’étiquette mais de le faire via un QR code à scanner (cette information « off-label » devient payante !) par le consommateur courageux qui veut s’informer. Le « off-label » diminue clairement l’accès à l’information.
Comment ce régime d’exception parvient à se maintenir ?
Parce que les interlocuteurs de la Commission européenne ne sont pas représentatifs de tous les producteurs. On n’invite que les organismes qui donnent des signes de vie et surtout les lobbies des grandes filières paraissent plus vifs sur cette question… En conséquence, c’est l’arrogance du lobby alcoolier qui marche sur le droit à l’information du consommateur. Le rapport du Joint Research Center de la Commission (septembre 2022) est clair sur le fait que le « off-label » diminue l’accès à l’information. Alors que ce sont des données légales et des données de santé. Le comble est que la Commission déclare se donner les moyens pour que les consommateurs soient mieux informés et puissent en conséquence jouer leur rôle dans la transition verte…
Est-ce une attaque déguisée au bio ?
Les vignerons qui recourent peu à la chimie et les producteurs bio, s’ils utilisent peu ou pas les additifs autorisés en bio, ont beaucoup à y perdre. Si les parties prenantes qui rédigent la règlementation en oublient les acteurs vertueux, ces derniers peuvent tout de même utiliser leur droit et mentionner les ingrédients sur l’étiquette de la bouteille, se servir de l’étiquette pour communiquer leurs pratiques, pour se différencier. Et aussi de mettre en pratique l’article 3 du Règlement Information Consommateur (1169/2011) qui nous accorde le droit d’être suffisamment informé pour choisir nos aliments en fonction de nos considérations sanitaires, environnementales, etc. Certains pays de l’Union et hors Union pourraient via leur droit national imposer le « on-label » : les producteurs qui voudront exporter sur ces marchés devront alors mentionner les compositions sur l’étiquette. Ce qui reviendrait soit à prévoir une étiquette spécifique pour ces pays-là ou étiqueter tous ses vins de la sorte. Alors pourquoi ne pas s’y mettre dès maintenant à la communication sur l’étiquette, être au moins aussi ambitieux et transparent que les producteurs des autres boissons, y compris les sodas ou les boissons énergisantes.
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