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Uruguay : l’autre pays du tannat

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

14.09.2023

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Un climat bercé par l’influence providentielle de l’Atlantique, une belle diversité de sols, une tradition viticole remontant à plus de 150 ans, et un large éventail de cépages dominé par une variété à fort caractère : le tannat. Tous ces éléments contribuent à faire de l’Uruguay un vignoble en plein essor, qui bouscule la scène sud-américaine

La cartographie viticole de l’Amérique du Sud est dominée par les locomotives historiques que sont l’Argentine et le Chili. Pourtant, à l’ombre de ces deux géants se développent d’autres vignobles, plus confidentiels mais porteurs d’un superbe potentiel. L’Uruguay est aux avant-postes de cette « viticulture de niche » latino-américaine, qualitative et exigeante, qui ne cesse de progresser. 

Pays de taille modeste, enclavé entre l’Argentine et le Brésil, l’Uruguay compte un peu plus de 3 millions d’habitants et se trouve être l’une des démocraties les plus stables de la région, tant sur le plan politique qu’économique. Idéalement situé entre le trentième et le trente-cinquième parallèle sud (à la même latitude que les meilleurs vignobles chiliens, argentins, sud-africains, australiens et néo-zélandais), bercé par l’influence de l’océan Atlantique et du Río de la Plata, riche d’une belle variété de sols combinant calcaires, argiles, graves et sables, sa configuration géographique présente des conditions idéales pour l’épanouissement de la viticulture ; et de fait, la production de vin s’y est développée progressivement depuis le XVIIIe siècle, d’abord avec les Espagnols, puis de façon plus accélérée à partir des années 1870, grâce à un immigré basque du nom de Pascual Harriague. 

Ce natif d’Hasparren a l’inspiration de planter du tannat : cépage originaire du Béarn, célèbre pour être la signature de Madiran – mais aussi d’Irouléguy, et dans une moindre mesure de Cahors – et au caractère intensément tannique (d’où son nom), il trouve en Uruguay une « seconde maison » et devient la variété emblématique du vignoble national. Le tannat concentre aujourd’hui un tiers des quelque 6 000 hectares de vignes plantés en Uruguay, cohabitant principalement avec des variétés rouges bordelaises (merlot, cabernet franc, cabernet sauvignon, mais aussi marselan) et une part croissante de production de vin blanc où l’albariño s’impose de plus en plus. 

Destins d’immigrés et sagas familiales
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, de nombreux immigrés, principalement venus d’Italie et d’Espagne, apportent leur pierre à l’édifice de la viticulture uruguayenne. Un siècle et quelques millésimes plus tard, leurs descendants continuent d’écrire cette histoire. C’est le cas de la Bodega Santa Rosa, fondée en 1898 par Marco Passadore, venu de la région de Gênes. 125 ans après, la famille Passadore est toujours là : elle est la plus importante productrice de vins effervescents du pays – en méthode traditionnelle champenoise, s’il vous plaît – et a diversifié sa gamme autour de très beaux vins rouges taillés pour la garde mais aussi des vins mutés lorgnant vers le xérès. La famille Pisano, située à Canelones, vient de célébrer en 2023 sa centième vendange. Perpétuant l’aventure de leur aïeul venu de la frontière entre Ligurie et Piémont, les frères Daniel, Gustavo et Eduardo sont aujourd’hui à la tête de 15 hectares et signent une superbe gamme de vins au classicisme intemporel – il suffit de déguster un tannat de 1996 pour s’en persuader. Mais le classicisme ne tourne pas le dos à la modernité : Gabriel Pisano, jeune œnologue qui incarne la nouvelle génération, propose une approche plus expérimentale (notamment du tannat) avec Viña Progreso, domaine créé en 2009.

Daniel Pisano

Cette fusion heureuse entre « les anciens et les modernes », on la retrouve aussi dans des domaines comme De Lucca, dont Agostina De Lucca incarne la quatrième génération à la suite de son père Reinaldo. Orientés vers le bio et la biodynamie, ils n’hésitent pas à bousculer les codes, comme avec leur Tano, 100 % tannat vinifié sans soufre et en levures indigènes. Elle est également vivace au sein de la Bodega Spinoglio, une autre aventure démarrée par des Piémontais en 1898, aujourd’hui poursuivie par Diego Spinoglio et son épouse Alejandra – architecte de formation. À la tête d’une quinzaine d’hectares de vignes, ils explorent de passionnantes combinaisons de terroirs et de cépages, comme avec leur Toneldiez Corte Único, assemblage multi-vintage de merlot, tannat et cabernet franc, ou leur délicieux Tinaja, mariage de merlot et cabernet franc élevés en amphores.

La modernité des descendants d’immigrés italiens, elle est enfin à trouver du côté du domaine Bracco Bosca, où la rayonnante Fabiana Bracco poursuit avec sa famille une histoire démarrée il y a cinq générations. Entre une Revuelta del Clarete qui marie sans tabou merlot et ugni blanc, un Gran Ombú 100 % cabernet franc qui rafle tous les prix, et une offre œnotouristique originale avec ses chalets dans les vignes, Fabiana incarne toute la vitalité du vignoble d’Uruguay.

Domaine Bracco Bosca avec Fabiana Bracco etsa famille

Un œnotourisme de haut vol
L’œnotourisme est d’ailleurs l’un des points forts du vignoble uruguayen, qui accueille énormément de visiteurs (brésiliens, argentins notamment) et cultive un magnifique sens de l’accueil. Ici, ouvrir une bouteille de vin va naturellement de pair avec une belle grillade, et au même titre que le maté, l’asado est un art de vivre – avec 4 têtes de bétail par habitant, le pays est un important producteur et consommateur de viande bovine. Cet œnotourisme soigné se retrouve notamment à la bodega Los Cerros de San Juan, l’un des plus anciens domaines d’Uruguay (fondé en 1874). L’ouverture d’un restaurant il y a quelques mois vise à faire de ce domaine de 35 hectares un véritable lieu de vie, dans la région de Colonia del Sacramento qui fait directement face à Buenos Aires, de l’autre côté du fleuve.

Toujours à Colonia, le domaine Narbona a poussé encore plus loin la culture de l’hospitalité, avec un Wine Lodge Relais & Châteaux de toute beauté, offrant une expérience immersive dans le vignoble entre visites, dégustations, gastronomie, hébergements… Les vins, signés par la talentueuse œnologue Valeria Chiola, complètent la qualité de l’expérience par leur imparable précision – mention spéciale au Blend 004 combinant tannat, merlot et cabernet franc.

La famille Bouza a su, en vingt ans seulement, s’installer comme une référence de la viticulture uruguayenne, tant pour la qualité de ses vins que pour ses activités œnotouristiques : la bodega accueille 40 000 visiteurs par an, notamment grâce à son restaurant et à sa nouvelle salle de dégustation décorée de voitures de collection. Les 50 hectares de vignes se déploient sur cinq régions différentes, offrant une belle diversité d’expressions. On retrouve une trajectoire similaire du côté de la famille Deicas, qui a repris dans les années 1980 le vignoble historique de Juanico – dont les caves remontent aux jésuites du XVIIIe siècle – et a considérablement développé la taille de l’exploitation (aujourd’hui de 300 hectares, en faisant le plus gros producteur du pays) ainsi que l’offre œnotouristique. Santiago Deicas supervise toute la production, qui se répartit entre des références comme Atlántico Sur, Preludio, Massimo Deicas (de l’entrée de gamme au haut de gamme), sans oublier des vins liquoreux et, surprise, du… cognac ! En effet, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pour remercier l’Uruguay de ses expéditions de viande, la France autorisa – pour une période limitée – l’utilisation de la dénomination « cognac » dans la production d’eau-de-vie. Les bouteilles que l’on trouve chez Deicas sont donc des raretés.

« La rivière des oiseaux peints »
Outre ses familles ancrées depuis plusieurs générations, le vignoble uruguayen attire de nouveaux investisseurs, séduits par ses terroirs qui offrent une belle réponse au changement climatique. L’exemple le plus éloquent est celui de la bodega Garzón. Né en 2007 d’une inspiration de l’homme d’affaires argentin Alejandro Bulgheroni, qui a vu avec l’œnologue italien Alberto Antonini le potentiel inexploré de la région de Maldonado, ce domaine spectaculaire s’étend sur 1 400 hectares, dont 250 de vignes. Un investissement de plus de 200 millions de dollars dont l’emblème est une winery ultra moderne, qui n’a rien à envier aux plus beaux chais européens ou nord-américains et qui est l’épicentre, elle aussi, d’une superbe offre œnotouristique, restaurant inclus. La cuvée haut de gamme de la bodega, Balasto, est le premier vin uruguayen à être commercialisé via la Place de Bordeaux.À quelques encablures de Garzón, mais bien plus modeste en taille, Sierra Oriental est un vignoble de poche « rêvé » par un autre homme d’affaires argentin, Rodrigo Diz : un petit paradis de 8 hectares qui incarne bien l’adage « Small is beautiful ». Toujours à Maldonado et également situé dans un cadre paradisiaque, le domaine Cerro del Toro est né en 2016 sous l’impulsion d’une famille japonaise, les Kambara. Dans la même région, la bodega Viña Edén est apparue il y a une quinzaine d’années par la volonté d’un couple d’investisseurs brésiliens : la winery, bâtie en 2013, joue la carte de la technologie et des lignes contemporaines, à l’image des vins, d’un style résolument moderne. Le Brésil s’invite aussi à Casa Tannat, microvignoble de 3 hectares qui se revendique comme le plus septentrional du pays, dans la région d’Artigas non loin de la frontière brésilienne. Le tannat y trouve ici un profil encore plus puissant et structuré qu’à proximité de l’Atlantique et du Río de la Plata ; signe que ce cépage, malgré sa réputation monolithique, peut revêtir bien des styles différents. L’Uruguay cultive ce goût de la diversité et des nuances, fidèle à l’origine Guarani de son nom : « la rivière des oiseaux peints ».


Retrouvez une sélection de cuvées dégustées pour le #TannatDay