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L’Affaire 1855.com ressort de la nuit

Auteur

Jean-Charles
Chapuzet

Date

21.10.2021

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On croyait l’affaire 1855.com classée et enterrée avec des milliers de clients à tout jamais lésés. Elle ressurgit par une décision de justice qui ordonne la poursuite de l’information judiciaire à l’encontre des anciens dirigeants de ladite société, Emeric Sauty de Chalon et Fabien Hyon. Les créanciers seront-ils un jour indemnisés ? Pourquoi la justice a-t-elle pendant si longtemps botté en touche ?

Il se dégageait de toute cette histoire un sentiment d’impunité avant qu’une lueur n’apparaisse au bout du tunnel. Le 7 octobre dernier, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a ordonné la poursuite de l’information judiciaire à l’encontre des dirigeants de 1855.com. Ainsi, cette décision ré-ouvre le dossier qui avait été classé par le procureur de la République de Paris en 2019 par un non-lieu à l’égard d’Emeric Sauty de Chalon et de Fabien Hyon, respectivement président et directeur général de 1855.com.

Des idées de génie

Pour comprendre ce dossier, il faut revenir au milieu des années 90 lorsque la société 1855.com voit le jour. La start-up se dit spécialisée dans la vente de vins en ligne, sorte de maison de négoce de la Place de Bordeaux à l’heure du e-commerce : la bonne idée doublée d’une marque, « 1855 », très vendeuse. « On a fait dans le vin ce qu’Amazon a fait en premier dans le livre », s’étalait partout Emeric Sauty de Chalon avec une étincelle de génie dans les yeux. Toutefois, l’entreprise n’a pas de stocks, encaisse les commandes mais ne réserve pas les vins. Pour résumer, 1855.com vend des vins qu’elle n’a pas, se persuadant qu’elle pourra toujours trouver les vins au moment voulu. Face au boom du marché des grands crus dans les années 2000, la société se retrouve très vite acculée. Pour exemple, des grands crus vendus en primeurs à 150 euros se retrouvent en livrable à 700 euros. Emeric Sauty de Chalon et Fabien Hyon ne peuvent pas acheter les vins, encore moins les livrer. Renfloués par d’importants actionnaires (dont la famille Bettencourt-Meyers), ils font illusion et résistent quelques années…

Mais les créanciers se manifestent. Ils sont onze mille clients à s’estimer volés pour un montant global de 45 millions – nonobstant les préjudices moraux et financiers dus à la valorisation. Au final plus de 100 millions d’euros se sont évaporés si l’on ajoute les 55 millions d’euros d’augmentation de capital des actionnaires. C’est l’heure des plaintes, des procès et des kilomètres d’articles, non sans entacher l’image des vins de Bordeaux, de sa Place et de son célèbre classement 1855. « Ils avaient déposé la marque dès 1995, ainsi que le nom du domaine pour le site internet, tous les articles qui parlaient d’escroquerie étaient associés à l’image du classement et surtout la société se défendait en disant qu’ils ne livraient pas les vins car les Grands Crus Classés refusaient de les livrer », explique Sylvain Boivert, directeur du Conseil des Grands Crus Classés 1855 depuis 2001. Le Conseil, qui a aussi acheté des vins pour faire constater le système frauduleux, porte également plainte en 2012.

Le début de la fin

En 2015, la société 1855.com – comme la maison mère Aphrodite et les filiales (Arès, ChâteauOnline, Cave Privée…) – est placée en liquidation. Le Conseil des Grands Crus Classés 1855 rachète la marque 1855 et tous les noms de domaines mais les clients floués, quant à eux, n’ont plus que leurs yeux pour pleurer d’autant que, comme noté plus haut, une décision de 2019 ordonne un non-lieu pour les dirigeants.

La bonne nouvelle pour les créanciers, telle une once d’espoir, est venue ce 7 octobre avec la réouverture du dossier. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris évoque certaines pratiques « s’apparentant à de la cavalerie matérialisant le délit d’escroquerie », relevant de la « publicité mensongère » ou encore « destinées à induire en erreur les clients ».

« Il faut que ces gens-là soient jugés ! Depuis qu’on racheté la marque, on reçoit toujours des courriers de personnes qui ont été volées », s’insurge Sylvain Boivert. L’appel de la décision du non-lieu de 2019 provient de l’avocate bordelaise, Maître Hélène Poulou, qui s’étonne toujours de la protection dont jouissent Emeric Sauty de Chalon et Fabien Hyon. « Beaucoup de chefs d’entreprises sont allés en prison pour moins que ça, c’est surprenant », confie l’avocate qui représente une grande partie des plaignants. Après de nombreux rejets de ses demandes, Maître Hélène Poulou semble enfin entendue. « L’affaire était quasi-classée, on peut à nouveau croire à ce que l’escroquerie soit reconnue et que les deux dirigeants soient poursuivis en correctionnelle et peut-être dans un deuxième temps leurs actionnaires… qui sont, il est vrai, puissants », ajoute l’avocate. La partie adverse, représentée par l’avocat Yann Le Bras, a déclaré avoir pris connaissance de cette nouvelle décision.