Accueil Frederic Brochet (Ampelidae, domaine bio à Marigny-Brizay)

Frederic Brochet (Ampelidae, domaine bio à Marigny-Brizay)

Auteur

La
rédaction

Date

25.01.2010

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Pour aller de Poitiers à Marigny-Brizay, il est passé et passe encore par Paris : la rue d’Ulm un temps, la place de la Madeleine aujourd’hui. Frédéric Brochet est normalien de formation, il a fondé en 1995 Ampelidae, son domaine vinicole dans la Vienne qui compte aujourd’hui 75 ha en production (100 % en bio). Ses vins de cépage savent se faire vins de terroir ou d’auteur dans une gamme à trois visages, à l’image de leur créateur : Frédéric Brochet, père de famille, vigneron et directeur de la division vins de la maison Fauchon, se définit comme un « multitâches multiformes ».Quel est votre parcours et comment est née la vision d’Ampelidae ?
J’ai souvent hésité, étudiant, entre science et littérature… Je suis normalien, j’ai suivi le magistère de la rue d’Ulm, fait ma maîtrise à Jussieu et mon DEA d’œnologie puis ma thèse à Bordeaux. Ce parcours s’est terminé par un voyage de fin d’études en Australie. J’en suis revenu avec l’ambition de créer mon propre Penfold’s sur ma terre natale, dans la Vienne. Je ne suis pas issu d’une famille de vignerons, je n’avais pas de vignes, ou si peu (0, 5 ha), mais j’ai acheté des raisins et fait mon premier vin, avec mon père en 1993 (Je mettais la main à la pâte depuis que je savais marcher). Cette cuvée est restée confidentielle ! Le premier millésime que nous avons commercialisé était le 1995. En 1996, nous avons racheté le Manoir de Lavauguyot, à Marigny-Brizay, que l’on surnomme le Pauillac de la Vienne. A partir de là nous avons mené notre développement tranquillement, constamment . Nous produisions 100 000 bouteilles en 2000, 500 000 en 2006 et nous sommes à présent en route pour le million, dont 500 000 bouteilles produites en bio.

Le domaine est passé de 1, 5 hectares en 1993 à 75 hectares aujourd’hui. Je suis viticulteur par la force des choses : nous n’avons pas trouvé de raisins de qualité suffisante à l’achat. Mais ma passion dans la vie, c’est la vinification, c’est ce qui me fait me relever la nuit. Spontanément, je me sens plus proche, de tempérament , d’une cuve en fermentation que d’une vigne qui pousse pendant des décennies. Et puis nous avons des caves magnifiques où j’aime travailler : nous élevons nos vins dans des caves troglodytiques du 11ème siècle. J’en parlais à mes amis de Banyuls qui me disaient « Comment veux-tu qu’on s’enferme dans la cave, on regarde la mer, nous ! ». Et bien moi je regarde mes caves et, ma femme vous le dira, je suis en transe à partir du 15 août.

Pourriez-vous préciser votre vision pour Ampelidae ?
La vision qui me guide depuis si longtemps est marquée par le caractère pionnier de créer une marque luxueuse à partir de vignobles, ceux de la Vienne, qui n’ont pas connu une viticulture luxueuse. De fait, nous souhaitions adopter dès le début le modèle champenois et acheter des raisins plutôt que les produire nous mêmes. Mais comme nous n’avons pas trouvé les bons raisins, nous avons investi dans le vignoble.
On a repris du vignoble, avec peu de parcelles en très bon état, à quelques exceptions près, dont les raisins entrent dans les grands vins, le haut de gamme éponyme de la production d’Ampelidae. Quand il s’agit de reprendre un terroir à zéro, malgré tout ce qu’on peut faire, on ne peut pas racheter 200 ou 400 ans d’Histoire. Mais on ne peut pas faire des vins de luxe sans un bon matériel végétal, fruit d’un effort qui doit avoir duré un certain temps. C’est le sens de notre travail. Révéler un terroir peu ou pas reconnu, ce travail de pionnier dont je parlais, n’est pas une mission facile, parfois mal perçue dans le milieu du vin lui-même. Mais il correspond à mon histoire personnelle : je ne suis pas issu d’une famille de vignerons, je suis né dans la Vienne ; si j’étais né à la Romanée-Conti ou à Château Lafite-Rothschild, je n’aurais pas fait ce que j’ai fait.
Parmi les pionniers qui m’ont inspiré, j’ai cité Penfold’s mais je suis aussi très admiratif du travail d’un vigneron comme Aimé Guibert, qui vend son Daumas-Gassac, en Vin de Pays, le prix d’un grand cru classé ou presque. Ce n’est pas forcément bien vu, il faut aussi se souvenir comment les opérateurs bourguignons comme Laroche ont été critiqués quand il ont lancé leurs collections méridionales. Je me sens proche de ces exemples car on reste sur des volumes limités par rapport à de plus grosses marques internationales, ou de marques moyennes dans des appellations porteuses. On nous a aussi comparés à Tariquet, mais en beaucoup plus cher. Nous avons, c’est vrai, une gamme de prix plus élevés, ce que je prends plutôt comme une bonne nouvelle ; elle correspond à une production qui n’a rien à voir, en volume, mais je ne désespère pas !
Pour créer une telle marque, il faut de la régularité. Dans la Vienne, nous pouvons produire de grands cabernets, mais seulement un millésime sur trois. Il n’y a pas eu de grand vin de cabernet pour Ampelidae en 2007, quand la qualité n’est pas à la hauteur, nous faisons les ajustements sur les volumes. Le sauvignon est beaucoup plus régulier. C’est un peu notre étendard, d’autant que nous avons aussi une sélection massale à nous de sauvignon rosé.

Comment est organisée votre gamme ?
Nous avons trois familles de vins : entre 16 et 20 €, ce sont les grands vins Ampelidae ; entre 7 et 10 € nous proposons les Marigny-Neuf, qui ont été nos seconds vins et qui sont présent nos premium de cépages, l’ image même de la variété ; enfin autour de 10 €, nous avons les Brochet, des vins d’auteur, pur produit du travail de la cave. C’est un vin qui brise tous les codes convenus du vin et les caciques du terroir : non-millésimé, il est présenté dans une bouteille sablier, garnie d’une capsule à vis.
Dans la gamme Ampelidae, on a l’aboutissement de la conjugaison du travail de l’homme et de l’identité régionale, qui s’exprime à travers le cépage, mais ce dernier n’est pas sur le devant de la scène : il est signalé, évoqué, par des noms que nous avons voulu entre nom de code et formule chimique un peu ésotérique :, S pour sauvignon ou K pour cabernet sauvignon. Ils sont évidemement bio depuis le début de cette aventure.
Avec les Marigny-Neuf, on touche à l’âme même du cépage et du savoir-faire, avec des vins qu’on veut toujours très différents des grands vins, plus exubérants, plus quotidiens aussi, mais avec une vraie pureté de style et une belle longueur en bouche. C’est une gamme premium où le cépage s’affiche clairement, et en bio.
Les Brochet, vins d’auteurs, sont le reflet de ma libre expression, mon invitation à la découverte d’autres facettes de nos vins. Ce sont des vins qui se prêtent à une consommation sur le mode « découverte », en complément des Ampelidae des grandes occasions et des Marigny-Neuf au quotidien.

Quelle est votre définition d’un « bon vin » ?
Jacques Puisais avait coutume de dire que le vin est une rencontre… Je le crois profondément. Quand on me demande « Quel vin me conseillez-vous ? », j’ai envie de demander aux gens « Quel type d’homme êtes-vous (en ce moment) ? » (rires). Pour ma part, j’ai envie tel jour, en telle compagnie, de l’exubérance d’un Marigny-Neuf, à tel autre moment j’aurai envie de la tension d’un Ampelidae…
Les bons vins sont ceux qui répondent à l’état d’esprit du consommateur à un moment donné. Si je devais citer les trois vins qui m’ont donné le plus de plaisir sur les quatre derniers mois, nous irions d’un savagnin que nous proposons chez Fauchon pour 13€, à un Meursault de chez Louis Latour en passant par un Quinta do Noval Vintage 2003, que nous avons ouvert pour Noël. Ces vins n’ont rien en commun, ne coûtent pas du tout le même prix, ils correspondent à des moments totalement différents, qu’ils ont su magnifier. A nous donc, de fournir au consommateur le bon vin pour le bon moment, un vin qui soit toujours juste, c’est à dire qui représente une dépense à la mesure du plaisir partagé.

Quels millésimes présenterez-vous dans les prochains salons ?
Nous serons à Millésime Bio, à Montpellier du 25 au 27 janvier 2010 et le Salon des Vins de Loire à Angers , les 1, 2 et 3 février 2010. Il ne nous reste plus une goutte de 2008 à la vente… Mais nous avons la chance d’avoir 2009 : un millésime qui se livre tôt. Pour Ampelidae, compte-tenu des caractéristiques de notre offre et de notre demande, il était important que ces vins soient prêts car l’année se joue dans ses premiers mois.
Sur 2009, les pH sont assez bas et les profils aromatiques parfaitement mûrs. La réussite qualitative associée à de bons niveaux de rendements est une belle conjonction pour le vigneron ! Cela fait un peu de volume dans un marché qui en a besoin.
En blanc, les sauvignons sont merveilleux ! Les rouges se présentent aussi très bien dès maintenant, grâce à des tannins très souples, si souples que je suis parfois surpris, notamment sur les cabernets. Ils sont enjôleurs et faciles à boire, pas du tout dans l’esprit de 2008, où les vins sont longtemps restés tendus, un rien austères… Ils le sont d’ailleurs toujours ! En tant que grand amateur de vins blancs, je suis persuadé que 2008 sera très grand, en particulier en blanc et pour la garde. En attendant, 2009 est beaucoup plus séduisant, nous donne des vins de plaisir plus immédiat. Et le vin ce n’’est pas exclusivement pour se prendre la tête !

Comment assume-t-on de front la direction d’Ampelidae et celle des achats de vins de la maison Fauchon ?
(Rires) On travaille 364 jours par an (et on s’autorise à être malade un jour). On se lève à 5h et on se couche à 1h. On apprend à déléguer, parfois en effleurant peut être trop certains sujets. On me prend pour un compliqué dispersé alors que je suis simple, juste multiformes et multitâches : je suis aussi à l’aise sur mon tracteur en jean et chemise à carreaux qu’en costume trois pièces pour animer une conférence devant des patrons du CAC 40… Je ne suis pas super organisé, mais je m’en sors parce que je suis super créatif.
Mes parents m’ont aidé à construire de manière très solide des bases générales en sciences, en lettres, en Histoire. Je suis donc très assis avec tout ça, cadré, construit … J’ai aussi la chance d’avoir une famille, à commencer par mon épouse, compréhensive. Enfin, j’ai la chance d’être doté d’une vraie capacité à me concentrer uniquement sur le sujet traité. Au moment où je le traite, le monde peut s’écrouler, je ne m’en détourne pas. Cela a sans doute été déterminant aussi au moment de passer les concours… Tout ça fait une vie très intense, surtout si vous ajoutez que j’ai trois enfants ; on me reproche d’en faire trop… Ce qui m’intéresse c’est d’exister, tout simplement.