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La tentation méridionale de la Cave de Sancerre : Domaine de Petit Roubié

Auteur

Lucie
de Azcarate

Date

19.06.2025

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Les vins blancs ont le vent en poupe. La cave de Sancerre, spécialisée dans cette couleur, surfe sur cette vague qui la mène loin, même très loin de ses terroirs de prédilection, dans l’Hérault, avec l’acquisition du Domaine de Petit Roubié, spécialisé dans le Picpoul de Pinet.

Le rachat du Domaine de Petit Roubié par la Cave de Sancerre a été révélé ce jeudi 19 juin à l’occasion d’une conférence de presse. D’ordinaire, lorsque les caves coopératives investissent dans la vigne c’est plutôt pour assurer leurs approvisionnements in situ. Ici il s’agit d’une acquisition exotique qui a de quoi intriguer d’autant qu’il n’existe pas de précédent en la matière ; aucune cave coopérative ne s’est encore lancée dans une telle opération de croissance externe.

Des trajectoires parallèles

Fondée en 1963, la Cave de Sancerre rassemble soixante-seize adhérents pour trois cent hectares de vignes, soit 10 % de l’appellation Sancerre. À l’image de ce qui se pratique dans les appellations du Centre-Loire, Menetou-Salon ou Sancerre, la production de la Cave se distingue par une dominante de blanc : 80 %. En 2024, elle a écoulé 1.7 millions de bouteilles pour atteindre un chiffre d’affaires de 15,1 millions d’euros, soit un bond de 37 % en trois ans. Les vins de Sancerre, grâce à une expression inimitable du sauvignon blanc, moins variétale et plus minérale, bénéficient d’une belle renommée dans les pays anglo-saxon. L'appellation Sancerre exporte jusqu’à 80 % de sa production…comme l’appellation Picpoul de Pinet.

Dans les années 1980, les blancs issus du cépage piquepoul, endémique des rives de la lagune de Thau, traversent la Manche et rencontrent un franc succès. Depuis, ils ont acquis leurs lettres de noblesse en 2013 avec une appellation « Picpoul de Pinet ». Aujourd’hui encore, un tiers de la production est consommée en Grande Bretagne alors qu’elle n’a cessé de croître, passant de 1.7 millions de bouteilles en 1985, à 10 millions, dont 65 % sont destinés à l’export.

Comme investissement pour la Cave de Sancerre, le Domaine de Petit Roubié, soixante-quinze hectares dans l’Hérault dont trente-quatre en appellation Picpoul de Pinet, coche donc toutes les cases des attentes du marché : installé sur un terroir de blancs reconnu, cultivé en agriculture biologique depuis 1985, spécialisé dans la production de blanc (la couleur représente 65% de la production). Pour autant, l'aventure détonne dans l'univers enraciné des caves coopératives.

Une première dans le monde de la coopération viticole

L’aventure héraultaise de la Cave de Sancerre débutera dès la semaine prochaine. Cette opération de croissance externe est une première du genre, jamais une coopérative n’avait tenté l’aventure hors de sa région d’implantation. Pourtant du point de vue de Vincent Creton, l’opération a été « d’une logique implacable. Dans la mesure où le foncier dans les appellations du Centre-Loire, en particulier pour Sancerre, est l’objet d’une spéculation et de phénomènes d’accaparements, il est apparu logique que pour structurer la croissance de la cave coopérative, il fallait investir ailleurs… »

Du côté du Petit Roubié, la famille Azan, à l’heure de la retraite, cherchait un repreneur qui préserve l’intégrité du Domaine. Il aurait en effet été désagréable de le voir démantelé après lui avoir conféré une belle notoriété. La reprise se fera donc en étroite collaboration, Olivier Azan accompagnera la Cave de Sancerre pendant encore dix-huit mois, le temps d’un tuilage. Vincent Creton assurera, quant à lui, la direction générale du Domaine de Petit Roubié, celui-ci conservera en effet son autonomie de fonctionnement, tant sur la production que sur le développement commercial.

In fine, « avec le rachat du Domaine de Petit Roubié, la Cave de Sancerre affirme son ambition sur le marché des vins blancs en s’engageant dans une stratégie de diversification absolument inédite pour une structure comme la nôtre. Mais il s’agit d’une opération calculée : le Domaine de Petit Roubié est un Domaine aux finances saines et dynamique au niveau commercial. Qui plus est, il est positionné sur des marchés que nous maîtrisons bien, en France comme à l’export » rassure Frédéric Champault, président de la cave de Sancerre. Et le potentiel commercial de la Cave de Sancerre passera de 1.7 millions de bouteilles par an, à plus de 2.2 millions…

Quatre questions à Vincent Creton, directeur de la cave

Géographiquement vous sortez de votre zone de confort, y a-t-il un vertige d’être une cave coopérative pionnière dans cette démarche ?

Pas de vertige mais surtout des interrogations. Nous avons structuré le projet pour qu’il soit viable et surtout pour qu’il s’autofinance, il ne s’agit pas d’un sauvetage d’entreprise. Nous nous sommes entourés de professionnels, la BPI a aussi soutenu le projet de manière significative ce qui nous a conforté dans notre décision. Aujourd’hui, nous avons plus d’excitations que de crainte.

Comment les adhérents ont-ils perçu le projet ? Avez-vous eu du mal à les convaincre ?

Le projet a été dévoilé pour la première fois en conseil d’administration il y a plus de deux ans. L’idée c’était d’aller voir ailleurs plutôt que de s’entêter sur une même région où le potentiel de développement est vraiment réduit. De surcroit, si nous nous portons acquéreurs de vignes à Sancerre, nous serions potentiellement en concurrence avec nos adhérents (28 % des vignerons de Sancerre adhérent à la cave coopérative, ndlr). Ça n’a donc pas beaucoup de sens pour nous. Le projet a été bien perçu et, à mesure que nous avancions, nous faisions des points réguliers avec le conseil d’administration qui a été si impliqué que le rachat du Domaine de Petit Roubié a été voté à l’unanimité.

La coopérative est devenue investisseur, comment percevez-vous cette évolution ?

La structure coopérative ne doit pas nous freiner. Bien sûr, c’est aux adhérents que nous rendons des comptes, mais le but est de mener des projets rentables et d’accompagner leur développement comme n’importe quelle autre entreprise privée le ferait. Dans cette perspective, nous structurons notre positionnement dans notre spécialité, les vins blancs secs de qualités. De Sancerre, Picpoul de Pinet paraît loin, mais du point de vue de nos clients, disséminés dans le monde, ce sont deux appellations françaises.

Pour finir, avez-vous identifié des synergies entre les deux structures ?

Pour les achats de matières sèches, bouchons, étiquettes, bouteilles, la réponse est évidente. Pour le reste nous attendons de découvrir. Héléna Berneau, notre œnologue, va travailler en étroite collaboration avec l’équipe sur place et nous bénéficierons sans doute de leur expertise sur le bio. Les deux entités fonctionnent bien, nous ferons donc les ajustements qui s’imposent au fur et à mesure.


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