Mercredi 4 Décembre 2024
De gauche à droite, Jérôme Bauer, Thiébault Huber, Maxime Toubart et Jean-Marie Garde. ©F. Hermine
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13.11.2024
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Les représentants de la filière viticole, réunis il y a encore quelques jours à l’initiative de Maxime Toubart, le président du Syndicat général des vignerons de la Champagne (SGV), pour défendre l’exonération des droits de transmission de vignes familiales, ont été entendus dans le cadre de la nouvelle loi des finances.
Le sujet était récurrent dans le vignoble. La transmission préoccupe depuis longtemps les vignerons qui voient « le modèle familial risquer d’évoluer vers un modèle industriel », alertait Maxime Toubart, à l’initiative de la réunion sur le sujet le mois dernier à Paris. La filière semble avoir été entendue. Lors de l’examen du projet de loi des finances 2025 vendredi dernier, les députés ont adopté une exonération des droits de succession ou de donation à hauteur de 75 % de la valeur du foncier et sans aucun plafond. « À la condition que le bien reste la propriété du donataire, héritier et légataire pendant 15 ans à compter de la date de la transmission à titre gratuit. »
Exit donc du pacte Dutreil sur les terres agricoles le plafond de 500 000 € pour lequel l’exonération de 75 % était ramenée à 50 %. Un vote qui vise à pérenniser les exploitations agricoles familiales et donc viticoles, et une victoire pour la filière.
« Il faut de plus en plus souvent, pour payer le succès d’une génération, se démunir de son outil de travail en vendant ses vignes, déplorait Jérôme Bauer, président de la CNAOC (Confédération nationale des appellations d’origine contrôlée). 80 % des transmissions sont intrafamiliales, mais la trésorerie pour le repreneur est indispensable pour moderniser l’outil de travail et soutenir le tissu socio-économique local. »
En Champagne, le problème est accru par le vieillissement et la baisse de la population agricole : 170 000 vignerons partiront à la retraite d’ici cinq ans. En ne bénéficiant pas d’exonération fiscale pour le foncier comme pour la transmission des entreprises, les agriculteurs risquaient de devoir vendre leurs terres à des investisseurs. À fortiori en Champagne où le prix à l’hectare est évalué à 1,2 M€. « Ils deviennent alors au mieux les salariés de leur ancienne propriété, s’alarmait Maxime Toubart. En France, nous sommes les champions du monde de la fiscalité. Partout ailleurs dans le monde, une exploitation est considérée comme un outil de travail. » Et de rappeler un récent cas d’école, celui du domaine Poisot à Aloxe-Corton. La famille a dû vendre 1,3 ha (pour 15,5 M € au groupe LVMH) sur un total de 2 ha pour payer les droits de succession tout en restant exploitante.
La filière avait d’abord pensé à demander une imposition sur la valeur de rentabilité et non sur la valeur vénale, mais puisqu’une entreprise peut se transférer avec 75 % d’exonération, les vignerons demandaient simplement son élargissement à toutes les terres agricoles, « car le pacte Dutreil ne faisait qu’alléger fiscalement les baux à long terme, explique Jean-Marie Garde, président de la Fédération des grands vins de Bordeaux (FGVB). Une exonération permettra donc de rester compétitifs et de pérenniser le modèle familial qui entretient les paysages. Car lors de rachats par les investisseurs, les vignobles sont soignés, mais les maisons restent vides une grande partie de l’année et ça tue la vie locale. De plus, les œnotouristes dont le nombre ne cesse d’augmenter veulent visiter des lieux vivants et habités. »
Bordeaux a été touché le premier par le phénomène, envahi par les compagnies d’assurance (appelées les « zinzins », investisseurs institutionnels). En Champagne, le prix du foncier a été multiplié par 3,2 en deux décennies et les deux tiers des vignerons ont plus de 60 ans, ce qui implique qu’ils vont devoir transmettre à court terme.
« Environ 500 vignerons se sont installés récemment, mais en réduisant leurs surfaces. 10 000 vignerons sur un total de 16 000 exploitent en moyenne 12 ares (vs 2,5 ha pour l’ensemble). Nos parents étaient dans un schéma de développement de l’entreprise, nous, dans la sauvegarde, car il faut 50 ans aujourd’hui pour rentabiliser une vigne, poursuit Maxime Toubart. La rentabilité avec les aléas climatiques stagne à 2 % par an. On en arrive à déconseiller l’achat de vigne pour éviter d’endetter aussi la génération suivante. Et on encourage à anticiper le plus possible les transmissions. Mieux vaut ne pas attendre d’avoir 70 ans pour le faire. S’il n’y a pas de changement, dans 20 ans, tout le monde sera en société, mais ça ne peut être qu’une solution à court terme, car plus il y a de membres avec les générations suivantes, moins le système est viable. »
Avec cette exonération déplafonnée à 75 %, une demande portée par le député de la Marne Éric Girardin dans son rapport de 2022, le SGV estime qu’il sera possible de maintenir les exploitants en place en privilégiant les jeunes. « Nous avons conscience que l’État doit faire des économies [l’évaluation du coût de la mesure reste à faire], mais il doit aussi rester attentif aux territoires. De plus, on ne transmet un vignoble en moyenne que tous les 25 ans », ajoute le président champenois.
Le problème se pose aussi, mais différemment, dans des régions où les exploitations ont dû s’agrandir pour maintenir des volumes et un seuil de rentabilité. La transmission ne doit pas devenir un cadeau empoisonné. « Si les jeunes doivent s’endetter pendant 40 ans pour garder leur vignoble, ils n’ont plus les moyens d’investir dans leur outil de travail. C’est un véritable système féodal qui était en train de s’installer : les exploitants qui ne pouvaient pas suivre devaient chercher des investisseurs pour payer leurs droits de succession, conclut Thiébault Huber, président de la CAVB (Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne).
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