Mardi 3 Décembre 2024
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22.03.2022
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Aujourd’hui 22 mars, c’est la Journée Mondiale de l’eau. Le quadra Stéphane Branchaud, viticulteur et bouilleur de profession dans l’appellation Cognac, fait partie des acteurs de l’eau-de-vie charentaise qui croit en l’irrigation ou plus précisément en la « fertirrigation ». Il nous explique les tenants et les aboutissants de cette pratique.
Avec le dérèglement climatique, on évoque les pénuries d’eau sur le vignoble français, qu’en est-il pour la région où est produit le cognac ?
Je ne parlerais pas de pénuries d’eau, nous ne sommes pas dans le Sahel, ni sous une lattitude où l’eau manque. Cependant la pluviométrie est répartie de façon très aléatoire et irrégulière au cours des saisons. Ces différences donnent des effets millésimes. Avec le changement climatique, les périodes de sécheresse seront de plus en plus fréquentes et longues, et en parallèle, les périodes de pluie seront plus concentrées. Il a également été mesuré que le déficit hydrique climatique dans le cognaçais (dans un rapport Pluies/Évapotranspiration potentielle) durant la belle saison (du 1er juin au 31 août) est en constante diminution depuis les années 1960. En 1960, le déficit hydrique était de - 100 mm, aujourd’hui il est de -190 mm, soit une perte moyenne de 90 mm sur 60 ans. Cependant, les disponibilités en eau restent élevées, nous sommes dans un climat océanique contrairement au bassin méditerranéen par exemple ou encore dans l’Est avec le climat continental.
Dans le vignoble cognacais, le problème n’est pas la ressource en elle-même, mais plutôt son accessibilité et son partage entre les différentes filières professionnelles et utilisateurs (touristiques, particuliers, loisirs, sports, etc.). Aujourd’hui, l’utilisation de l’eau en agriculture en Charente et Charente-Maritime est soumise à une autorisation de prélèvement dans la ressource naturelle par pompage ou stockage et soumise aussi à un quota d’utilisation annuelle avec une gestion volumétrique stricte pour adapter nos prélèvements en fonction des sécheresses. Cela a été mis en place dans les années 1980-1990. Des solutions alternatives existent, les stockages des eaux en périodes hivernales ou la réutilisation des eaux traitées en sortie de station d'épuration.
Depuis quand certains viticulteurs ont opté pour l’irrigation et pourquoi avez-vous fait ce choix ?
À Cognac, nous n'utilisons pas le nom « irrigation », un mot à consonance très négative. Nous parlons de fertirrigation ou micro-irrigation. J’ai été le premier à équiper des vignes sous micro-irrigation il y a 9 ans, et à démarrer des tests avec le Pôle Technique et Développement Durable du BNIC (Station Viticole).
J’ai été accompagnée par la société Israélienne Netafim spécialisée dans l'utilisation de l’eau en agriculture et par un partenaire local, l’entreprise Martinaud. Pour quelle raison j’ai fait ce choix ? Car j’avais un droit de prélèvement d’eau, un quota issu de la culture du maïs, et j’ai souhaité développer la fertirrigation sur une partie de mon vignoble. Aussi, pour sécuriser certains millésimes très marqués par des sécheresses estivales. Ainsi, je donne à mon entreprise une pérennité de production, en qualité comme en régularité de production. La fertirrigation consiste en un accompagnement de la nutrition de la vigne lorsqu’elle en a le plus besoin, en injection d’éléments de nutritions dans l’eau, et faire du « rendu racine », ainsi permettre à la plante de consommer 100% de la fertilisation minérale apportée. On fractionne les apports entre 5 et 10 fois et du coup on donne de l'efficience à la fertilisation. C’est vraiment de l'homéopathie avec des résultats très nets : avec moins, on produit mieux. De fait, on sécurise la production de l’année et on améliore sensiblement les compositions des moûts en augmentant les pH et l'acidité, ainsi que les taux d’azotes qui sont extrêmement importants pour nous, car ils sont directement liés au côté aromatique des eaux de vie de cognac (Les esters entre autres). Je travaille sur la fertirrigation également après les vendanges, pour accompagner la mise en réserve de la vigne avant l’hiver et lui donner les meilleures conditions pour le débourrement au printemps suivant. C’est un vrai travail sur le bien-être et la qualité de production de la vigne. Il n’y a pas de recette, on s’adapte année après année aux millésimes et on s'accompagne d’OAD (Outils d’Aides à la Décision) pour faire les bons choix. Aujourd'hui, j’ai 58 hectares de vignes équipées et pilotées avec une supervision qui me permet de suivre constamment les états hydriques de mes sols, de piloter mes apports d’eau, et de fertilisants. D’autres viticulteurs de toutes générations m’ont suivi dans cette technique sans pour autant équiper la surface totale, mais cela représente plusieurs centaines d’hectares sur l’AOC. Cette technique reste encore très minoritaire, mais elle prendra tout son sens dans les années à venir.
D’autres exploitants ne veulent pas entendre parler de ça, quels sont leurs arguments ?
Nous avons tous des points de vue différents sur nos façons de travailler la vigne, le vin ou nos façons de distiller, cela s’appelle la diversité. Tout peu s’entendre mais ne soyons pas obtus. Il ne faut pas se fermer à de nouvelles techniques et pratiques, le changement climatique est bel et bien là, devons-nous le subir ou faire au mieux pour adapter nos techniques culturales afin de produire des eaux de vie de cognac de qualité ? Je pense que la fertirrigation est un des leviers parmi d’autres. Aujourd'hui, la micro-Irrigation et fertirrigation sont pratiquées dans de nombreux pays européens et à travers le monde. Beaucoup de régions viticoles et même des grandes AOC en France ont une vraie réflexion sur le sujet. Continuons à étudier et à analyser. Reste un fait, tout le monde n’a pas l’accès à l’eau ou le parcellaire adapté. Ensuite, c’est une question de volonté. Le vrai challenge de demain, c’est de rendre l’accessibilité à l’eau à davantage de producteurs en travaillant sur de vraies solutions durables de stockage, de réutilisation d’eau et sur des techniques d'applications encore plus économes. Le chemin est encore long, mais les solutions sont là.
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